C’est le cas de ces petits cantonniers de fortune qui remblaient, comme ils peuvent, c’est-à-dire, avec de la terre, les crevasses et les nids-de-poule tout le long de la RN 15, et ce avec des moyens plus que rudimentaires. Les efforts fournis s’avèrent hélas colossaux par rapport à ce que consentent quelques automobilistes et camionneurs de passage, à savoir quelques piécettes. Mais il se trouve, également, que d’autres gosses dont l’âge varie entre dix (10) et quinze (15) ans, qui s’improvisent commerçants en proposant à la vente des fruits de saison. Pour cela, les multiples fontaines et sources naturelles qui jaillissent en pleine montagne au détour des virages se révèlent être une aire de commerce idéale pour les jeunes qui guettent à longueur de journée les automobilistes de passage. C’est ainsi que sur les hauteurs d’Aghbalou, à quelques kilomètres du village de Bahalil, nous avons rencontré Sofiane qui est un habitué des lieux et qui ne rate aucune occasion pour s’installer à proximité d’une fontaine afin d’y vendre des fruits et parfois des légumes de son jardin. D’habitude, le jeune Sofiane installe ses cagettes aux abords de la fontaine, mais cette année, il a préféré s’en éloigner et pour cause, des revendeurs de boissons alcoolisées squattent ces lieux tant convoités par les automobilistes. “Je viens chaque année pour vendre des figues, des pommes, des tomates et autres légumes mais depuis le début de l’été, les revendeurs de bière m’ont interdit de m’installer à proximité de la fontaine, car ils mettent leurs bouteilles dans le bassin d’eau fraîche et de ce fait, je ne peux pas exposer mes fruits… C’est pas grave, les familles de passage s’arrêtent tout de même pour m’acheter des produits frais”. Tout en jetant un œil méfiant vers la fontaine réquisitionnée par les adeptes de Bacchus, notre interlocuteur nous révèle que cette saison est moins bénéfique que les années précédentes : “Il n’y a pas eu de récolte de figues de Barbarie à cause de la neige de cet hiver… D’habitude, je me fais une petite fortune en détaillant ce fruit à raison de deux dinars l’unité et j’arrive à en écouler deux cageots par jour”. Questionné sur les raisons qui l’ont poussé à “ouvrir” une boutique sur ces hauteurs, le jeune nous révèle que c’est pour des raisons pratiques. “J’habite pas loin, je viens à pied et je n’ai pas besoin de payer des droits d’entrée comme cela se passe sur les marchés… L’argent que j’économise me servira à l’achat de fournitures scolaires pour la rentrée… La rentrée, c’est sacrée !”, révélera le jeune débrouillard. La rentrée scolaire, voilà donc ce qui pousse un mioche d’une quinzaine d’années à passer ses vacances, sous un soleil de plomb, en haute montagne. Interrogé sur la profession de son père, Sofiane nous avouera que ce dernier n’est pas en mesure d’assurer le couvert à ses huit enfants, d’où la nécessité pour notre jeune ami de se dévouer pour la bonne cause. C’est donc grâce au maigre pactole gagné durant l’été que notre ami et ses frères et sœurs rejoignent cette semaine les bancs de l’école.
Hafidh B.
