Un hommage a été rendu, lundi soir à Paris, au chant et à la culture de l’exil et de l’immigration algérienne en France par des historiens, universitaires et artistes de talent, venus témoigner du legs hérité de toutes ces générations de chanteurs, torturés par la nostalgie et dont seul le chant pouvait les exorciser et adoucir leur quotidien. L’historien, Benjamin Stora, l’universitaire, Naïma Yahi, les artistes, Kamel Hamadi, Rachid Taha et bien d’autres encore, ont, lors d’une table ronde, dressé dans leurs interventions respectives, le cadre historique de l’immigration algérienne en France, en insistant sur son ancrage dans la durée historique. Benjamin Stora a, ainsi, souligné que les artistes issus de l’immigration ont été confrontés à un double défi « surmonter le processus d’acculturation, né tout au long du temps colonial, et déjouer les ruses de l’assimilation pendant les années d’installation dans la société française ». Ce double défi, a-t-il dit, explique le « travail de l’oubli » dans la production artistique des chanteurs exilés, « oubli des drames nés de la guerre d’indépendance algérienne et oubli de la longue présence coloniale française ». Dans les années 1960-1980, a poursuivi l’historien, les artistes algériens semblaient « exclusivement traiter des douleurs et des blessures engendrées par la solitude de l’exil et de la misère sociale », de sorte que les artistes « beurs », apparus après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, « se présentaient presque en état d’amnésie ». Un paysage en marge de la société culturelle française « Les trois grandes parties, des années 1960 aux années 1990, dévoilent un paysage complètement dissimulé ou en marge de la société culturelle française », a commenté l’historien. « Peu de gens connaissaient Slimane Azem, Zerouki Allaoua ou Ahmed Wahby « , ces chanteurs qui avaient un succès considérable auprès de leurs compatriotes, juste après l’indépendance de l’Algérie, dans les cafés ou sur les scènes de banlieues ou de provinces, mais n’avaient pas accès à la télévision », a rappelé l’historien, soulignant que les chanteurs de la seconde génération sont mieux connus, tels que : Idir, Aït Menguellet, Ferhat, Djamel Allam. L’universitaire Naïma Yahi est revenue, dans son intervention sur la thèse originale d’histoire qu’elle a soutenue en 2008 à Paris VIII, sous la direction de Benjamin Stora où elle mit en évidence l’histoire culturelle des artistes algériens vivant en France au-delà de 1962, moment peu étudiée par les chercheurs. Dans son travail d’histoire, cette universitaire a utilisé plusieurs sources, riches et variées comme la presse française, les journaux issus de l’immigration nés dans les années 1970-1980 et, surtout, une masse considérable d’archives privées (correspondances entre artistes, cartes postales, manuscrits, partitions, etc.). Ainsi, que les archives audiovisuelles des télévisions françaises et algérienne. Des artistes, tels que Rachid Taha, Nassima Djurdjura et Kamel Hamadi, ont de leur côté raconté leurs débuts artistiques dans une France « souvent raciste et peu ouverte à la diversité ». Cette table ronde a été organisée en prélude au spectacle qui sera présenté à compter de mercredi au « Cabaret sauvage » et intitulé « Barbès café », sur une idée originale de Meziane Azaîche et qui donnera à voir en plusieurs tableaux, comme autant d’époques, l’histoire des musiques de l’immigration algérienne en France depuis les années 1920. Du 11 au 28 mai, Aït Menguellet, Akli D, Fellag, Larbi Dida, Gaada, Djura, Naïma El Djazaïria, Souad Massi, Rachid Taha et bien d’autres encore, reviendront sur les pas de leurs aînés. Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem, Mohamed Mazouni, H’nifa, Bahia Farah, Hocine Slaoui, Dahmane El Harrachi, Akli Yahiaten, Mohamed Jamoussi, Missoum, Salah Saâdaoui ou Oukil Amar, seront alors ressuscités à la faveur de cet hommage.
