Les amours interdites et passionnées de deux cow-boys dans l’Amérique profonde des années 60-70, filmées avec sensibilité par le cinéaste taïwanais Ang Lee, ont stupéfié et conquis vendredi les festivaliers vénitiens. Les jeunes premiers Heath Ledger et Jake Gyllenhaal incarnent les deux protagonistes de “Brokeback mountain”, Ennis Del Mar et Jack Twist, qui se rencontrent au Wyoming lorsqu’un propriétaire de ranch les envoie un été sur les pentes isolées de la montagne de Brokeback garder son troupeau de moutons. Peu à peu, leur relation de camaraderie s’intensifie et ils deviennent amants, mais la fin de l’été les sépare et ils retournent à leur vie antérieure: Ennis épouse son amour d’adolescence tandis que Jack épouse une Texane rencontrée lors d’un rodéo.Ennis et Jack se retrouvent quatre ans plus tard et doivent admettre que le temps n’a pas éteint leurs sentiments, bien au contraire, mais le poids de la morale et leur vie de famille compliquent cet amour qu’eux-mêmes ont du mal à gérer. Après l’adaptation littéraire de “Raison et sentiments”(1995) de Jane Austen, les acrobaties époustouflantes de “Tigres et dragons” (2000), Ang Lee revient donc sur un thème déjà abordé dans sa comédie “Garçon d’honneur” (1993), où un jeune Taïwanais installé à New York faisait un mariage blanc pour éviter d’avouer à ses parents qu’il était gay.La difficulté d’être gay, que ce soit vis à vis de soi-même ou vis à vis de la société, est au coeur de son film, émouvant sans être mélodramatique. “+Brokeback+ est une grande histoire d’amour épique qui représente le rêve d’une complicité totale et honnête avec une autre personne”, résume Ang Lee.Ang Lee fait voler en éclat aussi bien les clichés sur l’homosexualité (“La cage aux folles” semble un lointain souvenir) que ceux sur le cow-boy macho, incarné en leur temps par Gary Cooper et John Wayne. Mais il se défend d’avoir fait un film politique : “Je n’ai pas pensé à l’acte politique, je voulais simplement raconter une histoire d’amour”. “Pour moi, l’amour est un sentiment universel, c’est la même chose entre deux hommes ou entre un homme et une femme”, a-t-il affirmé lors de sa conférence de presse.Alors que le personnage de Jack est prêt à quitter sa femme pour vivre pleinement son amour, Ennis n’arrive pas à sauter le pas : traumatisé par le souvenir d’un homme lynché parce qu’il vivait avec un autre homme, il a honte de ses sentiments même s’il ne parvient jamais à les étouffer.Seule échappatoire : les deux hommes se retrouvent régulièrement pour des “parties de pêche” dans la montagne, nouvel Eden à mille lieues de toute autre présence humaine.“Brokeback”, en compétition pour le Lion d’or, a été longuement applaudi lors de sa projection, devenant du même coup un candidat potentiel pour ce prix. Dans l’autre film présenté vendredi en compétition, “Takeshi’s”, le cinéaste japonais Takeshi Kitano incarne lui-même un acteur à succès de films de yakuza, Beat Kitashi, mais aussi son double raté, Kitano, un acteur qui court en vain les auditions et gagne sa vie comme caissier dans un supermarché.Sans véritable fil narratif, ce film dans la veine de “Dans la peau de John Malkovich” entraîne le spectateur dans un univers onirique et fantaisiste, qui voit Kitano se glisser dans la peau de l’acteur Beat Takeshi et celle des personnages violents qu’il incarne à l’écran.Le réalisateur de “Zatoichi” le reconnaît lui-même : “Je ne prétends pas que les spectateurs comprendront ce film, je veux seulement qu’ils ressentent quelque chose et se divertissent”, a-t-il affirmé lors de sa conférence de presse, où il est apparu les cheveux teints en blond.