De même, le monde associatif ne semble pas être indifférent à ce bel idéal d’apporter son soutien à ces deux catégories de la population algérienne.
S’agissant particulièrement de l’enfance, et au vu de la complexité de la situation induite par les transformations sociales, le challenge paraît des plus ardus.
En effet, les différentes mutations démographiques, économiques, culturelles ayant affecté au cours des deux dernières décennies la société algérienne, les valeurs de l’éducation et de la culture ainsi que les grands repères sociaux ont été chamboulés de fond en comble. Il s’ensuit que les franges les plus exposées de la société- à savoir les femmes, les personnes âgées et les enfants- voient peser sur eux de multiples dangers (déchéance physique et morale, agressions, déviations sociales…).
Le recul des ‘’acquis sociaux’’ hérités de l’ère de l’économie ‘’socialiste’’ a eu ses effets les plus pernicieux au sein de la frange de l’enfance. La déscolarisation enregistrée dans certaines zones rurales éloignées en est un exemple probant.
Les parents ne pouvant plus assurer les fournitures scolaires, la cantine et le transport vers le collège situé à quelques kilomètres de là se résolvent à retirer l’enfant de l’école. La justification se trouve renforcée par le besoin de main-d’œuvre dans le foyer familial, dans l’exploitation agricole ou un quelconque atelier où le père ne peut pas embaucher un ouvrier en bonne et due forme. Le phénomène prit de l’ampleur dans les zones insécurisées au milieu des années 1990 et prit une autre tournure lorsque des ateliers de fabrication de chaussures, chaussettes ou autre lingerie, des chantiers de construction,…etc. se mirent à recruter à tour de bras des enfants de 12 à 16 ans, y compris des filles pour les travaux de couture et de ménage. Bien entendu, ces adolescents ne peuvent pas être déclarés aux assurances sociales. Ce que les télévisions nous montraient il y a quelques années comme un phénomène habituel dans les pays du sud-est asiatique, et que les organisations internationales de la protection de l’enfance ont toujours condamné commence à s’installer chez nous sous le règne de l’économie de bazar. Les considérations d’ordre ergonomique, moral ou social n’ont presque plus court chez la faune des entrepreneurs ou patrons qui ont recours à ce genre d’embauche. L’appât du gain, la cupidité le silence presque complaisant des parents ont fait une fatale jonction qui fait perdurer la déchéance de l’enfance dans le monde mercantile et égoïstement sordide des adultes.
Si dans certains pays du Sud-est asiatique des enfants des deux sexes sont réduits à un simple objet alimentant un pervers tourisme dit sexuel, la dérive algérienne dans le traitement de l’enfance s’est plutôt nourrie d’autres facteurs liés à des archaïsmes sociaux, à des perversions dues à des frustrations sexuelles ou à une nouvelle forme de chantage exercé par les réseaux terroristes ou par d’autres bandes de truands.
Sorcellerie ou trafic d’organes ?
Ainsi, depuis une dizaine d’années, de jeunes enfants, parfois des bébés, habitant certaines bourgades rurales se trouvent la cible de femmes organisées en réseau et qui viennent les enlever pour des buts que l’on dit de sorcellerie ou de trafic d’organe. Ici, la prudence s’impose. Si les actes de rapt sont réels, la destination ou l’utilisation du corps n’est jamais complètement élucidée. La tradition, relayée par la légende du milieu hermétique de la sorcellerie, rapporte que des organes, y compris le sang, de bébés ou d’enfants d’un certain âge seraient utilisés pour envoûter ou désenvoûter un mari, un amant ou un fils qui ne répond plus aux attentes du partenaire ou du proche. Quels que soient les macabres desseins des kidnappeuses, les faits gravissimes sont là inqualifiables.
Dr. Bekkat, président du Conseil national de déontologie médicale, a remis en cause, en 2009, la foi des informations qui ont circulé dans la rue prétendant l’existence d’un rapport de causalité entre le kidnapping des enfants et le vol des organes humains. Il a qualifié cette opération de techniquement impossible. « L’hypothèse du vol des organes humains qui a accompagné la série de kidnappings des enfants en Algérie, et qui a semé panique et terreur auprès des familles algériennes n’est qu’intox dans la mesure où il est impossible de la mettre en pratique », soutient-il. Il a ajouté que la transplantation nécessite des conditions et des facteurs d’une extrême précision et sensibilité. « Il ne s’agit pas d’une question de pièces de rechanges de véhicules que l’on pourrait utiliser facilement » a-t-il ajouté.
Le Dr Bekkat a expliqué que les organes d’enfants, tels que le foie et le cœur et autres organes, qui ont été volés dans certaines régions, sont utilisés pour la sorcellerie. Il était convaincu que la majorité des enfants ont été kidnappés pour des questions de règlements de comptes.
Une chose paraît certaine : les réseaux algériens ne disposent pas encore des techniques permettant la ‘’mise à disposition’’ et le transfert d’organes pour les laboratoires situés à l’étranger. On est en tout cas loin de la situation ayant prévalu en Amérique latine au cours des années 1980 où des enfants, souvent vivants, étaient transférés dans des laboratoires clandestins de l’Amérique du Nord. Ce fut un marché florissant qui a maintenant fortement décliné à la suite des bouleversements politiques dans les pays ‘’exportateurs’’ d’organes et du resserrement du contrôle sur les laboratoires utilisateurs.
Cependant, les enlèvements d’enfants pour des buts de sorcellerie ont tendance à être plus ou moins vérifiés dans certaines régions du pays. Il en est ainsi à Ahnif, dans la wilaya de Bouira, où, au cours du mois de novembre 2008, des femmes étrangères à la région, femmes qu’on dit être des nomades, et qui se sont présentées en tant que mendiantes ont tenté de kidnapper un enfant de 12 ans et un bébé de 14 mois, comme elles avaient tenté de prendre des bijoux dans les foyers qu’elles ont sollicités. L’affaire est passée le 16 mai dernier devant la cour de Bouira Les deux principales accusées ainsi que leurs quatre autres acolytes ont été condamnées à trois ans de prison avec sursis. Ce genre d’actes se sont multipliés depuis le début des années 2000 dans certaines zones de montagne et des Hauts Plateaux. Les investigations et les enquêtes, aussi bien des services de sécurité que des sociologues, n’ont jamais pu élucider de façon déterminante les objectifs réels et pratiques qui motivent de tels comportements.
Nouveau filon : enfant-rançon
À la suite d’une macabre jonction/confusion entre le terrorisme et le banditisme lucratif, un nouveau monstre a fait son apparition pour porter atteinte à l’innocence des enfants. En effet, au cours de ces dernières années, plusieurs demandes de rançon ont été exprimés par des kidnappeurs d’enfants, particulièrement lorsque leurs parents sont des entrepreneurs ou des commerçants.
Pour sauver leurs enfants, les parents sont presque toujours amenés à verser de fortes rançons. Ces dernières sont ‘’négociables’’ depuis le plafond fixé par les ravisseurs par le moyen du téléphone portable jusqu’à la somme ‘’raisonnable’’ que finira par consentir l’homme d’affaires en la déposant dans un buisson, une grotte ou autre lieu conclu d’un commun accord.
Le traumatisme vécu par les enfants suite à cette mésaventure n’a sans doute pas été mesuré dans toute son ampleur, y compris par les parents, qui ont pourtant les moyens financiers d’agir dans ce sens en sollicitant les services d’un spécialiste psychologue par exemple.
Des enfants ont été portés disparus suite à des kidnappings constatés par des témoins ou suite à une sortie sans retour. Parmi ces disparus, les services de sécurité et parfois de simples citoyens partis à leur recherche, finissent par découvrir la barbarie indicible. Certains ont été mutilés après des abus sexuels. D’autres ont été jetés dans un puits ou une décharge publique. En tous cas, des images choquantes et insoutenables qui contraignent parfois ceux qui les découvrent à des traitements psychologiques de longue durée. Au moment de la grande offensive terroriste sur les populations civiles désarmées, de telles images se multipliées à l’échelle du pays. Les assassins y ont même mis un funeste redoublé d’imagination pour mettre à mort d’innocents enfants et même des bébés. Le traumatisme pour l’ensemble de la société a été profond, même s’il ne se montre pas toujours en surface d’autant que, à la même occasion, de jeunes filles âgées d’à peine 12 ou 14 ans sont été enlevées et présentées comme des trophées de guerre aux émirs des maquis. Les viols dont elle firent l’objet de la part de ces sanguinaires ont abouti à la naissance des enfants dans les maquis. Pendant des années, des familles clandestines s’étaient constituées dans les grottes. Lors de trêve signée avec l’armée, des processions de femmes et d’enfants descendirent de la montagne sans papiers d’état civil et sans livret de famille. Pour les inscrire à l’école, et même pour recevoir un vaccin dans un dispensaire, fallait régulariser leur situation.
Dans le même contexte des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, des femmes violées par les terroristes ont donné naissance à des enfants que l’État a fini par prendre en charge sans que leur filiation soit établie.
Ainsi, une génération entière d’enfants que l’Algérie est censée intégrer dans la société vivent le traumatisme, sans doute permanent, de ses origines problématiques liées à un épisode noir de l’histoire de l’Algérie contemporaine.
Amar Naït Messaoud

