Le ministre des Finances devant les députés de l’APN / Les opérations cadastrales seront achevées d’ici 2014

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La problématique du foncier en Algérie se pose surtout en termes d’assainissement juridique, opérations complexe où plusieurs acteurs sont appelés à coopérer ensemble pour la faire avancer et lui donner la consistance que réclament les attributs de l’économie moderne.

Abordant jeudi dernier, le sujet devant les députés de l’Assemblée populaire nationale, le ministre des Finances, M. Karim Djoudi, dont le département abrite trois structures liées au foncier (la direction des Domaines, les services des Conservations foncières et la direction du Cadastre), a annoncé que l’opération du cadastre général sera achevée  » d’ici fin 2014 « . Pour ce faire, ajoute-t-il,  » des mesures visant à accélérer le rythme des travaux ont été prises « . Les chiffres donnés par le ministre sur l’avancement de cette opération montrent que des progrès ont été réalisés, mais qu’il y a encore du pain sur la planche pour les cadres et agents de l’Agence nationale du Cadastre à travers l’ensemble du territoire national. Jusqu’à 2010, les superficies cadastrées sont : 8,3 millions d’hectares de terrains ruraux, sur un total de 11,5 millions d’hectares ; 146 000 hectares de terrains urbains, sur un total de 500 000 hectares ; 167 millions d’hectares steppiques, sur 230 millions d’hectares. M. Karim Djoudi reconnaît que le rythme des opérations cadastrales demeure lent ; c’est pourquoi, le ministère des Finances a procédé à un certain nombre de réformes au sein de l’Agence nationale du Cadastre. De même, le dépôt des dossiers du cadastre est localisé au niveau des communes.

La complexité des opérations cadastrales est réellement liée à l’histoire et aux vicissitudes du foncier, donc à l’histoire socioéconomique de notre pays, depuis au moins la période turque jusqu’aux nationalisations opérées dans le cadre de la révolution agraire, en passant bien sûr, par les expropriations coloniales décidées dans le cadre de la loi du Senatus-concult de 1863.

La nouvelle économie algérienne ouverte sur le marché consacre comme nouveau principe sacré la propriété privée. Mais, cette avancée juridique, portée aux nues par le capitalisme mondial triomphant, se greffe, dans notre pays, sur des structures souvent archaïques. La meilleure illustration en est le statut du foncier en général et la place qu’y tiennent les terres privées, aârchs, communales et domaniales en particulier. La catégorie des terres aârchs est, de ce fait, une véritable épine dans le fouillis des textes relatifs au foncier. A l’échelle de toute l’Algérie, des dizaines de familles, représentant parfois des centaines de personnes, revendiquent une même parcelle indivisée et sur laquelle, elles ne détiennent aucun document (titre de propriété). Généralement, l’administration et les collectivités locales assimilent ce genre de propriété à un bien communal tout en évitant d’y envisager une quelconque transaction ou un éventuel investissement, sachant pertinemment qu’il y aura une levée de boucliers de la part de dizaines de prétendants dispersés pourtant aux quatre coins du pays. Ainsi, des milliers d’hectares, parfois d’une terre de grande qualité agricole, sont pris en otage à la manière des terres de mainmorte appartenant aux habous et communautés religieuses. C’est une véritable situation d’impasse où les prétendants ne peuvent y investir et où les autorités ne peuvent en faire un objet de transaction pour en rendre possible l’exploitation. Une situation intenable qui ne profite à personne.

Les heures confuses de la propriété

S’agissant de la propriété privée, elle, non plus, n’échappe pas aux travers et écueils qui grèvent ce dossier : indivision, héritage collectif, absence de titre de propriété absence de dévolution successorale et absence d’autres titres tels que l’acte notarié l’acte de possession, d’affectation ou de concession. Tout une gamme de litiges et d’obstacles juridiques font du foncier un des maillons faibles de la relance économique tant chantée sur tous les toits. Même certaines indemnisations liées aux expropriations induites par la construction d’ouvrages d’utilité publique (barrages hydrauliques, autoroute, universités, hôpitaux, gazoduc,…) n’arrivent pas à s’effectuer dans les règles de l’art et les dossiers traînent indéfiniment en raison de l’absence de pièces justifiant la propriété.

Dans ce contexte de confusion réglementaire et procédurière inhérente au foncier, la mafia des terres agricoles et des réserves foncières a pu, du moins temporairement, ‘’tirer son épingle du jeu’’ en dilapidant les meilleures terres du pays dans des opérations de transactions illégales, délictuelles et même criminelles. Des walis et des présidents d’APC sur qui la justice détient des dossiers sont présentés devant les tribunaux. D’autres responsables de pareils actes réprimés par la loi se sont soustraits aux sollicitations de la justice en se réfugiant à l’étranger.

Il faut dire que jusqu’à un passé récent, le dossier du foncier n’a pas été entouré de tout l’intérêt que requiert un tel facteur de développement. Car, c’en est un et des plus importants, particulièrement dans cette phase sensible de la croissance économique du pays. On ne peut pas, en effet, concevoir des investissements (nationaux ou étrangers) sans la disponibilité immédiate de l’assiette foncière entourée de toutes les garanties relatives à son exploitabilité.

Ce n’est qu’en 2008, qu’une Agence nationale d’intermédiation et de régulation foncière (ANIRF) a été créée. Celle-ci a pour mission d’établir et de réguler le marché du foncier dans une perspective de promotion de l’investissement. La ressource foncière est considérée comme un capital à côté des moyens humains, financiers et matériels qui conditionnent l’acte d’investissement. Dans notre pays, la plupart des projets d’investissement, particulièrement ceux ayant une certaine envergure, sont confrontés à la donne foncière dont la gestion manque visiblement de clarté et de rationalité.

Tous les secteurs d’activité à un moment ou à un autre du développement et de l’expansion de leurs domaines d’intervention, sont confrontés à ce qui est vaguement appelé le problème du foncier. Qu’il s’agisse de bâtir des logements sociaux, un dispensaire, une mosquée, un lycée ou de chercher à investir dans l’industrie, l’agroalimentaire ou l’agriculture, l’écueil de l’assiette foncière surgit pour contrarier les efforts les plus déterminés et les politiques les mieux élaborées. Il constitue la hantise des commissions de choix de terrain au niveau des communes, des daïras ou de la wilaya.

Réflexes de régularisation

L’émergence de conflits fonciers au cours de la dernière décennie est due à deux facteurs essentiels : d’abord, le retour à la terre en tant qu’activité économique créatrice de richesses après un abandon qui aura duré des années, voire des décennies pour certaines familles exilées dans d’autres coins du territoire national ; ensuite, la précarité du statut de salarié et la fermeture des entreprises publiques qui ont poussé des ménages à se fixer à la campagne et, partant, à se rappeler leurs anciennes propriétés ou des lopins hérités par simple dévolution coutumière.

Or, une propriété c’est d’abord des limites, un plan cadastral, une figure géométrique. De l’imprécision de ces limites ou de la volonté d’une autre partie à empiéter sur la propriété du voisin naissent des conflits inextricables qui traînent devant les tribunaux.

Il est incontestable aussi que des appétits se sont aiguisés à la suite de la mise en œuvre de la politique des pouvoirs publics relative au développement rural ou des aides et des soutiens sont accordés pour la construction rurale, les forages et bassins d’eau, les plantations fruitières, les bâtiments d’élevage,…etc. Une grande partie de ces ouvrages exige que soit produit un titre de propriété du terrain sur lequel ils doivent être érigés. Cela a fini par provoquer des réflexes de régularisation de la propriété processus qui, malheureusement, n’est pas bien huilé y compris dans les communes cadastrées. Des conflits interminables surgissent alors entre voisins, cousins et autres parents alliés. Des sommes colossales sont englouties dans les batailles de procédure faisant le bonheur des auxiliaires de justice (avocats, notaires, experts fonciers,…). À ce propos, notre appareil judiciaire est en train de faire face à des situations parfois inédites en matière de gestion et d’arbitrage du foncier. La formation de son personnel a certainement besoin d’être renforcée dans le droit foncier. Ailleurs, dans les pays développés, ce sont des tribunaux fonciers spécialisés qui traitent ce genre de dossiers.

Un important facteur de développement

Le capital financier, la ressource humaine, les moyens matériels et le foncier sont les principaux moyens ou facteurs que l’entreprise est censée mobiliser pour entrer en activité et se maintenir dans la sphère économique. Pour n’avoir pas été pris en considération à temps comme un des facteurs essentiels du développement économique de l’entreprise en particulier et du pays en général, le foncier a joué de mauvais tours pour de nombreux projets d’investissements nationaux et étrangers. Dans plusieurs communes d’Algérie, la revendication de la propriété privée est attisée par les projets étatiques d’expropriation pour utilité publique. Dès qu’un projet d’infrastructure est initié par les pouvoirs publics sur des terres privées même marginales, la levée de boucliers des héritiers, exploitants ou ayants-droits se met en branle et peut même remettre en cause la réalisation du projet conçu par les pouvoirs publics. Le passage de gazoducs et oléoducs, la construction de barrages hydrauliques, les voies des grands transferts hydrauliques actuellement mis en œuvre dans plusieurs wilayas du pays, ont soulevé de multiples problèmes en valorisant des parcelles de terrain qui, jusque-là étaient laissées en friche. On a même assisté dans certains endroits à la plantation de ‘’dernière minute’’ d’oliviers sur l’itinéraire d’un futur gazoduc une fois que l’information a circulé sur le linéaire que va suivre cette conduite. Sans pourtant pouvoir produire aucun justificatif de propriété les auteurs de tels actes espèrent se faire indemniser par une politique de harcèlement où la municipalité la daïra et la wilaya sont sollicitées pour appuyer des ‘’réclamations’’ de citoyens voulant tirer une rente d’une ancienne poche de terre laissée à la marge de tout investissement. Quant à la propriété privée proprement dite, elle non plus, ne manque pas de poser des problèmes entre particuliers (voisins, parents, co-exploitants,…) et entre particuliers et pouvoirs publics lorsqu’il s’agit des programmes d’aide à l’habitat rural et de soutien à l’économie rurale par le truchement de certains programmes de développement. Absence de titres de propriété ou d’arrêter de concession ou d’affectation, indivision, absence de dévolution successorale, tout un éventail de cas problématiques qui dissuadent les meilleures volontés portées sur l’investissement et le développement. Les voies imaginées par les municipalités pour contourner l’absence de titres de propriété ou les cas d’indivision (par l’établissement d’actes de possession, prescription acquisitive) ne vont pas sans accrocs ; en effet, dès affichage dans les mairies de telles procédures, des dizaines d’oppositions- fondées ou fantaisistes- pleuvent sur les services communaux. Et, dans ce cas de figure, les procédures de règlement et d’arbitrage sont tellement lentes et onéreuses qu’elles finissent par décourager tout le monde, y compris le plaignant qui a introduit une opposition. Les espoirs mis dans les opérations cadastrales sont relativisés par la lenteur des travaux de cet organisme public et par les moyens limités dont il dispose. Dans beaucoup de wilayas, la moitié des communes formant le territoire ne sont pas encore cadastrées. Il faut dire que même cette opération n’est pas exempte de contestations puisque les antennes régionales de l’ANC (Agence nationale du Cadastre) reçoivent des requêtes de citoyens à chaque passage de leurs services dans les communes.

Amar Naït Messaoud

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