Les nouveaux chantiers du droit économique

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Depuis les premières années de l’Indépendance, l’Algérie aura élaboré des masses de documents constituant des règlements et des législations (lois, codes, régimes) inhérents à la gestion de la vie économique, sociale et culturelle du pays. Néanmoins, le progrès économique et social, la promotion de la citoyenneté et l’accès à la modernité politique ne se contentent pas des fatras de lois ou de rames de papier contenant des kyrielles de règlements.

Sous les régimes autoritaires, des lois existent, et se présentent parfois sous des aspects d’une séduisante modernité. Mais, souvent, elles sont faites pour être contournées par les puissants et imposées aux plus faibles..

Avec l’ ‘’ouverture politique’’ initiée par la Constitution de février 1989 et surtout avec son pendant de libéralisation économique, les ‘’anthologies’’ des lois et règlements algériens tombaient comme des châteaux de cartes ; car, elles ne correspondent plus à la nouvelle réalité de la société. La loi sur l’autonomie des entreprises publiques, promulguée en 1988, n’a pas encore eu le temps d’être mise à l’épreuve dans toute son étendue qu’elle fut rejointe par les lois sur la monnaie et le crédit et les lois sur la privatisation des entités publiques.

Par Amar Naït Messaoud :

Moins de treize ans après la mise en œuvre de la loi portant sur la retraite anticipée- laquelle, soit dit en passant, a provoqué une hémorragie historique dans la ressource humaine des entreprises publiques et au sein de l’administration-, une mesure mettant fin à cette funeste brèche sera mise en application à partir de la fin du mois de mars en cours. La rapidité avec laquelle les lois sur les investissements, particulièrement étrangers, ont été bouleversées –notamment par des mesures gouvernementales au début de 2009 et par la loi de finances complémentaire de la même année ainsi que les lois de finance 2010 et 2011- n’a d’égal que la précipitation avec laquelle a été ouvert le champ économique national dans le contexte des conditionnalités du plan d’ajustement structurel charrié par le rééchelonnement de la dette extérieure. Dans la foulée de l’affaire Khalifa Bank, plusieurs mesures ont été prises par les autorités pour prévenir des cas similaires d’escroquerie. D’autres banques privées allaient mettre la clef sous le paillasson suite à l’application d’une réglementation plus stricte.

En tout cas, la relation entre les structures ou les entités économiques ainsi que de leurs activités avec la notion de droit prend de plus en plus de relief et d’acuité au point où elle a donné naissance à des spécialités d’enseignement : droit économique, droit comptable, droit fiscal, droit douanier, droit de gestion publique, contentieux, droit du travail,…etc.

La nécessité de réformes et de mises à jour continues des lois et règlements régissant les différents segments de l’économie concernés par les changements s’impose dans le corps de nos institutions au fur et à mesure qu’apparaissent de nouvelles activités ou que d’autres activités sont appelées à des changements dans leur manière d’être déclinées. C’est ainsi que ce processus de changement ne peut faire l’économie de profondes réformes de la justice de façon à ce qu’elle réponde aux nouveaux besoins générés par les transformations sociales. Ces réformes sont à identifier aussi bien au niveau institutionnel représentant la haute pyramide de l’Etat (Constitution, Assemblée populaire nationale, Sénat) qu’au niveau des structures chargées de rendre la justice et d’effectuer les arbitrages (cours, tribunaux et auxiliaires de justice).

Nouveaux besoins, nouvelle législation

Avec l’entrée de l’Algérie dans l’économie de marché de nouveaux besoins, inconnus il y a quelques années, s’expriment sur le plan de l’élaboration des réglementations et des législations. Le contrôle de la qualité des marchandises à l’importation (principalement les médicaments, les produits alimentaires, la pièce de rechange,…) pour faire face aux risques sanitaires et à la contrefaçon constitue, à n’en pas douter, un chapitre important de nouvelles mesures législatives que le pays a été contraint de confectionner. Il en est de même des nouvelles formes de criminalité (cybercriminalité), de trafic de drogue et d’immigration clandestine.

La nouvelle configuration qui s’annonçait pour l’économie algérienne exigeait la réforme des lois et des modes de gestion. Les lois sur l’autonomie des entreprises publiques, la loi sur la monnaie et le crédit et tout l’arsenal législatif qui suivra- avec la libéralisation des métiers des auxiliaires de justice (notaires, huissiers, commissaires aux comptes, commissaires priseurs)- constituent un début des réformes de la justice combien nécessaire à l’accompagnement des changements économiques et sociaux.

Les nouvelles réalités économiques et sociales ont ainsi ouvert un grand chantier législatif relatif au commerce, aux transactions foncières, au monde associatif, aux collectivités locales (codes de la commune et de la wilaya). D’autres dossiers ou secteurs d’activité ont aussi imposé ou imposeront bientôt des changements de lois qui sont autant de réformes progressives mais irréversibles dans le secteur de la justice. L’informatisation des services, la téléphonie mobile, la généralisation de l’Internet, la presse indépendante, la protection du consommateur, la défense de l’environnement et du patrimoine culturel, la défense des règles de l’urbanisme, la bioéthique et la déontologie médicale, l’usage des stupéfiants, la lutte contre les nouvelles formes de criminalité la modernisation de la fiscalité l’investissement étranger, l’institution du droit des affaires, les relations avec l’Europe induites par l’Accord d’association, sont, entre autres, les nouveaux défis qui se posent au secteur de la justice en Algérie et qui exigeront de nouvelles compétences et une stratégie de spécialisation comme cela se passe dans les autres pays du monde. Sur ce chapitre, l’on ne peut plus faire abstraction des besoins en formation charriés par les nouvelles missions qui incombent au secteur judiciaire. Des écoles spécialisées en droit du travail, en droit fiscal, en droit foncier ou en droit des affaires ne devraient pas être vues comme un luxe dans un pays qui compte mettre sur orbite le maximum de réformes économiques qu’exigent l’étape d’évolution actuelle et le nouveau contexte de l’économie mondiale. De même, la création de tribunaux commerciaux et de tribunaux ou sections en droit foncier sera, sous peu, une impérieuse nécessité.

Réforme du plan comptable national

Si, par le passé l’économie algérienne se contentait d’un régime unique qui faisait que les entreprises de production, de commercialisation, de transport et de prestation de services étaient toutes de statut public, l’autonomie dont ont joui ces sociétés depuis la création des portefeuilles des holdings publics et la liberté de création d’entreprises privées dans tous les secteurs d’activité ont chamboulé toutes les donnes sur le plan réglementaire et juridique. L’activité des auxiliaires de justices (notaires, huissiers,…) pour enregistrer les statuts des nouvelles entreprises et constater l’existence réelle et la conformité des locaux a été décuplée au cours de la dernière décennie. L’accroissement considérable des volumes de marchandises échangées a généré aussi des soucis de santé et de qualité dus à l’utilisation des produits alimentaires ou d’autres produits et pièces destinés à des ateliers de fabrication. Le contrôle de la qualité la répression des fraudes et de la contrefaçon, le souci de la normalisation et de la sécurité des équipements, toutes ces nouvelles tâches imposées par le rythme et la nature de l’économie moderne n’ont pas manqué de charrier des formalisations réglementaires et juridiques que le législateur algérien a été contraint d’élaborer pour mettre en adéquation les faits, la gestion des biens physiques, les prestations et les transactions avec les règles du droit.

L’évolution de l’économie nationale et la globalisation rampante des échanges ont conduit l’Algérie à instaurer à partir du 1er janvier 2010 un nouveau système comptable adapté aux normes internationales IFRS (International Financial Reporting Standards). Ce système qui remplace le plan comptable de 1975 « hissera la comptabilité nationale aux normes de fonctionnement de l’économie moderne » selon le ministre des Finances ; comme il devrait « permettre la production d’informations détaillées, fiables et comparables reflétant notamment une image transparente et plus précise de la situation financière des entreprises (…) Comme il donne à la gestion de la comptabilité une nouvelle conception dominée par l’aspect économique qui intéresse les investisseurs, au lieu du juridique et fiscal qui intéresse beaucoup plus l’administration fiscale ».

Concernant les difficultés d’application du nouveau système comptable, M. Abci, consultant formateur, juge qu’ « il est aujourd’hui nécessaire que les structures ayant été à l’origine de la conception du nouveau plan expliquent aux professionnels ses modalités d’application. Cette importante démarche constitue un instrument essentiel pour l’accompagnement du processus de passage de l’ancien au nouveau système ». Des ateliers de formation ont été organisés au cours des années 2008 et 2009 en direction des praticiens de la comptabilité pour les familiariser avec ces normes internationales de comptabilité.

Rien que pour permettre l’émergence de nouvelles entreprises commerciales, de travaux ou de production, le registre de commerce algérien a été appelé à une refonte au début des années 1990. Les nouveaux statuts juridiques des entreprises (SPA, SARL, société anonyme, EURL, société par commandite,…) et des établissements publics (EPA, EPIC) ont en effet imposé une ‘’littérature’’ juridique que le Code civile et les autres supports de la loi se devaient de prendre en charge.

Adéquation/adaptation : un chantier continu

Cependant, la réforme en la matière ne se limité pas à la confection de nouveaux textes adaptés aux nouvelles structures de l’économie nationale. Elle se prolonge par la ressource humaine chargée de l’appliquer sur le terrain de la réalité. Ce sont d’abord les auxiliaires de justice chargés d’enregistrer les nouvelles entités (notaires, huissiers), les services fiscaux chargés d’adapter l’assiette d’imposition et les charges fiscales spécifiques à chaque entité les experts comptables qui suivent la comptabilité des entreprises privées, les commissaires aux comptes qui auditent la gestion des EPE (entreprises publiques économiques) et les juridictions commerciales auxquelles incombent la gestion des conflits et les liquidations.

Il y a lieu d’ajouter, à côté de toutes ces nouvelles charges, la gestion des participations de l’État dans le portefeuille des EPE et les opérations de privatisations totales ou partielles.

Les changements et les évolutions induits dans plusieurs corps de métiers par la mise en place de nouvelles règles économiques ont entraîné aussi une réorganisation de certaines professions sur la base de conseils déontologiques qui leurs sont propres (médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens,…) ou d’autres conseils de l’ordre (architectes, experts comptables,..).

Sur un autre plan, les efforts de l’Etat déployés dans le cadre des transferts sociaux destinés à soutenir certaines couches de la société s’accompagnent inévitablement de nouvelles réglementations ou lois que devront mettre en application les organismes visés par de telles opérations. Il en est ainsi du suspens crée par le nouveau taux d’intérêt de 1 % sur les crédits immobiliers que sont censées appliquer les banques à partir de l’année 2010. Le différentiel entre le taux d’intérêt commercial et le taux bonifié sera pris en charge par le Trésor public. Ce genre de décision charrie une ‘’onde de choc’’ en matière de prise en compte et d’application de nouvelles réglementations.

Il en est de même de l’ensemble des mesures prises par le gouvernement en février 2011 en direction des jeunes pour soutenir la création de micro-entreprises et de l’emploi. Ces mesures n’ont pas pu être prises en compte dans la loi de finances de 2010 ; elles le seront dans la loi de finances complémentaire que le gouvernement élaborera d’ici juillet prochain.

La législation relative à l’emploi et au marché du travail connaît de continuelles évolutions en Algérie. Le concept de marché du travail, vient à peine de subir un début de vulgarisation par le moyen de la presse écrite. Car, sous l’ancien système de l’économie administrée et rentière, le ‘’plein emploi’’ était inscrit dans les tablettes des gouvernants au même titre que le droit au travail sans référence obligatoire à la formation et à la qualification.

Dans la foulée de l’ouverture de l’Algérie sur l’économie de marché les anciennes règles et lois du travail sont régulièrement bousculées ou remises en cause. Depuis le sacré droit au travail, souvent par la consécration d’un poste d’emploi permanent, jusqu’au CDD (contrat de travail à durée déterminée) officiellement adopté par les entreprises (y compris publiques) au cours de la dernière décennie, beaucoup de certitudes se sont volatilisées et une kyrielle de textes sont venus consacrer cet état de fait. Il s’en trouve que les lois de la protection sociale, de la médecine du travail et les règlements régissant les conflits de travail (inspection du travail) sont, eux aussi, soumis à plusieurs révisions tendant à l’harmonisation de l’ensemble du corpus législatif.

Renforcer les leviers institutionnels

Le code du travail, initialement promu à une révision par le ministère du Travail au cours de l’année 2009, fera l’objet de changement probablement au cours de l’année 2011. Les pouvoirs publics comptent le réaménager substantiellement pour l’adapter au nouveau contexte économique du pays, d’autant plus qu’à l’échelle des organisations internationales auxquelles l’Algérie adhère en tant que membre à part entière, principalement l’OIT (l’Organisation internationale du travail) et le BIT (le Bureau international du travail), de nouveaux textes et clauses-relatifs aux conditions ergonomiques et psychologiques du travail- ont été joints, au cours de ces dernières années, aux anciennes lois. Les orientations de l’OIT en matière d’emploi et de conditions de travail sont censées servir de base aux législations nationales des pays adhérents.

Le gouvernement a procédé au cours de l’année 2008, à deux importantes réformes touchant en profondeur le champ économique. Il s’agit de la loi domaniale (réaménagement du régime de la concession) et de la réglementation des marchés publics. Ces deux importants amendements ciblent directement le joyau du problème des investissements en ce sens qu’ils conditionnent l’accès au foncier par une souplesse plus marquée et par une contractualisation (des prestations de travaux, études ou fournitures) plus transparente et moins bureaucratique. Une autre réforme d’envergure a touché le code des marchés publics dans sa globalité en octobre 2010 et, ce, dans le sens de la préférence nationale lorsqu’il s’agit d’appels d’offres internationaux.

L’extension du domaine d’intervention de l’Office national des statistiques (ONS) tel qu’il initiée en février 2009 par le ministère des Finances et les nouvelles missions et prérogatives accordées à l’Inspection générale des Finances (IGF), constituent d’autres leviers institutionnels et juridiques pour mieux encadrer les réformes économiques.

En matière de propriété intellectuelle et droits voisins, le législateur, à travers les nouvelles dispositions introduites il y a deux ans, a fourni un cadre réglementaire plus adapté à la protection des œuvres de l’esprit (création littéraire, artistique,…).

Dans le but de faire face aux exigences d’élaboration de nouvelles lois et d’adaptation des anciennes procédures, les pouvoirs publics comptent renforcer les moyens d’intervention en la matière. Ainsi, le Centre de recherche juridique et judiciaire crée en vertu du décret 06-60 du 27 septembre 2006 a été inauguré en janvier 2009. Il est chargé d’élaborer des études juridiques en relation avec l’évolution socioéconomique du pays. Ce centre est un établissement public administratif (EPA) doté de l’autonomie financière et dirigé par M. Djamel Bouzertini. Il se donne pour tâches prioritaires d’étudier les textes législatifs actuellement en vigueur et de proposer au gouvernement des amendements ou des changements radicaux de textes. Pour la sphère économique, ce centre sera d’un secours précieux en matière de consultations pour l’établissement des contrats ou des accords de coopération. L’arbitrage dans le cadre de la mondialisation, la cybercriminalité les transferts de fonds par Internet sont quelques sujets d’importance sur lesquels planchent déjà les équipes de magistrats-chercheurs.

La recherche et l’innovation dans le domaine juridique et judiciaire sont devenues des éléments indispensables de l’accompagnement des réformes économiques et des faits relatifs à l’évolution de la société. L’évolution socioéconomique que l’Algérie vit depuis une décennie a entraîné des changements dans bon nombre de règlements et lois. Néanmoins, il arrive qu’un déficit d’harmonie grève ce fatras de réglementations du fait qu’elles ont été produites pour des cas sans liaison apparente et espacés dans le temps. C’est pourquoi, des révisions et amendements périodiques sont souvent sollicités pour mettre tous les règlements au diapason des changements économiques et sociaux et aplanir les éventuelles disparités ou contradictions.

A.N. M.

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