Le pneu pour conjurer le mauvais œil !

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Après de longues années de bons et loyaux services en avalant des centaines de milliers de kilomètres de route, le vieux pneu reste très convoité. Les vulcanisateurs l’accrochent sur leurs devantures pour identifier leur activité les émeutiers s’en servent pour barricader les axes routiers, et la superstition lui trouve un rôle vertueux : conjurer le mauvais œil ! Selon une croyance encore tenace, la moitié des morts, gisant dans les cimetières, est le fait du mauvais œil. Quelle est donc cette mystérieuse et satanée ogresse dont le pouvoir mortifère est plus virulent que tous les fléaux sociaux réunis et qui, suprême cruauté s’arroge le «droit» d’envoyer «ad patres» la moitié de l’humanité. Pourquoi diantre ! cet organe de la vision, ce miroir de l’âme, symbole de vigilance, de perspicacité qui sert autant à manifester ses émotions, à marquer sa connivence ou aguicher, est-il affublé d’un si abominable maléfice ? Comme toute superstition, le mythe du vieux pneu sur le toit, censé écarter le mauvais œil, ne repose naturellement sur aucun substrat rationnel. Une vaste fumisterie en somme, œuvre de parano, dont la crainte irraisonnée n’a d’égal que leur crédulité. Le reste n’est qu’affaire de suivisme et d’ignorance crasse. Le procédé ne requiert pas, il est vrai, de se triturer les méninges. Encore moins bourse délier. Apparue à l’Ouest du pays, cette pratique anachronique s’est propagée à la vitesse d’un cheval bien dressé et au galop, pour essaimer dans toute la kabylie. Dans la vallée de la Soummam notamment, rares sont les toitures des habitations individuelles qui n’offrent pas ce contraste saisissant : une antenne parabolique, signe d’intention de la modernité et d’ouverture sur l’universalité trônant à côté d’un pneu usagé survivance d’un réflexe médiéval, archaïque et stérile ! Il s’en trouve même des nababs qui ont investi des fortunes pour ériger leurs lambris dorés et ont fini par se résoudre à en amocher le frontispice en y accrochant un vieux pneumatique. Tant qu’à faire, ne seraient-ils pas mieux inspirés, ces gogos, d’augmenter le nombre jusqu’à former une couronne autour de leurs demeures. Les pneus agiraient comme autant de remparts contre ce fichu mauvais œil, qui n’aura alors d’autre échappatoire que de prendre, pour de vrai, pour de bon, la poudre d’escampette !

N. Maouche

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