«Ainsi, Mohand Ameziane n Ali Iheddaden fils de Ali Iheddaden dit Chikh Aheddad a su renforcer et consolider une vision et une pratique strictement kabyle de la religion sur le socle de la pensée kabyle, portée par une langue berbère de Kabylie bien ciselée. Aussi Chikh Aheddad a donné naissance à ce qui est aujourd’hui convenu d’appeler L’islam kabyle», c’est en ces termes que Abdesselam Abdenour a donné le la à son intervention lors d’une conférence de presse consacrée à la vie de Chikh Aheddad à Seddouk. D’emblée, M. Abdesselam se réfère à la donnée historique pour argumenter ses propos. Il citera entre autres références le fait que du temps de Ccix Aheddad et de bien d’autres de ses contemporains ayant intervenu sur la scène kabyle, comme Chikh Mohand Oulhoucine, il n’existait pas encore d’Etat algérien formellement constitué avec ses frontières et institutions que nous connaissons aujourd’hui. Il dit également que c’est le cas pour toute l’Afrique. Car, pour le conférencier, ce n’est qu’après la création de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) à Addis Abéba en Ethiopie en 1963, que la forme actuelle des états du continent a été avalisée.
En effet, la première résolution qui a été adoptée par la toute nouvelle organisation panafricaine a consacré le maintien définitif et officiel du traçage territorial ainsi hérité de la colonisation. Ce qui fera dire à Lord Salisbury, dira encore Abdennour Abdesselam : «Nous avons entrepris de tracer des lignes sur les cartes de régions où l’homme blanc n’avait jamais mis les pieds. Nous nous sommes distribués des montagnes, des rivières et des lacs, à peine gênés par cette difficulté que nous ne savions jamais exactement où se trouvaient ces montagnes, ces rivières et ces lacs». Quant à l’épisode de la présence turque en Algérie, le conférencier dira qu’elle était une présence colonialiste dont les buts étaient fondamentalement hypocrites. Aussi, le vaste territoire de l’Afrique du Nord était plutôt formé d’entités activant sur des îlots géographiques plus ou moins précis et qui ont connu une succession d’autorités hétéroclites très instables, éphémères et éparses. Abdennour Abdesselam signale que l’histoire de l’Afrique du Nord et de l’Algérie en particulier avant le XV siècle reste imprécise malgré les approches et études historiques dominées par la méthode de recherche par la conjecture.
Ce n’est qu’à partir plus précisément au XV siècle et selon Mouloud Mammeri, que commenceront à apparaître des précisions authentifiables. A partir de cette date sur toute la région de l’Afrique du nord la vie était ordonnée par les ordres confrériques au plan presque strictement spirituel. Sur le seul territoire de l’Algérie, nous noterons l’existence de plus d’une quinzaine de confréries. On peut citer entre autres les plus connues : la Senoussia, à l’extrême Ouest et au Sud, la Ammaria et la Hansalia dans le Constantinois, la Youssefia dans la région de Tlemcen, la Taybia à Aïn Sefra, la Cheikhia des Ouled Sidi Chikh, la Alaouia dans l’Oranie, la Lwazania dans le Gourara, la Tidjania et la Rahmania en Kabylie. Pour Abdesselam Abdennour, la confrérie Tarehmanit créé par Abderrahmane Iguechtoulen en 1730 à Bounouh à quelques 5O Km de Tizi-Ouzou d’où son nom, n’a réussi véritablement à jouir d’une notoriété qu’à partir du moment où elle a intériorisé et considéré les valeurs fondamentales humaines et sociales kabyles. Ce qui naturellement a été l’œuvre de son fondateur que le grand Chikh Aheddad a strictement reconduit. Citant Mouloud Mammeri dans la revue «culture du peuple ou culture pour le peuple», M. Abdesselam dira que ces institutions (les confréries) ont réussi à s’implanter dans la région en s’inspirant de pratiques antérieures. «Ces pratiques et valeurs se rapportent aux réalités sociales (consécration de la notion de propriété respect des types d’organisations sociales et administratives traditionnelles encore en cours aujourd’hui dans la vie de la cité kabyle)», ainsi qu’aux «réalités culturelles (affirmation, célébration et respect des rites et mœurs païens et des traditions ancestrales – les saints (ssellah), les lieux sacrés et autres ziyarat)».
Ces pratiques et valeurs se rapportent aussi, selon le conférencier aux réalités linguistiques (usage reconnu et même élevé de la langue kabyle comme perception de la vision du monde). D’autres valeurs sociales d’ordre fonctionnelles et impératives au nombre de cinq ont été également intégrées dans le fonctionnement de Tarehmanit et qui sont, selon Abdennour Abdesselam, l’eau (aman) ; La place du village (tajmaât) ; Le volontariat (Tiwizi) ; L’honneur (nnif) et enfin l’importance du respect de la notion de Frontières (Tilisa). Cette remarque de respect et de prise en considération des valeurs socioculturelles n’a pas été appliquée par la dynastie des Almohade au XII siècle qui a appliqué plutôt des règles canoniques de l’islam. Bien plus antérieur à cette date, dira encore le conférencier, au IIIe siècle le berbère Saint Donat, défenseur des valeurs socioculturelles du pays, s’est opposé à Saint Augustin qui s’est appliqué à la pratique stricte de la religion chrétienne en Afrique du Nord. M. Abdesselam fera ainsi un lien apparenté entre l’action de Saint Dona et celle engagée par Chikh Aheddad dans la sauvegarde et la primauté des valeurs ancestrales traditionnelles. Ainsi, Mohand Ameziane n Ali Iheddaden fils de Ali Iheddaden dit Chikh Aheddad a ainsi su renforcer et consolider une vision et une pratique strictement kabyles de la religion. Ainsi, il a donné naissance à ce qui est aujourd’hui convenu d’appeler l’islam kabyle. En outre et tout en se posant la question, Abdennour Abdesselam dénoncera avec force et fermeté la volonté sournoise qui a consisté en la transformation du nom de Chikh Aheddad en la forme consonantique arabisée de Chikh Belheddad. Il rappellera que le grand Chikh At Wartilan a lui aussi subi la même et insupportable transformation en Chikh El Wartilani. De même qu’il regrettera qu’aucune des banderoles accrochées dans la salle de conférence ne soit transcrite en langue amazighe.
M. Mouloudj
