Entretien Tarik Djerroud, journaliste et auteur : “Je prête ma plume pour donner la parole aux malheureux”

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La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous nous parler un peu de votre nouveau roman ?

Tarik Djerroud : J’ai oublié de t’aimer est mon second roman, que j’ai publié il y a deux mois, dont j’ai commencé l’écriture il y a un peu plus de trois ans. Il s’agit d’une œuvre à laquelle je voulais imprimer un ton de sagesse et d’humanité au milieu d’un capharnaüm relationnel souvent complexe, sinon tragique. Actuellement, les lecteurs l’ont bien adopté dans la forme comme dans le fond, tant il est ce miroir qui reflète leurs soucis et leurs rêves de plénitude.

Comment vous est venue l’inspiration de cette histoire ?

Au cours d’une balade, en France, j’étais de passage devant une abbaye. Sur la place qui donne sur une vue panoramique, il y avait un jeune assis sur un banc et pleurant à chaudes larmes, des bières à portée de main. Au début, j’ai hésité puis, je l’ai approché pour m’enquérir de son malheur. D’abord, récalcitrant, mais, petit à petit, il a fini par me faire part de ses malheurs, touchants. Depuis, à ma façon, j’ai décidé de prêter ma plume pour donner la parole aux malheureux, pour profaner les profanateurs des rêves ! A la lecture, on est vraiment touché par ce qu’a enduré la jeune Olivia atteinte du sida… Oui, le but du roman est de faire sentir l’imbroglio, l’angoisse, et l’étroitesse d’une situation, où l’homme ou la femme se trouve pris dans un engrenage à première vue insurmontable. Cependant, à côté il y a des portes de sortie, comme il y a un médicament à toute maladie. L’évocation du Sida est essentielle, parce que je crois qu’il est naturel d’en parler pour tenir cette maladie à distance. En sus, je disais par la bouche du médecin : «Contre le Sida, agir est nettement mieux que de réagir». J’ai choisi d’inoculer le virus à une femme pour dire que cette dernière est le bastion de la vie, et symboliquement, une femme atteinte, c’est la vie qui serait devenue malade. Avec l’eau, le livre, la femme fait partie d’un triangle où chaque fois qu’un élément manque, l’environnement se trouve ébranlé à risque !

Pourquoi ce titre, J’ai oublié de t’aimer ?

Le titre est extrait d’une phrase prononcée par le personnage principal du roman. C’est un titre qui résonne, en réalité comme un aveu de regret plus que d’oubli, puisqu’il dit textuellement ; «j’ai oublié de t’aimer comme il se doit». Ceci dit, cette omission est survenue du fait que mon personnage a négligé un principe cardinal : l’amour de soi commence par l’amour du prochain, d’où sa réaction !

L’histoire de ce roman se déroule en France, pour quelle raison vous avez opté pour ce pays?

J’ai opté pour ce pays pour une raison toute simple ; c’est en France que j’ai rencontré les gens qui me l’ont inspirée. Ceci dit, on pourrait changer le nom des personnages, leurs métiers, les villes où ils ont vécu, la quintessence du roman ne changerait pas d’un iota, car sa structure intrinsèque répond à l’exigence d’une quête de compréhension face à un malheur commun à toute l’humanité.

Vous êtes à votre deuxième roman en deux ans, le troisième est dores et déjà prêt, cette incursion dans le roman n’est pas qu’un passage alors ?

Je pense qu’avec le premier opus, je suis entré dans le bain de la littérature avec effraction, car ce n’était pas du tout un rêve d’enfance. En plus, comme vous dites, cette incursion est enrichissante pour moi ; elle m’offre des plages de liberté de questionnements, de voyages et de découvertes. Et les «enfants» viennent un par un ; mon troisième roman est achevé depuis quelques mois, dont le titre est «Au nom de Zizou !», qui sera publié en 2011 si tout va bien. Et le quatrième : «Algérie, quand tu nous tiens !», attendra patiemment son heure.

Vous venez de créer en parallèle une maison d’éditions Belles-Lettres, comment percevez-vous le monde de l’édition et le marché du livre aujourd’hui ?

Comme la vie, l’édition est aussi une aventure ! Le marché du livre est tributaire d’au moins trois facteurs : la qualité des publications et leur promotion, le prix et l’école qui doit instiller le goût des mots, exhorter à la curiosité et à la création. Dans ce triangle, les libraires jouent aussi un rôle de premier ordre, avec une bonne présentation en rayon, avec leurs conseils, chaque lecteur trouvera son livre. Or, toute carence porte tort à toute cette chaîne qui doit impérativement travailler de concert.

Où en est la numérisation du livre en Algérie? Et que pensez-vous en tant qu’écrivain et éditeur du passage du support papier au numérique ?

Actuellement, la numérisation n’est qu’une chimère en Algérie, où déjà la lecture est le parent pauvre de la culture ! Triste constat ! Le passage du papier au numérique sera néanmoins une question de temps et, sous l’effet de la mode, l’algérien succombera aisément aux sirènes du numérique. Pour ce qui est de ma personne, rien, absolument rien, ne pourra me changer du papier tant ce dernier a du charme, et une odeur qui instille le plaisir de lire !

Entretien réalisé par S. B.

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