La wilaya de Bouira à l’instar des autres wilayas du pays, connaît un véritable boom infrastructurel, et les bibliothèques ne sont pas en reste, elles qui poussent comme des champignons. En effet, on dénombre près de 45 bibliothèques, c’est-à-dire une pour chaque commune de la wilaya.
Cependant, à l’intérieur de ces imposantes bâtisses, on se retrouve devant une réalité surprenante. Elles manquent cruellement d’affluence, faisant de ces sanctuaires de savoir et de connaissance des lieux sans vie, un vide que ni le mobilier flambant neuf, ni les ouvrages entassés par centaines n’arrivent à combler.
Cherchant les causes de ce désamour de nos citoyens pour la lecture, chacun parmi les principaux concernés, à savoir les citoyens eux-mêmes, y va de sa petite hypothèse sur la question. Interrogé sur le sujet, un jeune étudiant en Droit qui se trouvait à proximité de la bibliothèque municipale de Bouira répond : «La lecture est une bonne chose, personne ne peut dire le contraire, mais au rythme où va notre société où la journée passe en une heure, qui a le temps de lire ?». C’est un argument, certes, mais qui ne tient pas trop la route, sachant le temps que passent nos jeunes devant un micro-ordinateur à surfer sur le net, ou pis encore dans les terrasses des cafés. Quelques mètres plus loin, une dame d’un certain age nous livre la chose suivante : «Ecoutez, ce problème à des origines très complexes, on ne peut le résumer en quelques phrases, car c’est toute une génération qui a perdu cette culture de la lecture, nous en notre temps, et Dieu seul sait qu’il n’y avait pas les moyens d’aujourd’hui, quand on prenait un livre on le dévorait, et on faisait en sorte de lire tout ce qui nous tombait sous la main, on avait une vraie soif de connaissance», dit-elle avec une pointe de nostalgie.
A la Maison de jeunes de Haizer, et plus précisément à la salle de lecture c’est, sans grande surprise, le même décor : on se retrouve confrontés aux mêmes scènes, à savoir un espace offrant toutes les commodités pour s’adonner à la lecture, mais pas un chat à l’intérieur… On interroge un responsable de ce centre sur cet état de fait, et en substance, il nous dit que les jeunes de maintenant ne s’intéressent plus à la lecture, ils préfèrent surfer sur le net, s’échanger des vidéos via leurs téléphones portables, oubliant l’essentiel. Tous ces avis recueillis stigmatisent d’une manière systématique, une frange de la population, qui est la jeunesse. Injustement, ils sont pris pour cible, en disant qu’ils ne veulent pas lire, ne veulent pas se cultiver, tous les moyens sont mis à leur disposition et eux s’intéressent à des futilités. Mais cette jeunesse qu’on accable tant, n’est elle pas le fruit de tout un système éducatif défaillant ? N’est-elle pas la résultante d’une école qui n’inculque pas suffisamment les valeurs fondamentales tels que la lecture, la recherche de connaissances ? Pour essayer de répondre à ces interrogations, nous allons à la source, autrement dit l’Ecole.
Nous nous rapprochons du lycée Abd El Rahman Mira, et le choix du cycle secondaire n’est pas fortuit, car c’est le point de jonction entre le monde adolescent et le monde adulte, c’est à partir de ce cycle que notre jeunesse découvre et prend goût à la lecture, ou au contraire, passer à coté. Nous interrogeons quelques professeurs se trouvant sur les lieux, M. Zerkani, professeur d’Anglais, déclare : «Les élèves de nos jours se désintéressent de la lecture, c’est un fait, ils préfèrent s’adonner a d’autres distractions, tels que la TV, les jeux vidéos et autres. Mais la vraie interrogation, c’est pourquoi ? Il est indéniable que l’école joue un grand rôle dans ce manque d’engouement, notre système éducatif a failli, et j’en sais quelque chose, il pousse les élèves au bourrage de crâne, sans leur donner l’envie d’assimiler quoi que ce soit, pour lire, il faut d’abord comprendre ce qu’on lit». Un peu plus loin, nous demandons à M. Si Nacer, professeur d’histoire géo, son avis sur le sujet : «Cette question mériterait un long débat, mais en substance, ils ne veulent pas lire ! On ne peut pas les obliger, je pense que c’est un tout, de l’entourage le plus proche, à la société dans son ensemble ; il y a un désintérêt général pour la lecture». Quant au rôle de l’école dans ce phénomène, il répond ceci : « L’école est complémentaire, sans bases ni envie, l’école et les profs en particulier ne peuvent rien faire, on n’est pas des magiciens». Par ces avis, on peut se faire une idée sur la complexité du sujet, entre une défaillance criante de l’école, une société qui n’accorde plus de valeur à cette grande vertu qu’est la lecture, et une technologie mal encadrée, qui dessert plus qu’elle ne sert. Les bibliothèques aussi attractives à l’intérieur qu’à l’extérieur, resteront désespérément vides au grand dam des amoureux de la lecture.
Ramdane B.