Errements et délires de poussiéreux doctes

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Celui que le journal El Khabar du samedi 21 mai 2011 a présenté comme l’ «l’infatigable intellectuel encyclopédiste », en l’occurrence Tahar Benaïcha, nous replonge, dans ses errements et ses songes, dans une période de glaciation que l’on croyait révolue. Stupidement-et pour faire sans doute aussi dans l’air du temps à la manière de Benbella qui vient de juger qu’Aït Ahmed est plus kabyle qu’Algérien-, Tahar Benaïcha décrète que Mouloud Mammeri est « plus kabyle qu’Algérien » ! Il dit aussi avoir prénommé un de ses fils Zouhaïr par vénération pour Zouhaïr Ibn Kaïs El Balaoui qui a tué la Kahina.

« Si la Kahina n’était pas tuée, nous ne serions pas aujourd’hui des musulmans », assène-t-il. Historien qu’il est, Tahar Benaïcha ignore que l’Islam a pénétré des contrées éloignées (Indonésie, les îles Comores, l’Inde,…) par les seuls contacts établis par les échanges commerciaux de l’époque. La Kahina demeure surtout un symbole de la femme algérienne qui a accédé au 7e siècle au poste suprême de commandement et qui s’est opposé à des conquérants armés. Benaïcha estime que ce qu’il vient de dire ne peut contrarier ou déranger que les ‘’tenants zélés de l’amazighité’’. A propos de Mouloud Mammeri, il dit textuellement : « Il est hanté par la kabylité. Il était plus kabyle qu’Algérien ou nationaliste. On doit ouvrir un dialogue et un débat à ce sujet ». Dans un entretien avec le quotidien francophone « L’Orient le Jour » de Beyrouth publié en mai 1966, et réalisé par le grand professeur algérien bilingue Abdallah Mazouni, M. Mammeri dit : « Ce que vous appelez ma berbérité fait justement la profondeur de mon algérianité. Je crois profondément aux valeurs universelles et je crois aussi que le meilleur citoyen du monde est d’abord celui qui est profondément ancré dans un coin de cette terre où les hommes ont une couleur de cheveux, un timbre de voix, une teinte de rêve, un poids de sentiments et quelquefois hélas, de préjugés. Etre fidèle au meilleur de soi-même est la bonne façon d’être fidèle aussi aux autres (…). Croire que nos passions et nos idéaux sont irrémédiablement liés à l’usage d’une langue, c’est justement tomber dans le piège de ceux qui, naguère, voulaient nous nier, c’est faire de ce que nous pensons et éprouvons des réalités d’ordre ethnographiques, des objets morts de musées, c’est nous classifier et nous couper, par là-même, de la grande famille des hommes. Je m’inscris en faux contre cette vision aussi rétrograde, aussi peu digne d’une culture véritable, qu’elle soit occidentale, islamique, chinoise ou indoue. Ce qui arrive de profond aux hommes, en quelque endroit de la terre qu’ils se trouvent, intéresse tous les hommes ».

Visiblement, les combats d’arrière-garde semblent reprendre du poil de la bête au moment où toutes les données militent en faveur d’une Algérie dégagée de ses complexes d’ancienne colonie et débarrassée de toutes les pesanteurs idéologiques et rentières qui ont mis à mal ses potentialités et ses énergies créatrices.Les agitateurs de tous bords semblent, du moins pour une grande partie d’entre eux, encouragés par une forme d’impunité qui a la vie longue. A défaut d’idées novatrices que même les dernières révoltes populaires dans le monde arabe n’ont pas pu inspirer à ces dinosaures de la pensée unique, la surenchère et le chantage semblent être leurs seules armes. Le reflux des arabo-baâthistes constaté au cours de ces dernières années serait donc une simple tactique dictée par une conjoncture nationale et internationale qui ne leur était pas favorable. La prise de conscience de la communauté internationale du danger terroriste, l’ouverture de l’Algérie sur la culture et l’économie mondiales et l’éveil de plus en plus visible de larges franges de la jeunesse n’agréent décidément pas aux porteurs d’idées figées et étriquées qui se recrutent dans les franges les plus conservatrices et les plus rentières d’une classe qui s’est autoproclamée ‘’intellectuelle’’ et qui se veut le tuteur indétrônable du peuple. C’est une situation pathétique qui nous rappelle celle où, en 2005, un groupe d’ « intellectuels » inséra un encart publicitaire dans le journal du FLN, “Sawt El Ahrar’’ pour lancer un appel solennel au président de la République afin, entre autres, « faire appliquer toutes les lois relatives à l’arabisation, interdire l’usage de la langue étrangère dans les médias audiovisuels, instituer une instance de contrôle et d’inspection qui veillera à la bonne application des lois, identifier et combattre le parti de l’étranger qui travaille depuis l’indépendance à détruire les valeurs historiques et civilisationnelles de la nation (particulièrement la langue et l’unité nationale) par les moyens même de l’Etat, contraindre les centres culturels étrangers à respecter les lois de l’Etat algérien ». Ce sont sans doute des demi-clercs, comme les a déjà qualifiés Moumoud Mammeri, qui sont plus à plaindre qu’à blâmer tant ils baignent dans un onirisme qui a pour substrat la sève délétère du parti unique. Rien que par la terminologie employée par cette curieuse secte, le lecteur est appelé à replonger dans l’ère de la ‘’glaciation’’. Dans une Algérie où des individus se proclament écrivains, intellectuels et même penseurs sans crainte d’être dérangés ou confondus par de véritables valeurs sures exerçant dans ces domaines, l’effort à déployer pour rattraper nos retards sur le plan de l’éducation et de la culture sont tout simplement titanesques. Que l’on continue à croire en ce début du 3e millénaire- avec tout le sérieux affiché par ce genre d’écrivaillons- que la culture algérienne et l’identité nationale devraient être protégées par des oukases ou des édits, et cela dans un esprit d’exclusion de toute diversité qu’elle soit nationale ou universelle, voilà un syndrome d’une impasse historique ou d’une aporie indépassable. Depuis que l’Algérie a commencé à sortir de l’unicité de la pensée- grâce aux luttes remarquables de sa jeunesse et au vent de démocratie qui souffle sur le monde-, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et, malheureusement, beaucoup de sang a coulé par la faute d’une idéologie d’exclusion et de tyrannie. Notre pays doit composer positivement avec son environnement international et s’ouvrir sur les cultures des autres peuples tout en s’inscrivant dans l’authenticité nationale ; comme il est tenu de se préparer à vivre la mondialisation avec le moins de dommage possible, au lieu de la subir, engoncé dans un esprit de chapelle, d’ostracisme et de repli sur soi. « Il se peut que les ghettos sécurisent, mais qu’ils stérilisent c’est sûr » ; c’est cet Algérien kabyle qu’est Mouloud Mammeri qui le dit.

Amar Naït Messaoud

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