Le colonialisme ne s’emmure pas strictement dans un concept philo-politique du dernier siècle. Il cajole, tel un jouet, l’enfant ou la force, un pâteux. L’oubli est un autre moyen de se cacher des vérités. Il aurait été aussi une manière d’effacer les tâches, une tanière pour les lâches, une lanière pour les vaches !
Les évènements tragiques du 08 mai 1945 furent perçus, à cette époque, comme un précurseur final de la Libération nationale qui s’annonçait dans le sentiment de chaque Algérien. L’on voulait, à l’instar de la célébration de l’armistice et la capitulation allemande, manifester son désarroi et sa propension vers l’indépendance et le couronnement de la lutte du mouvement nationaliste.
Une foule estimée à environ 10.000 personnes entamait son élan, rue des Etats-Unis (mosquée de la gare) et se dirige vers le centre-ville, rue Georges Clémenceau… Pacifiques, dépités et désarmés, les paisibles manifestants scandaient des slogans de paix et de liberté. » Indépendance « , » Libérez Messali Hadj « , l’Algérie est à nous « . Ils s’étaient donnés pour consigne de faire sortir, pour la première fois, le drapeau algérien. La riposte fut sanglante. De Sétif, elle s’est généralisée. Elle allait toucher tout le pays durant tout le mois de mai. L’Algérie s’embrassait sous les feux brûlants du printemps 45.
Mardi, jour de marché hebdomadaire
Le 08 mai 1945, fut un mardi pas comme les autres. Un jour de marché hebdomadaire. Les gens massacrés, ne l’étaient pas pour diversité d’avis, mais à cause d’un idéal. La liberté. Ailleurs, il fut célébré dans les interstices de la capitulation de l’état-major allemand. Ce fut la fin d’une guerre. La seconde guerre mondiale. Ceci pour les Européens. Mais pour d’autres, en Algérie, à Sétif, Guelma, Kherrata, Constantine et un peu partout, ce fut la fête dans l’atrocité d’une colonisation et d’un impérialisme qui ne venaient, en ce 08 mai, qu’annoncer le plan de redressement des volontés farouches et éprises de ce saut libertaire. En 2005, dans cette ville ou nulle part, la mémoire collective se confinera certainement dans un ordre du jour. Une marche, une gerbe de fleurs enrubannée à déposer et quelques biscuits et dattes non fourrés à déguster. Voilà une commémoration à la mesure de l’évènement ! Guernica s’est immortalisée par la palette de Picasso. Sétif ne l’est-elle pas par les défaites et la forfaiture de ses peintres, artistes et poètes ? Bien que non ! Kateb Yacine, Abdelhamid Benzine, Abdou B., Ammar Koroghli, Faycel Ouaret et Amor Chaâlalen sont, pour ceux qui savent les explorer les Picasso et les Neruda de la citadelle massacrée. Le 01 mai 1945, le PPA clandestin réunissait à Alger, rue d’Isly, beaucoup de personnes. Cette » réunion » s’est soldée par des morts, des arrestations et des tortures. Au même moment, un regroupement similaire s’érigeait à Sétif. Si ce n’était l’habilité et l’hardiesse de feu Si Mahmoud Guenifi (mort récemment dans une totale indifférence) d’exhorter la foule à se disperser, l’hécatombe aurait été avancée d’une semaine. Dans la matinée du fatidique 08 mai, en guise de riposte à cette manifestation pacifique, la police ouvra le feu » le maire socialiste de la ville la supplie de ne pas tirer. On a tiré sur un jeune scout » . Ce jeune » scout » fut le premier martyr de ces incidents. Saal Bouzid, 22 ans venait par son souffle d’indiquer sur la voie du sacrifice, la voie de la liberté. K.Z, âgé alors de 16 ans, m’affirme, non sans amertume, à ce propos : » Il gisait mourant par-devant le terrain qui sert actuellement d’assiette foncière au siège de la wilaya. Nous l’avons transporté jusqu’au docteur Mostefaï… et puis… « .
L’émotion l’étouffe et l’empêche de continuer. Plusieurs d’entre acteurs et témoins, encore en vie, sont ainsi soumis à la souffrance du souvenir et le devoir de dire ce qu’ils ont vécu, vu, entendu dire et se dire, ils craignent pour la postérité l’amnésie. Le 08 mai 1945 signifie la fin du nazisme. Il correspond aussi à l’un des moments les plus sanglants de l’histoire nationale. Le nationalisme se durcissait et corroborait la galvanisation d’une inévitable révolution par les armes. Novembre pointait déjà du nez. Hichem Lehmici, rapportait sur un site approprié le jeudi 25 décembre 2003 que : » Sétif allait marquer une étape cruciale, rien ne sera plus comme avant. Le fossé allait se creuser considérablement entre Algériens et colons.
A Kherrata, des familles entières étaient jetées du haut d’un précipice
Le réflexe allait saisir forme par un châtiment sans pitié sur les gens. » A Sétif, Guelma, Kherrata, de terribles massacres ont été exécutés. L’armée coloniale, conduite par le général Duval » le boucher de Sétif « , fusille, exécute, torture et viole tandis que l’aviation et la marine bombardent les villages. A Guelma, les B23 ont mitraillé des journées entières, tout ce qui bougeait.
A Kherrata, ce furent des familles entières que l’on jetait du haut d’un précipice. Des dizaines de milliers de morts à comptabiliser, plus de 45.000 d’après les sources algériennes et américaines. Sans oublier non plus, les milliers de blessés, d’emprisonnés envoyés dans les camps . Ainsi, il est urgent que les experts en histoire se penchent avec perspicacité dans les coins et recoins de cette glorieuse page de nos hauts faits historiques.
C.P