Algérie-Europe : cap sur le rural

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Outre les programmes nationaux de développement rural initiés et mis en œuvre dans le cadre du PNDAR (plan national de développement agricole et rural) depuis 2002, ou dans le cadre du Renouveau rural mis en place depuis la fin 2008, l’Algérie a jeté de fécondes passerelles avec des partenaires étrangers dans ce domaine important de la vie économique et sociale du monde rural.

Les deux projets d’emploi rural (PER 1 et PER 2) ont bénéficié de financements de la Banque mondiale et ont apporté des nouveautés en matière d’approche des communautés rurales. Ces dernières ont été intégrées d’une manière vigoureuse dans les projets mis en œuvre sur le terrain.

C’est la méthode d’approche participative des populations telle qu’elle est préconisée par tous les organismes et les instances internationales versées dans le développement rural, à l’image de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) ou du FIDA (Fonds international du développement de l’agriculture).

Dans le cadre de la coopération algéro-européenne, une convention a été signée en 2007, entre le ministère de l’Agriculture et du développement rural et la Commission européenne pour la mise en œuvre d’une stratégie de renouveau rural. Le montant de cette convention s’élève à 18 millions d’euros dont 11 millions sont à financement européen et 7 millions à financement algérien (ministère de l’Agriculture). Ce projet s’étale sur une période de trois années et est censé s’achever à la fin de 2010.

Dans ce contexte, trois communes-pilotes sont choisies pour servir d’exemple d’intervention spécifique en milieu rural : Saharidj dans la wilaya de Bouira, Bouty Sayah dans la wilaya de M’Sila et Zelfana dans la wilaya de Ghardaïa.

En optant pour ces trois communes, les concepteurs de tels projets ont voulu embrasser, par les expériences ainsi proposées à l’initiation, les différentes régions écologiques et biogéographiques d’Algérie, à savoir le Tell, les Hauts Plateaux et le Sud. En effet, les méthodes d’intervention dans ces différentes zones, particulièrement de par les modèles culturels existants et les systèmes de culture développés bien adaptés à chaque écosystème, sont appelés à épouser les mentalités, les us et coutumes et les traditions locales, de façon à en tirer le savoir-faire ancestral et le background technique pour les fertiliser avec les données de la science et de la technologie.

Les cycles de formation lancés en mars dernier, en direction des acteurs locaux (techniciens agronomes, forestiers, élus, monde associatif) visent à étendre l’appréhension du diagnostic du territoire et le processus d’initialisation et de formulation de projets ruraux en concertation étroite avec les populations concernées. A l’ancienne méthode descendante (stricte logique pyramidale) est censée se substituer une méthode de conception ascendante émanant des discussions avec les concernés, à savoir les populations rurales. Ce sont les méthodes d’approches participatives telles qu’elles sont été initiées dans d’autres pays du monde depuis des années et qui font aussi parties du processus de décentralisation et de démocratisation à la base. Cette démarche constitue pour le personnel technique et de gestion concerné un outil innovant en matière d’intervention en milieu rural aussi bien au niveau du territoire, en tant qu’espace physique, qu’au niveau des communautés rurales en tant que groupements humains soumis aux aléas de l’histoire économique et aux données sociologiques des régions considérées.

Pour une culture du dialogue

Les cadres qui ont eu à se confronter à ces nouveaux outils méthodologiques ont bien apprécié ce saut qualitatif consistant à concevoir le développement à partir de la base.

Le diagnostic socio -participatif et les enquêtes de terrain ont permis une meilleure appréhension des enjeux économiques, sociaux et environnementaux qui se posent aux communautés rurales.

Le contact étroit avec les populations et le dialogue confiant instauré lors des enquêtes préliminaires ont permis d’étoffer et de dépasser les traditionnels travaux de statistiques que comportent toutes les études d’aménagement rural. En effet, au-delà des chiffres du chômage, des infrastructures et des équipements existants, du cheptel et des autres données quantifiables, le dialogue socio-participatif permet indubitablement de dégager d’autres réalités moins ‘’visibles’’ par les chiffres. L’histoire des traditions économiques, des conduites culturales, des spéculations agricoles, des pratiques artisanales et des productions du terroir, les aléas climatiques et le processus d’érosion n’ont de chance être approchés que par ce courant d’échange d’information entre l’équipe du projet et les populations rurales.

Pour le territoire considéré du projet, les limites objectives des ressources naturelles et leur utilisation peu rationnelle sont ainsi mises en exergue. Pour le territoire du Tell, la rareté du foncier, le facteur de pente et de climat, les conflits familiaux, la pression démographique ont été relevés comme étant des contraintes avec lesquelles il y a lieu de composer pour asseoir un plan de développement local ; tandis que les prédispositions des jeunes à s’organiser en associations pour perpétuer et moderniser l’ancestrale ‘’djemaâ’’, est considéré comme étant un facteur positif, encourageant pour les initiateurs de tels projets.

Dans la région de Bouty Sayah, en tant que zone pastorale et steppique, l’offre fourragère pour l’élevage ovin extensif constitue l’enjeu essentiel de l’économie locale. Il se trouve que cette offre fourragère a atteint ses limites, du fait de plusieurs facteurs, que le travail d’enquête-ménage et de réunions en groupes de discussion (focus-groups) a essayé de cerner et de circonscrire.

Au niveau du territoire saharien de Zelfana, les enjeux sont, sans doute, plus complexes même si des potentialités naturelles (eau, sol) et des disponibilités humaines (associations) existent.

Ces forums de discussion ont conduit les deux parties (techniciens/élus et porteurs de projets) à identifier les problèmes qui sont à l’origine de la dégradation générale du niveau de vie et de la pauvreté qui grèvent ces foyers ruraux. L’enchaînement logique des problèmes (causes et effets, effets se constituant en d’autres causes) a conduit les participants à élaborer un arbre à problèmes dont le sommet de la pyramide nous amène à la situation vécue actuellement : pauvreté et chômage.

Montage collectif des projets

Aux problèmes évoqués dans le schéma, les groupes de discussion ont essayé d’apporter des réponses. A ce niveau de réflexion et de travail, deux points majeurs sont à mettre en exergue dans le processus de formulation de solutions. Premièrement, le forum de discussion constitue un terrain où se confrontent les idées et les vœux confus des populations- avec parfois des solutions ‘’fantaisistes’’- et les idées portées par les cadres de l’équipe multidisciplinaire basées sur leur background et leur technicité. Il importe aux techniciens de modérer l’expression des solutions, de montrer les limites ou les inconvénients de certaines propositions et d’aider à orienter la recherche de solutions valides. Secundo, dans cette recherche de solutions valides, l’équipe du projet doit faire preuve d’intelligence et de tact pour exploiter les données du dialogue de façon à faire pencher les interlocuteurs sur leurs propres capacités, leur savoir-faire ancestral pour en dégager éventuellement des propositions de solutions.

Pour élaborer une stratégie de développement rural à l’échelle de la localité toutes les alternatives ont été explorées par l’équipe du projet conjointement avec les populations. L’arbre à solutions a été ainsi dressé collégialement en tenant compte des limites et des contraintes imposées par les traditions administratives et d’hypercentralisation des structures de l’Etat.

L’implication des élus, du monde associatif et des notables a joué un rôle non négligeable dans la conduite des regroupements et des discussions.

L’importance de ce mode d’intervention pour l’initiation des projets de développement n’est plus à démontrer.

Cependant, comme toute méthode nouvelle et se voulant novatrice, elle se heurte à certaines résistances culturelles, sociales et administratives. Des agents de développement et même des cadres n’ont pas manqué de faire cette observation : cette formation doit être généralisée aux échelons supérieurs, là où les décisions administratives sont élaborées.

Cette observation nous renvoie au fait que la communication rurale telle qu’elle est envisagée par la méthode d’approche participative, préfigure une forme de démocratisation à la base, processus qui donne toute son importance à l’avis de la population et à la collégialité de la prise de décision. Ce sont aussi le savoir-faire et la culture des communautés qui sont appelés à être valorisés pour assurer la durabilité des projets et la continuité du processus de développement.

Prendre en charge la pluralité des intervenants

L’un des aspects de la conception et de la gestion actuelle des projets de développement rural qui se met au travers du processus de la promotion réelle de l’approche participative, c’est bien la prise en charge de l’intersectorialité telle qu’elle est mise en avant par les pouvoirs publics. Sur ce plan, l’organisation et la mobilisation des structures appelées à intervenir dans la conduite de projets de développement rural gagneraient à être prises en charge d’une manière plus efficiente et moins bureaucratique.

Pour étendre la méthode d’approche participative aux autres projets de développement rural, il importe de préparer le terrain sur le plan de l’organisation (structures et ressources humaines appelées à y intervenir).

L’autre originalité de ce genre de projet est leur prise en charge dans la phase pratique (procédures et mise en œuvre sur le terrain) par les associations locales. Ce sont elles qui s’occupent des procédures d’appel d’offres, du choix des partenaires et prestataires de travaux, de la réception des ouvrages et du suivi-évaluation.

Les actions retenues sont celles que réclame le développement en milieu rural : arboriculture, mobilisation des ressources hydriques, opérations de désenclavement, etc.

Au-delà des résultats physiques attendus sur le terrain, c’est surtout le processus d’apprentissage, de capitalisation pédagogique et d’organisation autonome de la société qui représente le grand espoir dans ce genre d’opération et de coopération avec une institution internationale telle que la Commission européenne.

En plus de ces projets de coopération, l’Algérie mène depuis 2007, une stratégie de renouveau rural parallèlement aux différents dispositifs de soutien accordés à l’agriculture professionnelle. La politique de développement rural touche les franges les plus vulnérables des populations ayant des revenus trop bas, des propriétés réduites, morcelées et souvent sans titre de propriété. Initiée depuis l’année 2003, sous le nom de PPDR (projets de proximité de développement rural), les projets actuels entrant dans la politique de renouveau rural constituent un apport économique et social non négligeable aux ménages et populations vivant dans l’arrière-pays rural montagneux ou de la steppe et visent à stabiliser les populations dans les villages et les hameaux où elles vivent et à aider ceux qui ont quitté leurs foyers à y retourner.

Pour ce faire, des actions relevant de plusieurs secteurs d’activité ont été programmées pour améliorer le niveau de vie de ces populations et atténuer, un tant soit peu, le phénomène du chômage qui a pris des proportions inquiétantes dans ces contrées et rehausser le niveau de vie des populations.

Amar Naït Messaoud

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