Les aspirations des populations en stand-by

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Cela fait trois ans jour pour jour, le 29 novembre 2007, que les assemblées locales (APC et APW) ont été élues ; c’était six mois après le flop électoral des législatives du mois de mai. Le renouvellement des assemblées locales- cinq ans après les très controversées élections de 2002, sur fond de fronde kabyle, charriée par le Printemps noir et deux ans après les partielles de Kabylie par lesquelles on a cherché à “corriger’’ la notion d’“indu-élus” mise en avant par les coordinations des Aârchs- était vue comme une nouvelle étape par laquelle il fallait sans doute passer pour espérer refonder la relation entre élus et citoyens, administration et administrés.

Les limites d’une telle ambition se sont vite révélées à l’ensemble des observateurs et des citoyens-électeurs lorsque certaines APC n’ont pas pu être installées six mois, voire une année pour certaines, après le déroulement des élections. Celles qui ont été installées ont souffert des mésententes entre élus et des défis insurmontables qui les attendaient sur le terrain. A ce jour, des mairies continuent à être fermées aussi bien par des populations mécontentes de la gestion de leur commune que par des élus qui sentent n’avoir aucun “atome crochu’’ avec le maire.

Il reste encore deux ans pour le renouvellement des mandats électoraux. A l’échéance 2012, un nouveau code de la commune sera en application. Il a été adopté il y a quelques mois en Conseil des ministres et il sera présenté dans quelques jours devant les députés de l’Assemblée nationale. Les premiers éléments d’information parvenus à la presse font état de la persistance de l’hégémonie de l’administration dans la nouvelle mouture du Code de la commune. Le wali et le chef de daïra demeureront apparemment dans une position de suprématie.

Happés par les difficultés quotidiennes d’une vie de plus en plus chère, les citoyens ne peuvent pas, dans l’immédiat, ajouter foi à des vœux ou des projections mille fois réitérés et autant de fois différés. Il y a même des phénomènes qui les invitent à plus de pessimisme lorsqu’ils constatent que, depuis le scrutin de novembre 2007, qui a porté à la tête des APC, de nouveaux exécutifs municipaux, leur commune est toujours prise en otage par les luttes homériques entre élus. Retrait de confiance, blocage des délibérations, poursuite de la gestion opaque des affaires de la collectivité démissions en cascade, emprisonnement de maires,…etc.

En outre, les espoirs apparus en 2006 au sujet d’une nouvelle division administrative du pays qui consacrerait un peu plus de décentralisation et de déconcentration des pouvoirs sont appelés à être ravalés du fait que ni le nouveau ministre de l’Intérieur ni le Premier ministre ne semblent chauds dans l’immédiat pour l’application d’un nouveau schéma territorial. Ils l’ont dit expressément, contrairement à Yazid Zerhouni, ancien ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, qui a maintenu le suspens jusqu’au jour de son départ.

Municipalité et services publics :comment combler le hiatus ?

Au-delà des problèmes spécifiques liés au passif d’une gestion communale peu soucieuse de l’imbrication des questions sociales, foncières, d’aménagement urbain et de gestion de services publics, la majeure partie des problèmes posés au niveau des exécutifs communaux au cours des trois dernières années sont ceux liant cette première entité administrative du pays au reste des instituions situées horizontalement et souvent verticalement par rapport à elle (daïra, différentes directions de la wilaya, entreprises de réalisation, bureaux d’études,…).

Le nouveau code communal, par-delà les lourdeurs qui risquent de grever la relation qu’il établit entre les élus et l’administration, comporte principalement une nouvelle vision de l’institution municipale à laquelle il compte conférer d’autres prérogatives telles que les possibilités des emprunts bancaires destinés à réaliser des investissements qui rapportent de l’argent (marché centre commercial, abattoir,…). Comme, il donne la possibilité à l’APC de déléguer la gestion de certains services publics à des organismes privés. Le domaine de compétence du secrétaire général de mairie sera également redéfini étant entendu que, contrairement à l’élu, celui-là signifie la pérennité et la permanence de l’institution.

L’on sait que la notion intimement liée à l’administration locale est celle de service public. Celle-ci est gravement occultée dans tous les débats hormis dans les articles de proximité publiés régulièrement dans les journaux qui font état de graves déficiences de certains services dans les villages et bourgades de l’Algérie profonde. Même en période électorale, le sujet ne paraît pas emballer outre-mesure les candidats, obnubilés qu’ils sont par des sujets plus généraux qui ne les engagent pratiquement en rien. Or, la conception de l’État à travers l’administration publique et à travers aussi les mandats confiés aux élus ne peut être ni cohérente ni complète si la relation administration/administrés et gouvernants/gouvernés ne se fonde pas sur une qualité des services publics qui soit à la mesure de l’argent que le contribuable y met et des attentes des citoyens en matière de cadre de vie.

Le citoyen et le client qui payent leurs impôts (à la source ou post ante) sont censés recevoir l’eau dans leur robinet lorsque le château qui sert leur quartier ou leur village est ouvert. Il se trouve que 40% du volume d’eau lâché dans les conduites (moyenne nationale) se perd dans les fuites. Certaines de ces fuites sont localisées dans les centres-ville, parfois à proximité des antennes de l’ADE (l’Algérienne des Eaux). Et que dire des petits bambins de l’école primaire dont le dos se trouve arqué faute de tables démunies de dossiers ? Pire, certaines tables ont perdu leurs planches et les écoliers posent leurs fesses directement sur les tubes en fer. Dans de telles situations, nous avons assisté à des scènes où la mairie et la direction de l’Éducation se renvoient la balle, et le grand perdant c’est toujours l’écolier qui subit aussi parfois les rigueurs du froid, lorsque le chauffage n’est pas assuré en classe, et les désagréments d’une nourriture sur le pouce lorsque le domicile familial se trouve loin de l’établissement et que ce dernier n’est pas doté d’une cantine scolaire. Les approvisionnements des cantines est un autre chapitre où viennent se heurter la cupidité immonde de certains fournisseurs sans scrupule, les intérêts opaques et délictueux d’agents chargés des contrats de fourniture et…la santé des écoliers qui semble être le dernier des soucis de tout ce beau monde.

Le baromètre de la qualité des services

Le cadre de vie ainsi que les questions d’environnement et de salubrité publique demeurent souvent le point noir de la gestion des communes. Les villes et villages d’Algérie sont écrasés par le poids des saletés et des décharges sauvages qui élisent domicile parfois à proximité des hôpitaux. Et pourtant, à de rares exceptions que vivent certaines communes réellement déshéritées, ce ne sont ni l’argent ni les moyens matériels qui font défaut pour instaurer propreté hygiène et quiétude dans les centres de vie que sont les villes ou les hameaux.

Pour rendre plus efficace et moderniser les services de l’administration, le président de la République a fait état, il y a deux ans, de la nécessité d’un nouvel encadrement technique pour les communes de façon à ce qu’elles puissent faire face aux différentes tâches de développement local et de gestion du territoire. Sur ce plan, de nouveaux postes budgétaires ont été accordés par l’administration de la Fonction publique aux mairies. Ces dernières ont commencé à recruter dans les corps de différents métiers des diplômés censés suivre, contrôler et réceptionner les projets de développement communaux.

Les finances locales sont appelées, elles aussi, à une refonte aussi bien sur le plan de la fiscalité locale que de l’utilisation des deniers de la collectivité.

Le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales vient de lancer une réforme importante dans l’administration en tenant à renforcer le mouvement d’informatisation de façon à toucher l’ensemble des prestations de l’Etat civil.

En outre, dans le cadre des réformes générales qui devraient toucher l’administration publique, les principes universels du service public ne pourront guère être occultés. Ce sont, entre autres, les notions de la continuité du service, car la satisfaction d’un besoin collectif impose que l’activité fonctionne de manière ininterrompue ; l’adaptation du service à l’évolution des besoins d’intérêt général ; l’égalité des administrés devant le service public ; et, enfin, la neutralité qui garantit l’universalité du service et la prééminence de l’intérêt général sur tout intérêt particulier. Cet idéal de la relation administration/administrés est censé réduire ou juguler les phénomènes de corruption, de concussion ou de trafic d’influence.

Dans le domaine des prestations fournies par la municipalité ou par des concessionnaires de services choisis par elle dans un cadre contractuel, le seul baromètre devrait demeure les usagers de ces services qui, dans leur écrasante majorité se montrent souvent satisfaits lorsqu’ils comparent la qualité des prestations fournies par rapport au monopole étatique d’antan caractérisé par une pesante bureaucratie et une criante incompétence. Néanmoins, cette nouvelle configuration des services publics n’exclut pas la possibilité d’abus, de dérapages ou de corruption. Étant soumis à la réglementation du code des marchés publics, les contrats de fourniture, de prestation de service ou de concession peuvent faire l’objet de manipulations et autres manœuvres frauduleuses. Les exemples sont légion. En tout cas, l’actualité de la gestion de nos communes confirme presque chaque jour que des dérapages et des dérives ont lieu. Des dizaines d’élus, ou parfois d’ex-élus, sont attaqués en justice pour malversations, corruption ou autres délits lié à la gestion municipale.

La nécessité et l’impératif de moderniser l’administration et les autres services publics ne sont plus, aujourd’hui, dictés par de simples récriminations ou pressions de citoyens outrés par le retard dans la délivrance d’un acte de naissance ou d’une fiche familiale ; ils vont bien au-delà pour embrasser la sphère économique dans ses segments les plus sensibles : investissements privés nationaux, investissements étrangers, relations entretenues par nos universités et nos entreprises avec les institutions étrangères,…etc.

C’est, en réalité toute la pyramide institutionnelle du pays qu’il importe de revoir à la faveur des efforts et des espoirs de la démocratisation de la société en faisant appel à tous les instruments politiques, législatifs et techniques liés à l’aménagement du territoire pour une véritable décentralisation du pays.

Amar Naït Messaoud

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