La semaine dernière, la télévision algérienne, la chaîne de tamazight, a diffusé un reportage sur le quotidien de Lala Yamna, une vielle femme des Beni Senous, dans la région de Tlemcen.
A beaucoup d’égards, la journée de Lala Yamna ressemble aux journées d’autres femmes vivant en milieu rural. Le commentateur réussit, par un effet prosodique, à embellir la dureté de la vie que subit la vieille femme et, du coup, ‘’vendre’’ au téléspectateur de la poésie.
Le commentateur de la chaîne tamazight trouve de la beauté et de la poésie chez la femme rurale qui, les yeux baissés, les épaules rentrées, transpire sous un fardeau faisant deux fois son poids. D’autres nostalgiques de la « femme dans les champs » y voit la même poésie. A ce commentateur et à ces nostalgiques, il n’est pas facile d’admettre que l’époque où la femme rurale n’assurait que la fonction de ‘’seksu d wusu’’ (le couscous et le lit) et était soumise à un esclavagisme paysan imposé par une société masculine plurielle est révolue. Fini le temps où la femme, cette main d’œuvre qui fait tout et ne dit rien, travaille pour l’homme, dans le champ de l’homme et, le soir venu, elle assure la fonction de procréatrice.
Fini aussi ce bouillonnant combat féministe pour les droits de la femme qui même s’il a marqué des points, n’aura, au final et en gros réussi, qu’à suggérer cette idée stupide qui consiste à croire que l’émancipation de la femme se matérialise à travers un jean et une cigarette. Aujourd’hui, la rurale en veut plus et se bat. Elle descend, tous les matins, de Takerboust, de Zriba ou de Taghzout pour composer d’égal à égal avec son collègue de la ville. Elle est médecin, enseignante, ingénieur et même policière ou juge dans un pays où la constitution la décrète mineure à vie est la société cautionne le « ridjal qawamun âala nnisa (les hommes sont plus ‘’intelligents’’ que les femmes) » Paradoxal ? Pas si paradoxal que ça, lorsque l’on sait que les considérations économiques, c’est-à-dire l’argent, fait taire toutes les attitudes moyenâgeuses.
En fait, cette transmutation spectaculaire de la femme rurale s’explique essentiellement et tout simplement par le fait que la famille rurale a besoin d’une stabilité salariale à même de lui assurer le pain quotidien. L’huile d’olive et les figues sèches ne répondent plus aux besoins allant crescendo de montagnards de plus en plus exigeants. Mais pour travailler, il faut étudier. Cela, les jeunes rurales l’on compris et digéré. D’abord, aller à l’école pour ces jeunes villageoises était une aubaine pour fuir le diktat du frère, du père et même du petit frère. L’école était avant tout autre chose un espace de liberté. Un espace qu’elles apprécieront davantage, puisqu’il leur permettra de s’affirmer et d’exister. Elles prendront consciences très tôt, dès le cycle primaire que si elles ne réussissaient pas, elles rentreraient à la maison aider la mère, avant qu’un inconnu ne vienne demander sa main. Elles s’accrochent. Elle est battante. Primaire, moyen et le bac au terme du cycle secondaire. C’est leur acharnement à ne pas ressembler à leurs mères et grand-mères qui expliquent leurs réussites dans les études. Elles arrivent à l’université. Et là tous les rêves et tous les espoirs leurs sont permis. De rurale puis battante, la villageoise devient femme de tête qui sans bruit résiste et refuse de plier l’échine devant le code de la famille et le ‘’terrogrisme’’.
S.O.A

