Document : Matoub Itinéraire d’un barde…

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Lounès se rappelait également, très bien, le jour où les Kabyles qui vivaient à Alger débarquèrent chez eux fuyant l’OAS. Il s’en souvenait très bien puisque leurs enfants ramenèrent leurs jouets de qualité.

La vie de Lounès été très agitée, il a vécu des moments tragiques qui ont marqué sa carrière d’ artiste. Sa carrière artistique était indissociable de son combat politique. Depuis la sortie de son premier album A Yizem anda tellid ? (Ô lion où es-tu ?) Matoub Lounès célèbre les combattants de l’indépendance et fustige les dirigeants de l’Algérie auxquels il reproche d’avoir usurpé le pouvoir et de brider la liberté d’expression. Chef de file du combat pour la reconnaissance de la langue berbère, Matoub Lounès est grièvement blessé par un gendarme en octobre 1988. Il raconte sa longue convalescence dans l’album L’Ironie du sort (1989). Violemment opposé au terrorisme islamiste, Matoub Lounès condamne l’assassinat d’intellectuels. Il fût cependant enlevé le 25 septembre 1994 par un groupe armé puis libéré au terme d’une forte mobilisation de l’opinion kabyle. La même année, il publie un ouvrage autobiographique Le Rebelle et reçoit le Prix de la mémoire des mains de Danielle Mitterrand. En 1995, Matoub Lounès participe à la marche des rameaux en Italie pour l’abolition de la peine de mort, alors qu’en mars 1995, le S.C.I.J. (Canada) lui remet Le Prix de la Liberté d’expression. Le 25 juin 1998, Matoub Lounès fût assassiné sur la route menant de Tizi-Ouzou à Ath Douala en Kabylie (Algérie) à quelques kilomètres de son village natal. Les conditions de ce meurtre n’ont jamais été élucidées. Les funérailles du chanteur drainèrent des centaines de milliers de personnes, et la Kabylie a connu plusieurs semaines d’émeutes et de deuil. Son dernier album Lettre ouverte aux…, paru quelques semaines avant son assassinat, contient une parodie de l’hymne national algérien dans laquelle il dénonce le pouvoir en place. «Mais la paix renaîtra un jour et mes chants parmi vous célébreront à nouveau le printemps si cher à nos cœurs..». L’auteur de ces lignes s’appelait Lounès Matoub, star de la chanson kabyle et héros dans sa région natale, Tamazgha.

Enfance

Le 24 janvier 1956, au milieu d’une conjoncture marquée par la guerre d’Algérie, naquit Lounès Matoub au sein d’une famille humble, dans la région d’Aït Douala dans la Kabylie montagneuse, à une vingtaine de kilomètres de Tizi-Ouzou.À l’aube de son enfance, commença à pousser chez Lounès un germe d’indocilité un germe qui fera de lui un « rebelle ». En revanche, au cours de cette période où l’on ne trouve guère place à l’innocence, il essaya de refouler toute idée d’oppression en risquant de mettre le feu à son village ; c’est sa façon à lui, en tant qu’enfant de s’insurger, de s’extérioriser, de dire non à la domination. Parti en compagnie d’un groupe d’enfants turbulents comme lui dans une cabane pour fumer discrètement. Il met par accident le feu à la cahute. Les troupes françaises se déplacent sur les lieux et une double enquête, sur les troupes françaises et sur les maquisards a lieu. Finalement ce n’était qu’un petit enfant, innocent et révolté appelé Lounès Matoub. Il en était fier ! A l’ombre d’une situation difficile, marquée par l’émigration des algériens en France – surtout les Kabyles – à la recherche d’un emploi pour assurer une certaine vie à sa famille, le petit Lounès est contraint de vivre loin de son père parti en exil. Il deviendra ainsi le « petit homme » du foyer, aux côtés de sa mère et grand-mère qui occupaient ensemble leur maison à Taourirt Moussa. Après la naissance de sa sœur Malika, en 1963, il garda toujours son statut de « l’homme de la maison », il demeurait, alors, gâté en dépit des carences multidimensionnelles dues à la misérable situation où sombrait l’Algérie colonisée. Pour se consoler de l’absence de son père, Lounès nourrit un puissant attachement à sa mère qu’il considérait « merveilleuse ». En effet, c’était elle qui veillait sur les besoins de la maison en l’absence de son mari. En ces moments rudes, la mère de Lounès endossait toutes les charges ; elle se soumettait aux exigences de la vie quotidienne, chez elle ou ailleurs, et prenait en charge son enfant. Tout en s’absorbant dans le travail, qu’il soit à la maison (dans la cuisine, surtout la préparation du couscous), aux champs… elle chantait – afin de se consoler – ce qui avait suscité chez son enfant une vigoureuse volonté de s’aventurer dans la chanson. Héritant le critère oral qui détermine la culture berbère, elle racontait à son fils, chaque soir, des contes kabyles desquels le futur chanteur acquiert un lexique d’une richesse « terrible ». Consciente de ce que vaut l’instruction, la mère de Lounès insistait pour que son fils fréquente l’école avant d’atteindre l’âge requis. Mais, Lounès voyait en celle-ci une cellule, une prison qui le privait de beaucoup de préoccupations puériles ; il lui réservait moins d’importance. Scolarisé en 1961 à l’école de son village, une des vieilles écoles de Kabylie construite à la fin du siècle dernier, Lounès était un enfant bavard et ce durant toute sa scolarité. Ce qui lui a valu d’être renvoyé de l’école à plusieurs reprises. Cependant, il préférait courir derrière la « liberté », celle qu’il retrouvait quelque part ailleurs, loin de l’école, à la chasse « pratiquement kabyle » ; poser des pièges, tendre des lacs… Véhiculé par l’innocence et l’inconscience enfantine, il se souciait moins de ses devoirs scolaires que des aventures puériles. Tout en se référant au combat opposant l’armée française à l’ ALN, les enfants tel que Lounès, qui estimait les maquisards, fabriquaient des « armes » afin de peindre ce combat et lui donner une image qui leur est propre. Étant un petit enfant, Lounès n’était pas apte à garder en mémoire tous les événements qui se sont produits durant la guerre, néanmoins il se rappelait bien quelques scènes qui ont marqué son enfance, demeurant gravées dans sa mémoire. C’est le cas des ratissages dont faisait l’objet son village, les tableaux représentant la complicité des harkis … Lounès se rappelait également, très bien, le jour où les Kabyles qui vivaient à Alger débarquèrent chez eux fuyant l’OAS. Il s’en souvenait très bien puisque leurs enfants ramenèrent leurs jouets de qualité. Bien que l’école ne l’intéresse pas, l’image des pères blancs qu’il apprécie autant qu’il respecte leur enseignement marquera sa mémoire. Pour lui, ces « religieux » représentaient une lueur lui éclairant – et pour tous les enfants de sa génération – une vision sur un monde moderne qui tient ses racines de l’ancien, plutôt des ancêtres. D’ailleurs, d’après lui toujours, ils leur enseignaient même des cours d’histoire, de « notre civilisation » ; celle de Jugurtha. En outre, ils apprenaient aux filles à coudre, à tisser et presque toutes les activités manuelles… Plus loin encore, ils s’impliquaient dans le mouvement de la guerre aux côtés des Algériens. Par conséquent, ces instructions ont contribué à faire de Lounès un homme, auquel la question identitaire devient une priorité une préoccupation fondamentale, objet de son anxiété même. Dans un sens large, il était reconnaissant à cette qualité d’enseignement qui incarnait l’ouverture d’esprit pour ainsi devenir un véritable militant de la démocratie. Issu donc d’une école, peut-on le dire, française, il avait le privilège de maîtriser la langue de Voltaire qui suscitera son appétit à la lecture. Il lut alors Mouloud Mammeri, Albert Camus, Jean Amrouche … et Mouloud Feraoun. Mais en 1968, la loi de Boumédiène portant l’arabisation de l’école – Ahmed Taleb alors, ministre de l’éducation s’en est chargé – vint tel un coup d’épée. Lounès la considérait arbitraire, telle une provocation, et même une agression à toute une région de l’Algérie qu’est la Kabylie. Il éprouvait dès lors un rejet catégorique à la langue arabe et de même à l’école coranique de l’époque dite « Zawiya ». Bien que conscient du danger auquel il s’exposait par cette décision il n’hésitera guère, plus tard, à crier haut et fort que le FIS, plutôt tous les intégristes soient un produit, pur et net, d’une école algérienne sinistrée.

A lire en deuxième partie

Dans l’édition de demain

– Son cursus scolaire au lycée de Bordj Ménaïel

– Son initiation à la politique

– Son succès à l’Olympia en avril 80

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