Egypte : Que veulent les frères musulmans ?

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Pour la première fois depuis cinquante ans, le pouvoir égyptien et les Frères musulmans ont repris langue officiellement. Représentants de la principale force d’opposition du pays, certains membres de la confrérie ont participé dimanche au dialogue national engagé par le vice-président Omar Souleiman.

Fondée en 1928, dissoute en 1954, officiellement interdite mais tolérée par le pouvoir, l’organisation est devenue un acteur majeur pour sortir de la crise qui paralyse le géant arabe.

Une force politique incontournable ?

Les Frères musulmans ne sont pas à l’origine du mouvement de contestation qui a fait vaciller le gouvernement, mais ils en sont peut-être les principaux bénéficiaires. Présents sur les barricades de l’emblématique place Tahrir et dans les rues d’Alexandrie, ils se sont mêlés aux opposants laïques, à ceux de gauche et aux adeptes des réseaux sociaux sur Internet. « La logistique de la confrérie a été indispensable aux manifestants de la place Tahrir. Elle leur a fourni des médecins, de la nourriture, des couvertures, et c’est ce qui a permis au mouvement de durer », note Tewfik Aclimandos, historien et chercheur associé à la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France. Ralliée à la Coalition nationale pour le changement qui demande le départ immédiat du président Hosni Moubarak, la formation d’un gouvernement de transition, la levée de l’état d’urgence, des réformes constitutionnelles et des élections libres, la confrérie est restée officiellement en retrait. Mais cette Coalition est « un mouvement hétéroclite et désordonné qui rassemble autant de points de vue qu’elle compte d’acteurs, souligne Tewfik Aclimandos. Les Frères musulmans, eux, constituent une force nettement plus organisée. Ils n’ont pas besoin de la Coalition pour exister et il est impensable d’envisager une sortie de crise sans eux ».

Des politiciens pragmatiques ?

Les Frères musulmans l’ont dit et répété : ils n’ont pas l’intention de présenter un candidat à la présidentielle égyptienne prévue en septembre. Est-ce à dire que la confrérie se désintéresse du pouvoir ? « Non, affirme Tewfik Aclimandos, seulement le programme des Frères s’inscrit dans une stratégie de long terme. Dans l’immédiat, ils ont tout intérêt à discuter. Ils vont chercher à obtenir des gages du gouvernement tout en militant pour la légalisation du mouvement. » « Ce sont des politiciens chevronnés et très prudents, explique Stéphane Lacroix, spécialiste de l’islam politique et maître de conférence à Sciences-Po. Ils jouent sur tous les tableaux. Depuis les années 1970, la confrérie a toujours évolué à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du système. Si les négociations échouent, les Frères savent qu’ils seront les premières victimes de la répression. Pour parer à cette éventualité ils ont besoin d’apparaître comme une force conciliatrice. »

Une organisation unie ?

Il existe plusieurs tendances au sein de la confrérie. L’organisation est tenue par des élèves de Sayyid Qutb, théoricien égyptien et membre des Frères musulmans pendu en 1966 sous le régime de Nasser. Ces membres sont partisans d’un théocratie intégrale. Ils coexistent au sein de la confrérie avec les salafistes, qui prônent une restauration de la communauté musulmane des origines de l’islam et une interprétation rigoriste des textes. Troisième composante, aujourd’hui minoritaire : les islamo-démocrates, qui s’efforcent de concilier démocratie et charia. Selon Stéphane Lacroix, « la plupart des militants ne s’identifient à aucune des trois tendances évoquées et il est difficile de dire si un consensus existe au sein du mouvement ». « Si des conservateurs occupent aujourd’hui des postes de direction, c’est parce que les Frères ont été l’objet de mesures ultra-répressives de la part du pouvoir, explique pour sa part Joshua Stacher, chercheur à l’université de Kent (Etats-Unis). Depuis les élections législatives de 2005 [au cours desquelles ils avaient obtenu 88 sièges, soit un cinquième de l’Assemblée], leurs membres ont été arbitrairement arrêtés. La répression a favorisé la fragmentation du groupe, et donc la mise en avant des voix les plus conservatrices. »

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