Par : Mohand Said Medjdoub
Cela se passe dans la wilaya de Bouira et précisément dans la Commune de Saharidj, daïra de M’Chedallah. Nous étions, ce 1er Novembre 2010, au niveau du cimetière de Chouhada du douar Taddart Iwakuren, afin de rendre hommage, avec beaucoup de fierté à nos valeureux parents, tombés au champ d’honneur. Comment ne pas être sensible à la forte émotion et aux larmes de notre cher Cheikh Amar (Amarouche Amar), lors de sa prise de parole avant la levée du drapeau. La voix enrouée, très peu audible, il peina à dire quelques mots. Cet ancien prisonnier de la France coloniale, en compagnie de plusieurs personnalités algériennes, eut le même courage d’antan de ne dire mot sur sa peine du jour. Il fallait le faire parler et il finit par » lâcher » pour enfin exprimer d’abord, sa fierté du devoir accompli, mais aussi sa déception et son amertume au vu du piteux état du cimetière et de l’abandon injuste de notre Douar. Comment ne pas être également sensible au déchirement et aux forts sentiments de notre non moins cher Hadj M’Hend (Arab M’Hend), lors de la levée de l’emblème national. Il y avait sur le visage de cet ancien moudjahid, de la fierté et du souvenir, mêlés à de la déception et de l’indignation. Servir est son leitmotiv. Il est le président de Tajmait (comité du douar) depuis plusieurs années. Il n’est toujours pas fatigué. Lui et ses compagnons de lutte ainsi que l’ensemble de la population regrettent que les chouhada soient traités de la sorte, que notre Arch, le seul de la wilaya de Bouira a être évacué et rasé durant la guerre, est encore resté en ruine et sans âme. Nous sommes les oubliés de l’Etat Algérien, disait-il, avec beaucoup de tristesse. Nous n’avons pas reçu les fruits de notre participation à la lutte de Libération et nous revendiquons le droit de voir notre douar totalement restauré pour nous permettre d’y habiter, avec toutes les commodités (eau, électricité école, routes bitumées, pistes agricoles, aides et soutiens financiers de l’Etat etc). La seule présence de la population de Taddart Iwakuren ne suffit pas pour rendre hommage à ses martyrs et à honorer leur mémoire. Ils sont un peu abandonnés et oubliés là haut, à 1000 m d’altitude. Lala Khedidja, en face, veille heureusement sur eux. Comment accepter l’état de délabrement très avancé de ce lieu et ne pas exprimer sa révolte ? Portail sans serrure, clôture descellée, carrelage défoncé noms illisibles, herbes sauvages partout, béton érodé par l’eau, marches d’escaliers entièrement détachées, eaux stagnantes, détritus de tous genres, tombes totalement cassées etc. Comment prétendre honorer la mémoire de nos vaillants chouhada lorsque, même, à la veille d’un 1er Novembre, le moindre égard ne leur est pas accordé. Ce 1er Novembre, nos 44 martyrs, du haut des 1000 m d’altitude ont été oubliés, un peu ignorés. L’APC de Saharidj n’a procédé ni au nettoyage ni même à l’embellissement du cimetière, comme elle l’a fait un peu partout. Ce cimetière, vieux de 43 années, a été inauguré par le colonel Krim Belkacem, le colonel Ouamrane, le colonel Mohand Oulhadj et d’autres personnalités, responsables de l’ex wilaya III de la Grande Kabylie. Le président Boumédiene avait fait parvenir un message de félicitations et de regrets de ne pouvoir y être présent, par le biais d’une forte délégation. Quel beau témoignage de la grandeur de notre Arch Iwakuren ! Soucieux du devoir, la population de Taddart Iwakuren a vite réagi et dans l’urgence, après un contact vain avec l’APC, par une opération de volontariat organisée et dirigée par la dynamique Association Taddukli et à sa tête le non moins dynamique Ahmed Boutemeur qui était au four et au moulin, se dépensait sans compter pour la réhabilitation de l’âme du douar. C’est ainsi que le 1er Novembre 2010 a été modestement célébré dans notre Douar. Pour rappel, notre Arch Iwakuren, constitué de deux anciens douars et uni maintenant à Raffour, a enfanté de pas moins de 114 chouhada, tombés au champ d’honneur.
Iwakuren a été un des bastions de la grande résistance et un lieu des grandes batailles.
Ils ont aussi été un peuple d’engagement exemplaire et de totale confiance. N’est-ce pas à Iwakuren que le colonel Amirouche pouvait se permettre, lors de ses fréquents passages, de se déchausser et s’y reposer ? Il ne se déchaussait que rarement car il était très vigilant et en perpétuel déplacement.
N’est-ce pas à Iwakuren que Malika Gaïd trouva la mort ? Sa stèle y est toujours visible.
Dda Arab Awakur (Hamraoui Arab, encore vivant) fût parmi les premiers condamnés à mort par la France coloniale, aux côtés, entre autres, de Rabah Bitat, Ali Zamoum, Bachir Boumaza, Zabana.
Da L’Mouloud Awakur (Chahid lieutenant Amrouche Mouloud) a activement milité et participé à la tenue au Congrès de la Soummam.
D’autres noms, parmi les 114 chouhada et les moudjahidine encore en vie, ont marqué la guerre de Libération par leur fidèle engagement et par leur bravoure sans faille.
Ils méritent tous, les meilleurs des égards et beaucoup de respect. C’est un devoir de notre part.
Compte tenu des difficultés qu’a eu l’armée Française à maîtriser l’Arch Iwakuren, elle décida, en Juin puis le 4 novembre 1957, d’évacuer la population puis de raser totalement les deux douars (Ighzer et Taddart). Les mortiers les ont ensuite réduits en ruines.
Les ruines sont malheureusement encore présentes.
La population implore les autorités locales et à leur tête monsieur le Wali dont le maintien à la tête de notre wilaya a suscité contentement et espoir, afin de rendre la vie à Iwakuren possible par :
– Le rétablissement de l’alimentation en énergie électrique. Un projet que monsieur le Wali a accordé et que nous attendons depuis 2 années.
– La restauration du cimetière des chouhada et le bitumage de son accès : L’enveloppe financière a été débloquée et réservée.
– L’amélioration du stockage et de l’adduction en eau potable. Effet bizarre pour un douar de montagne : Nous achetons souvent de l’eau en citerne pour nos projets de construction.
– Le bitumage de quelques tronçons de routes.
– La restauration de l’école primaire.
– L’ouverture des pistes agricoles.
– Autres besoins
Après le 1er Novembre, Taddart Iwakuren se prépare pour célébrer un autre grand événement : Celui du 04 Novembre 1957, date à laquelle la population a été évacuée et les maisons rasées (prévu pour le vendredi 5 novembre 2010).
Nous ne pouvons oublier ce malheureux souvenir et nous souhaitons l’ajouter au parcours historique de notre Arch.
La presse, un grand cinéaste et des invités seront parmi nous.
Nous voulons en faire un grand jour et nous espérons que des réponses soient données à nos doléances afin de nous permettre de goûter à d’autres jours agréables, fruit de notre mérite, tant historique que présent.
Que les pouvoirs locaux, à commencer par l’APC de Saharidj, en passant par la daïra, les services Techniques et les directions de wilaya, la Sonelgaz et monsieur le wali, nous viennent en aide et en soutien avec la réalisation des projets susceptibles de réanimer la vie à Iwakuren.
Nous sommes à l’écoute de ce qui sera entrepris et nous gardons un réel espoir pour que les prochains jours soient bons et beaux pour nous éviter d’autres déceptions et nous faire oublier ce long temps perdu.
Comment convaincre la jeunesse d’aujourd’hui de prendre le flambeau lorsque nous n’avons aucune réponse à donner à ces enfants qui se demandent pourquoi est-ce que le cimetière est dans cet état et pourquoi est-ce que les tombes des chouhada sont complètement défoncées ?
Nos excuses à nos valeureux chouhada et merci à tous les responsables locaux pour leurs promptes réactions au profit d’un douar en détresse.
M. S. M
Taddart Iwakouren