Il faisait froid à Bouira ce samedi, deuxième jour du week end. La ville que l’on a souvent assimilée à une “cuvette’’ voit ses températures frôler les 0 degrés en ce début du mois de décembre. Coincée entre deux chaînes de montagnes, le Djurdjura au nord et les Bibans au sud, Toubiret est comme un réceptacle des airs froids soufflant aussi bien du nord que du sud. Cependant, et à peine les premières heures de la matinée passées, le froid glacial laisse place à des températures plus douces.
Ce samedi, nous avons rendez-vous avec aâmi Mohamed, un artiste spécialisé dans la pierre, un des rares d’ailleurs à s’ y intéresser encore. Il tenait vraiment à nous faire découvrir sa passion et nous à montrer ses chefs d’œuvres. Il était 10 h lorsque nous embarquons à bord d’une petite cylindrée asiatique en direction d’Ahl El Ksar, commune située à une vingtaine de kilomètres du sud du chef-lieu de wilaya. Un petit tour en ville, le temps de faire quelques courses, et nous rejoignons la RN 5. De prime abord, aâmi Mohamed attire notre attention en s’interrogeant sur les horaires de travail des boulangers. A la première boulangerie où nous effectuons une halte, celle faisant face au château, a ouvert son rideau mais à l’intérieur, le local est déserté par ses propriétaires. Un commerçant du coin avise aâmi Mohamed en lui disant que la boulangerie en question est en travaux. Mais à première vue, rien n’indique que celle-ci, est fermée aux clients. Aucune pancarte ne l’indique en tout cas. Si cela nous renseigne sur quelque chose, c’est certainement sur l’anarchie qui caractérise l’activité commerciale. Nous continuons notre route en arpentant les artères de la vieille ville qui ressemble plutôt à un immense chantier. Il faut dire que depuis quelques temps déjà des travaux d’aménagement urbain ont été entrepris au chef-lieu. Chaussées, trottoirs, éclairages, rond-point, tout est entrain d’être refait. Tant mieux diront les citoyens de la ville qui voient enfin leur ville faire sa mue, après de longues années de stagnation. Aâmi Mohammed lui continue de faire le tour des boulangeries pour s’acheter du pain. Peine perdue, plus de pain en cette matinée de week-end en ville, où du moins au niveau des quelques boulangeries visitées. Il se résigna enfin et prendra des croissants, l’air un peu contrarié.
Sur la route d’Ahl El Ksar
Nous quittons la ville et au cours du trajet Mohamed évoquera certains sujets ayant trait à la situation du pays. Il nous parlera des années de braises qui l’ont contraint à quitter le pays et aller s’installer en France. Il dira avoir tout plaqué ses projets et sa passion pour la pierre, mais sans pour autant y renoncer complètement. Car il avait toujours eu l’intention de relancer son projet un jour pourvu que les conditions s’y prêtent. D’ailleurs, il finira par regagner le pays mais pour se consacrer cette fois-ci à la terre. Le véhicule “avale’’ rapidement les quelques 25 km reliant la ville de Bouira à Ahl El Ksar. Nous n’avons aucunement l’air de rouler à bord d’une petite cylindrée, tellement elle et confortable et d’une tenue de route irréprochable. Aux abords de la RN 5, des travailleurs, par dizaine, s‘affairent à arracher la pomme de terre dont la culture s’étale sur des centaines d’hectares. Les terres fertiles du plateau d’El Esnam sont connues pour leur excellent rendement. Elles font d’ailleurs la fierté de la wilaya, connue pour sa vocation agricole. Nous quittons la nationale 5 et nous empruntons un chemin de wilaya qui mène à Ahl El ksar, via un viaduc enjambant l’Autoroute est-ouest. Sur ce chemin bien entretenu mais pas très large, les pentes et les faux plats se succèdent et le carrosse les aborde sans grande difficulté. Et tout à coup, le décor change ! On passe des terres plates réservées à la culture du tubercule à des terrains plutôt surélevés aux reliefs plus au moins montagneux, plantés d’oliviers. Dans cette contrée de la wilaya, chaque famille possède ses oliveraies. Une culture très répandue dans la wilaya. Pour cette saison par exemple, les services agricoles (DSA) tablent sur une production de plus 6 millions de litres d’huiles d’olives. Une production nettement en hausse par rapport à celle enregistrée l’an dernier. A Ahl El Ksar et comme partout ailleurs à travers la wilaya, la cueillette des olives a, d’ores et déjà commencé et celle-ci ne se terminera que vers fin mars. Et le long du chemin conduisant au chef-lieu communal, l’on a constaté une forte affluence des familles au niveau des champs. Hommes, femmes et enfants y sont mobilisés. Parce que c’est le week-end et les conditions climatiques s’y prêtent, beaucoup de familles ksaries en profitent pour aller cueillir leurs olives. Nous continuons notre chemin et nous prenons un raccourci vers la localité d’Ighzer Goulgham, un ensemble de hameaux situés à la périphérie d’Ahl El Ksar. Et c’est là que réside aâmi Mohamed. La pente commence sérieusement à devenir raide. Après près de 2 kilomètres, nous quittons le bitume et nous nous engageons sur une piste très escarpée. Sur les 500 mètres qui nous séparent de la maison de la famille Rezkallah, l’engin motorisé a été mis à rude épreuve. Et c’est là que notre chauffeur interviendra pour nous apprendre que les habitants des hameaux du coin endurent cela chaque jour et depuis maintenant plusieurs années. “Une étude technique a été réalisée par l’APC par le passé mais depuis aucune nouvelle sur le revêtement de la piste’’, a-t-il déclaré d’un air dépité.
Un atelier dans une maison de ‘’troglodytes’’
Nous arrivons enfin au domicile de Aâmi Mohamed, une très belle villa à l’architecture moderne, une des plus en vue du quartier. Ce dernier regroupe plusieurs habitations familiales surplombant tout le hameau. Tout autour, de majestueux oliviers ornent les lieux. Au loin, on peut apercevoir Zriba, le chef-lieu de la commune. Le domicile de Aâmi Mohamed d’une superficie de près de deux cent mètres carrés lui sert à la fois de logis pour la famille et d’atelier de travail. “Ce que vous voyez ici est ma maquette témoin’’, nous a-t-il expliqué. Sur place, trois jeunes dont le fils et les deux neveux de Aâmi Mohamed sont à pied d’œuvre. Ces jeunes formés par l’artiste travaillent sur la clôture de la villa. Sur l’échafaudage, pinceau à la main, un des jeunes pose soigneusement une couche de peinture sur les contours des différentes pierres ornant la muraille. Ces contours fabriqués en métal enjolivent davantage l’ouvrage. En effet, le travail consiste à insérer des plaques préalablement usinées d’épaisseurs uniformes, et de formes variées, dans des profils métalliques, de façon à la présenter sous forme de mosaïque avec des vides qui recevront des volutes d’ornement en fer forgé. Lesquelles sont solidement fixées aux profilés encadrant les plaques. Ainsi, on obtient une menuiserie metalo-pierre solide et harmonieuse. Ce procédé s’appelle VPPM et il vise à valoriser et promouvoir la pierre et le marbre. Et comme il nous l’a bien expliqué l’artiste lui-même, le procédé est conçu pour répondre aux exigences d’architecture sur moult aspects, entres autres esthétique et culturel. Pour notre interlocuteur, le procédé VPPM est un process original et inédit. “ Celui-ci est surtout mûri à faire dans l’innovation pour l’utilisation de la pierre et marbre comme matériaux nobles, destiné aux œuvres de prestige et haut standing en l’intégrant dans plusieurs usages tels que, clôture, pavage, revêtement et toiture’’, a-t-il encore ajouté. Pour réaliser ses chefs d’œuvres, l’artiste a surtout besoin de la pierre. Celle-ci Aâmi Mohamed l’a ramenée pratiquement de toutes les contrées d’Algérie. On retrouve aussi bien des pierres de la région d’El Asla (Ain Sefra), celles d’El Bayadh, Laghouat et de Taourit d’Ath Mansour. D’ailleurs, plusieurs de ces pierres ornent la muraille de clôture de la villa. Au sein de celle-ci, la pierre demeure omniprésente. C’est le cas d’une table basse fabriquée en dalle bleue. Notre attention sera particulièrement attirée par un roc minutieusement taillé sur lequel des peintures rupestres ayant été reproduites. Des dizaines de pierres similaires se trouvent entreposées sur les lieux. Après leur acheminement, l’équipe de travail procède à leur découpage, puis vient l’étape du mariage avec les profilés, ensuite intervient la soudure. Une fois ces étapes achevées, viennent enfin celles de la pose et de la peinture. Il faut dire qu’un tel processus n’est pas du tout aisé à réaliser. Il requiert du talent et de l’attention, comme il fait surtout appel à beaucoup d’imagination. Sans cela, un tel travail n’est pas possible.
Plus qu’un métier, une passion
Aâmi Mohamed est passionné par son métier, c’est une vraie histoire d’amour entre lui et la pierre qui a pris naissance au début des années 80. C’est lors d’une foire organisée à Alger en 87, où se tenait une exposition de machines qu’il a eu l’idée de s’intéresser à la pierre. Il décida alors à lancer un petit projet, même si rien ne le prédestinait à ce métier. Après un passage à l’école normale de Tizi-Ouzou, il poursuivra une carrière d’instituteur qu’il quittera très tôt. Plus tard, Il poursuivra une formation dans le domaine des travaux publics pour devenir conducteur des travaux. Au début des années 90, M. Rezkallah s’associe avec des partenaires espagnols pour l’exploitation du gisement d’Ath Mansour, mais cette collaboration ne durera pas longtemps, car les conditions à l’époque ne s’y prêtaient pas. La détérioration de la situation sécuritaire et le manque de moyens financiers ont eu très vite raison de lui. A propos de ce gisement d’Ath Mansour, il nous fera savoir que celui-ci, s’il est exploité mécaniquement peut assurer une production durant encore près de 70 ans. En ce moment, ce gisement est exploité d’une manière anarchique et avec des moyens rudimentaires. Il s’installe en France pour quelque temps et il finira par regagner le pays. Même s’il a toujours nourri l’espoir de relancer un jour son projet, il abandonnera ses ambitions pendant un bout de temps pour se consacrer à sa concession domaniale. Un terrain concédé par la conservation des forêts pour les habitants de la localité dans le cadre de la valorisation des forêts. Aâmi Mohamed a gardé sa concession où il y travaille toujours. Il y a planté près de 2.000 plants d’oliviers qu’il voit pousser un peu plus chaque jour. Seulement, depuis quelques mois, Aâmi Mohamed décide de relancer son projet qui lui tenait vraiment à cœur en consacrant cette fois-ci toute son énergie et son temps. Il commence par installer un petit atelier de travail chez lui et engagea trois de ses proches auxquels il a commencé à enseigner les techniques du travail. Actuellement, ils y travaillent sur sa villa qui ressemble à une vraie maquette. Ce n’est qu’un début, nous expliquera Aâmi Mohand, qui semble très confiant en l’avenir. Il nous évoquera quelques uns de ces projets dont une collaboration avec une architecte expérimentée. A côté de cela, M Rezkallah compte installer un grand atelier sur sa concession domaniale. Selon notre interlocuteur, cet investissement va permettre la création de près de 20 postes d’emplois. A présent, il y travaille et il compte beaucoup sur la collaboration des autorités de wilaya. Aâmi Mohamed envisage aussi d’ouvrir prochainement un show room dans la ville de Bouira. Il est certain que cela ne laissera personne de marbre, ni de pierre.
Djamel.Moulla
