Extraits : La demeure de la langue et les signes

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La langue que nous sommes appelés à utiliser nous attend avant notre naissance. Déjà là elle nous reçoit et, nous accompagnant pas à pas dans la vie, nous assistant jusqu’à notre dernier souffle, elle ne va pas nous quitter. Elle n’est pourtant pas nouvelle pour nous, une sorte de connaissance anticipée nous y a préparés. Elle se confond avec l’être présent au monde pour nous accueillir et dont nous ignorons encore qu’il a pour nom : mère, ignorons encore qu’il nous a portés en son sein tout prés de son cœur. Nous le saurons bientôt avec l’apprentissage de la parole, mais le bonheur est là et cela nous suffit pour l’instant. Nous n’en sommes pour l’instant qu’à l’écoute du chant qui nous enchante et qui participe de la manière suave, chaude, confortable, mouvante à laquelle nous-mêmes participons. Le langage nous a pris en main. Il fera désormais partie de nous, de ce que nous serons, de ce que nous ne serons pas. Il n’est pas la connaissance mais sans lui il n’y a pas de connaissances ; il n’est pas la communication mais sans lui il n’y a pas de communication ; il n’est pas la poésie mais sans lui il n’y a pas de poésie. Il n’est pas la vie mais sans lui nous ne réussirons pas notre vie et une vie que nous ne réussirons que pour autant que nous réussirons à maîtriser notre langue (…)

Le français est devenu ma langue adoptive. Mais écrivant et parlant, je sens mon français manœuvré manipulé d’une façon indéfinissable par la langue maternelle. Est-ce une infirmité ?

Pour un écrivain, ça me semble un atout supplémentaire, si tant est qu’il parvienne à faire sonner les deux idiomes en sympathie.

La langue française a fait sa demeure en moi avant que je ne le sache, avant que je ne sache rien d’elle. Depuis, elle n’a cessé de ma parler, voix venue de loin pour me dire.

’L’Arbre à dire’’ (essai, Albin Michel, 1999)

Ce que j’aime dans le français, la langue : son tranchant. À utiliser le français, votre esprit s’affine, s’effile, s’affûte, se fait source de rayon laser. Vous lisez dans votre pensée avec la pointe d’un rayon laser (…)

Ne pas oublier que nous sommes des hôtes de la langue française. Non pas les fils, non pas les filles. Cela nous sortirait-il de la tête, qu’il y aurait, fort heureusement, quelqu’un pour nous le rappeler, et cela, avec les meilleures intentions du monde d’ailleurs. N’en doutons pas.

‘’Simorgh’’ (Essai, Albin Michel, 2003)

Les signes en résonance entre eux comme nous le sommes avec autrui. Tatouages incisés sur le front et les mains, symboles peints à l’entrée des maisons, marques imprimées à même le pain fait chez soi, présages lus dans la moindre apparence du perceptible, saintes calligraphies courant sur les murs des édifices religieux à défaut d’iconographie, surtout pas d’images, à aucun prix, mais des signes. (…)

Le signe nous est venu après la parole et aujourd’hui encore il s’affirme comme garant de notre mémoire ancestrale tout en n’en finissant pas de rester le vecteur de la perception du cosmos et de sa symbolisation que l’homme pour sa survie doit continuer à savoir entendre.

Contenus dans un monde de signes, figurant eux-mêmes comme des signes, ils (les écrivains algériens) ne communiquent que par signes, pas souvent compréhensibles, mais souvent assourdissants, sous l’influence augmentée ou diminuée, de la moindre oscillation. Signes, signes moins à lire qu’à ouïr, l’oreille qui vous perçoit est notre œil du cœur.

‘’L’Arbre à dire’’ in‘’L’Arbre à dire’’

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