Ali Mahmoudi, conservateur des forêts de la wilaya de Béjaïa : “Nos forêts risquent de complètement disparaître”

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En cette période de canicule où les feux de forêts se multiplient dans la wilaya, M. Ali Mahmoudi, conservateur des forêts de la wilaya de Béjaïa et directeur du Parc national de Gouraya, nous parle des incendies, de la lutte contre le feu, du rôle des vigies, de la mission de la Conservation des forêts et de ses relations avec la Protection civile. Il estime qu’au rythme de 25OO ha de forêts détruits par les feux chaque année, c’est l’existence même du couvert forestier qui est, à terme, en jeu.

La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous nous brosser un tableau succinct des dégâts causés par les incendies depuis le début de l’été ?

Ali Mahmoudi : Du 1er juin au 30 août, c’est-à-dire depuis le début de la campagne estivale, nous avons enregistré dans le territoire de la wilaya de Béjaïa, 168 feux de forêts qui ont ravagé 2216,81 ha. Cette superficie se répartit en 977 ha de forêts, 392,5 ha de maquis, 542,48 ha de broussailles, 77,7 ha de  » diss  » et de chaume et malheureusement 237,13 ha d’arbres fruitiers qui se répartissent en 144 ha d’oliviers, en 7,13 ha de figuiers et en 85,50 d’autres arbres fruitiers à noyaux et à pépins.

Il y a eu une semaine un peu particulière, et dont les journaux ont d’ailleurs abondamment parlé c’est, celle du 22 au 28 août, durant laquelle il y a eu 38 feux de forêts et comme vous savez, à la différence de la Protection civile, la Conservation des forêts n’enregistre que les foyers importants qui ont ravagé une certaine superficie. Ces 38 feux ont détruit 526,14 ha dont de 236,5 ha de forêt, 80,5 ha de maquis, 125,64 ha de broussailles, 15 ha de  » diss  » et de chaume et 68,5 ha d’arbres fruitiers. La répartition spatiale de la totalité des 168 feux sur les circonscriptions forestières (une circonscription forestière, c’est plusieurs dairas, par exemple Akbou englobe sept dairas) se présente comme suit : Akbou 6O feux qui se sont concentrés dans la région d’Ighil Ali, les tribus des Beni Abbès, frontalières avec la wilaya de Bordj Bou-Arréridj. 35 feux enregistrés à la circonscription d’El Kseur, idem pour celle d’Adekkar. 15 feux à Souk El-Tenine et 15 autres à Béjaïa également.

Par comparaison à l’an dernier, à pareille époque, est-ce qu’il y a plus ou moins de dégâts causés par les feux ?

Le nombre d’incendies pour l’année 2009, à pareille époque était de 84 pour 1890 ha de dégâts. Donc on en a eu un peu plus cette année.

Est-ce qu’il y a des régions où les incendies se déclarent plus souvent par rapport à d’autres ?

Non, il n’y a pas de régions où les feux de forêts se sont déclarés plus souvent qu’ailleurs, ou du moins, cela n’a pas été enregistré. Tout ce que l’on peut dire est que la région la plus touchée au point de vue nombre d’incendies est celle d’Akbou, mais ce sont de petits feux comparés à ceux d’Adekkar qui sont moins nombreux mais plus importants.

L’origine des feux est-elle, selon vous, accidentelle ou criminelle ?

C’est presque toujours accidentel et involontaire, plutôt de l’imprudence. Certains fellah pour lutter contre les sangliers qui saccagent leurs récoltes mettent le feu à l’entourage de leurs vergers. Et quand ils n’arrivent pas à le maîtriser, il se propage aux alentours. Parfois, le feu prend naissance en bordure de la route. Et quand il échappe au contrôle de celui qui l’a allumé il prend d’autres proportions.

Dans la lutte contre les feux de forêts, les forestiers travaillent-ils en parallèle ou en collaboration avec les éléments de la Protection civile, autrement dit est-ce que vous travaillez ensemble ou chacun de son côté ?

C’est nous-mêmes qui avisons les éléments de la Protection civile. Puisque ce sont nos collègues. Mais notre présence est indispensable. La toute première intervention, c’est l’administration des forêts. Puisque nous avons des vigies qui sont répartis à travers tout le territoire de la wilaya et qui nous signalent tous les départs de feux. Donc, dès qu’il y a de la fumée quelque part dans une forêt, elle est localisée et signalée. Et notre brigade motorisée prend le départ pour voir sur place le feu et évaluer le degré d’intervention. Comme la brigade est équipée d’un véhicule de lutte contre les incendies, souvent elle réussit à éteindre le feu du moment qui n’a pas encore pris de grandes proportions. Si elle n’arrive pas à le maîtriser, elle appelle la Protection civile en renfort.

Autrement dit quand cela vous dépasse, vous faites appel à la Protection civile…

La nouveauté au niveau de Béjaïa, cette année, est que la Protection civile est dotée d’une de nos radios. Ce qui veut dire qu’ils suivent nos messages en temps réel. On leur a installé une radio de notre propre réseau pour leur permettre de suivre les évènements en même temps que nous. Quand la brigade part avec notre opérateur, si elle exprime le besoin d’aide de la Protection civile, celle-ci reçoit le message en même temps que nous. Et comme Béjaïa est une wilaya à haute potentialité forestière, elle dispose depuis dix ans maintenant, d’une colonne mobile qui regroupe des éléments issus de plusieurs wilayas et qui est donc équipée de grands moyens d’intervention.

Quelle est d’une manière générale, la mission assignée aux forestiers ?

Le forestier, c’est normalement la toute première intervention. C’est dès le mois d’avril qu’il prend des mesures préventives. C’est à cette date qu’il rédige des projets d’ arrêtés qui seront signés par le wali. Dans ces projets d’arrêtés, il est demandé aux collectivités locales et aux autres institutions concernées par les feux de forêts comme la Sonelgaz qui dispose de lignes à haute et moyenne tension qui peuvent être à l’origine de départ de feux, aux Travaux publics et autres personnes qui ont des installations, de nettoyer les pourtours de ces installations pour éviter le déclenchement des incendies. De notre côté si on dispose d’entreprises, on les engage à réaliser des tranchées pare-feux pour éviter l’avancée des feux, nous procédons à l’aménagement de points d’eau pour ravitailler les engins de lutte, nous organisons des campagnes de sensibilisation qui sont menées par les circonscriptions des forêts. Il y a même des comités de riverains particulièrement, là où il y a application du programme PPDRI. Ces comités sensibilisent les populations et signalent tout départ de feu.

Les postes de vigies sont-ils assurés en permanence ou uniquement pendant les périodes à risque ?

Les postes de vigies sont assurés durant toute la campagne d’incendies, c’est-à-dire du 1er juin au 31 août. Les vigies sont équipés de radios et signalent le moindre départ de feu. Par exemple, à Gouraya, il y a des éléments en place qui surveillent H 24 tout le périmètre qui va jusqu’à Toudja. Dès qu’ils voient de la fumée, ils la localisent et la signalent à la Conservation des forêts qui désigne l’unité qui va intervenir pour confirmer ou infirmer le feu.

Quelle est la surface du patrimoine forestier de la wilaya ?

Elle est de 122 500 ha tous patrimoines confondus. Les principaux massifs forestiers sont Bouhatem avec 6979 ha, Taourirt Ighil avec 6649 ha et Beni Abbès avec 4922 ha.

Que fait-on en matière de reboisement ?

Concernant le reboisement, il y environ 1000 ha de plants inscrits chaque année, au profit de la Conservation des forêts de Béjaïa, mais comme nous avons la particularité en matière d’espèce de la région qui est le chêne-liège principalement et qui est très difficile à promouvoir par des reboisements, ce qui fait que les taux de réussite sont très minimes. Il y a aussi un phénomène qui est apparu ces dernières années, c’est le lapin de garenne qui mange les jeunes plants, et ce, en plus du fait que nous sommes en région subhumide où le maquis et les mauvaises herbes étouffent littéralement les jeunes plants. On a tenté une plantation de caroubier du côté de Tazeboujt, dans le Parc de Gouraya, mais cela n’a pas réussi à cause des lapins et des mauvaises herbes.

Le mot de la fin

Nous perdons une moyenne 25OO ha de forêt par an, et Dieu seul sait que pour produire une forêt, il faut parfois des siècles. Si on continue dans cette lancée, on risque, avec le temps, d’effacer complètement le couvert forestier de notre wilaya.

Entretien réalisé par B. Mouhoub

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