L’APN et le jeu institutionnel face aux besoins de la société : La représentation populaire prise en otage

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L’actuelle guéguerre qui a pris ses quartiers dans les travées de l’Assemblée populaire nationale est, avouons-le, loin de constituer une joute à même de profiter aux citoyens-électeurs dans leur vie quotidienne. Elle a plutôt pris l’allure de vils règlements de comptes politiques par l’interposition de la supposée défense des intérêts des citoyens. Le feuilleton semble se renouveler à chaque fois que le gouvernement se présente devant les députés pour exposer son bilan ou son programme, et les populations n’arrivent plus à donner du crédit à ce chahut élisant domicile au sein d’une Assemblée qu’ils ont mal élue en mai 2007.

“Le sens de l’histoire s’acquiert en y participant un peu», disait l’Italien Baldini. Comme pour les autres domaines vitaux de la vie institutionnelle de l’État, nous pourrions dire la même chose, sinon davantage, de l’Assemblée législative. Pourtant, pour sa problématique élection avec un taux de 36,65%, s’étaient affûtés les outils de l’artillerie sémantique, s’était enflée la rhétorique et se multiplièrent les promesses. Le mot “participation’’ prend ici tout le sens que lui reconnaît la théorie politique et l’exigence citoyenne. Là où le téléspectateur ou le citoyen “représenté” croit déceler une saine et fondée opposition, il ne s’agit généralement que d’agitations politiciennes consistant à marquer symboliquement sa présence pour justifier, comme dans certaines administrations obsolètes, son salaire et son statut.

Et c’est sans grand étonnement que l’on se rend compte que l’esprit des citoyens électeurs est ailleurs, c’est-à-dire sur le front social -manque d’argent liquide dans les bureaux de poste, eau polluée du nouveau barrage de Tichy-Haf, inondations de plusieurs localités du pays, inflation démentielle à quelques jours de l’Aïd El Kébir,…- et se posent des questions qui, en toute logique, auraient dû être aussi posées et débattues par les députés.

Certes, les députés sont en droit de déplorer que le gouvernement n’ait pas présenté selon le canevas qu’ils jugent adapté le bilan de son action. Ils sont assurément aussi dans leurs rôle lorsqu’ils réclament de suivre et de contrôler l’utilisation de l’argent public via les différents budgets de l’État. Cependant, qui peut aujourd’hui évaluer l’apport de l’Assemblée populaire nationale à l’édifice institutionnel et au processus démocratique supposés soutenir la marche de l’Algérie vers des lendemains meilleurs ? Quel député partie ou autre instance, y compris les secteurs les plus concernés de l’administration se sont avisés de présenter un bilan critique, ne serait-ce que sommaire, d’une session ou d’une série de sessions de l’APN ?

Un tel travail aurait permis aux citoyens-électeurs de jauger du chemin parcouru, des dossiers traités et des insuffisances qu’il y a lieu, le cas échéant, de combler ou de rattraper lors des prochaines sessions de l’Assemblée ? Nous n’avons pas connaissance d’un tel souci chez nos élus ou chez les départements de l’Exécutif qui sont censés suivre les propositions des projets de lois soumises aux députés pour examen et adoption.

Casser l’infamant grief de “caisse de résonance”

Pour toutes les peines que le pays s’est donné pour asseoir une ‘’mécanique’’ institutionnelle à façade démocratique, ce déficit de suivi et de présentation de bilan devrait inquiéter à plus d’un titre. L’on ne peut pas, en tout cas, se contenter de ce qui est appelé habituellement la sanction populaire qui, soutient-on, pourrait faire barrage à des députés de se représenter ou au parti auxquelles ils appartiennent de réaliser de bon scores. La complexité des jeux institutionnels et la débandade de la classe politique jettent un tel brouillard sur les missions de l’APN et du Sénat qu’une telle éventualité c’est-à-dire la sanction populaire, demeure un vœu pieux, voire une virtualité. Seule une vie institutionnelle stable et dégagée des interférences parasitaires pourra un jour, si le pays s’engage résolument dans la voie démocratique, faire valoir les choix citoyens et leurs corollaires obligés, la sanction par les urnes et l’alternance au pouvoir.

Il y a lieu de reconnaître que le mode fonctionnement des deux chambre parlementaires n’est pas au-dessus de toute critique. Loin s’en faut. Notre bicaméralisme inspiré des schémas de démocraties avancées ne cadre pas toujours avec les espoirs et la philosophie censés être le moteur des ces assemblées.

On ne peut honnêtement dissimuler les insuffisances ou de faire semblant d’oublier les griefs faits au fonctionnement de l’Assemblée populaire nationale par certains partis politiques et par des personnalités indépendantes. On peu grossièrement résumer ces griefs probablement dans ce verdict peu glorieux qui fait de cette noble institution une « caisse de résonance » de l’Exécutif. Certains, en forçant un peu le trait, ont carrément déclaré la confusion entre l’exécutif et le législatif, pourtant constitutionnellement bien distincts.

Les griefs les plus prégnants ont trait à la procédure des ordonnances à laquelle a recours parfois le gouvernement pour faire passer ses projets de loi. Que peuvent valoir sur le plan technique et sur le plan de légitimité politique, des ordonnances proposées à l’Assemblée pour une adoption en bloc, sans aucun débat ? Il est fort possible que, globalement et dans leurs objectifs et esprit, ces ordonnances soient d’une importance capitale dans la vie de la Nation. Il n’est pas non plus à exclure qu’elles émanent d’une réelle volonté de l’exécutif de mettre de l’ordre dans un secteur donné et de le doter ainsi d’une réglementation salutaire. Néanmoins, les départements ministériels initiateurs des projets d’ordonnance et même les services de la présidence-lorsque de telles initiatives en émanent-ne sont pas infaillibles. Les débats institués au sein de l’Assemblée et du Sénat sont justement conçus pour corriger le tir, amender, enrichir ou annuler des articles ou des paragraphes du texte proposé. Ce sont là les fondements même du travail législatif.

Pour les projets de loi qui ont bénéficié de débats en plénière ou lors des questions orales adressées au gouvernement, le cours de la discussion prend souvent un aspect politicien et électoraliste qui lui ôte tout intérêt pratique ou technique. On l’a vu à plusieurs occasions, ce genre de palabre se transforme en règlements de compte politiques; parfois, il constitue l’occasion pour le député de s’adresser à sa bourgade d’élection d’une façon directe ou indirecte, en espérant le renouvellement de son mandat électoral.

A quand le travail de fond ?

Pourtant, le mandat actuel, qui s’achève en mai 2012, est théoriquement riche en thèmes qui font l’actualité économique, sociale et politique du pays. Les projets de lois qui sont passés par l’Assemblée populaire nationale constituent les grandes lignes directrices pour les actions de développement de notre pays dans les prochaines années. À lui seul, le plan d’investissements publics 2010-2014 forme l’ossature économique et sociale appelée à prolonger celle des deux premiers plans quinquennaux mis en œuvre depuis 1999.

Depuis au moins les trois dernières années –qui font aussi l’âge de la présente législature-, l’Algérie a été une véritable ‘’bouilloire ‘’ sociale, ce qui n’a pas trouvé de prolongement ou d’écho dans les ranges de l’Assemblée. La grève des lycée à frôlé les deux mois en 2009. C’était, à proprement parler, une situation d’ ‘’urgence’’ que les représentants du peuples auraient pu et dû étudier séance tenante avec le ministre de l’Éducation. Des analyses et des déclarations de plusieurs parties (presse, partis politiques, personnalités indépendantes,…) s’accordent que les résultats de l’examen du baccalauréat cuvée 2010 seraient loin de correspondre à la réalité. Ils seraient plutôt des résultats ‘’politiques’’ destinés à ‘’pacifier’’ la fronde du monde de l’Éducation. L’APN est restée de marbre devant ces graves insinuations.

La commission d’enquête, on la verra par contre dans un autre domaine, celui de la lutte contre la corruption. Bel idéal, s’il en est. Cependant, l’un des initiateurs même de l’idée, le député Ali Brahimi, souligne dans son texte liminaire les limites objectives de cette action. En effet, se piquer d’un sursaut de patriotisme face aux scandales de la corruption tels que colportés par la presse est certainement une bonne chose. Néanmoins, le caractère trop général de la requête déposée par un vingt-cinq députés se lie les mains par un certain nombre de préalables dont deux son clairement affirmés : ne pas traiter des affaires déjà prises en charge par l’appareil judiciaire et examiner d’une façon trop générale les procédures et les contrat qui peuvent donner lieu à des actes de corruption.

Dans ce domaine, le travail de fond est sans doute de consacrer définitivement l’indépendance de la justice pour enquêter sur les malversations et autres actes de dilapidation des deniers publics.

Amar Naït Messaoud

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