La réunion des 48 walis du pays avec le ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales vient de remettre sur la table la problématique de la gouvernance locale dans toutes ses dimensions (développement économique, gestion administrative des territoires, relations administration-administrés et institutions exécutives-élus…etc.)
En sa qualité de premier responsable d’une division territoriale qui a pour nom wilaya, le wali est investi de larges pouvoirs que certains élus ne manquent pas de contester, car cette ‘’inflation’’ de prérogatives s’exerce nécessairement au détriment d’un équilibre supposé soutenir la relation entre élus et pouvoir exécutif.
Sur un autre plan, et l’occasion de cette esquisse de débat qui touche de près le fonctionnement de l’administration algérienne, l’on ne peut passer sous silence les contreperformances et les pesanteurs qui pèsent sur cet appareil que des experts n’hésitent pas à qualifier de véritable ‘’parangon de la bureaucratie’’.
Il est vrai que, partout dans le monde où les appareils et les structures de l’État ont été appelés à subir des mutations commandées par l’histoire et l’évolution sociale, ce sont d’abord les segments économiques et commerciaux qui donnent le ‘’la’’ du fait d’une flexibilité intrinsèque de ces deux domaines d’activité. Cependant, au bout de quelques changements ayant abouti à une adaptation partielle de l’activité économique aux mouvements de crise ou d’instabilité le souffle et la dynamique du point de départ se perdent en cours de route.
Car, il ne peut y avoir d’évolution ou de changement que dans un cadre social et administratif évolué susceptible d’affronter les nouvelles réalités sur la base d’une vision lucide et presque prémonitoire de l’environnement actuel et des perspectives immédiates.
En Algérie, beaucoup d’actes et de mode de gestion, de méthodes de travail, de contractualisation et de techniques industrielles ont vu le jour dans la sphère économique et commerciale depuis au moins les dix dernières années sans pour autant que le cadre administratif dans lequel évoluent ces paramètres ait été touché et remanié dans sa substance.
Or, pour l’ensemble des analystes de la scène économique et politique algérienne, la réforme en profondeur de l’administration publique demeure une condition sine qua non de toute évolution ou relance économique durable.
Il se trouve que, jusqu’à présent, les regards, en la matière, ne se sont focalisés que sur le règlement de la Fonction publique et les statuts particuliers qui en découlent.
Étant, depuis le milieu des années 1990, soumis au droit de regard du Fonds monétaire international (FMI) par l’intermédiaire duquel l’Algérie procéda au rééchelonnement de sa dette extérieure, ce volet important de l’administration et de l’économie du pays, à savoir la fonction publique, a eu une histoire chaotique qui avait installé avant l’instauration de l’autonomie des entreprises publiques en 1988 et le divorce structurel de l’État d’avec le parti unique une confusion totale et durable entre les structures administratives de l’État, symbole de sa souveraineté et instruments de la puissance publique, et le reste de la sphère économique et idéologique. En d’autres termes, les permanents du parti unique émargeaient au budget de la fonction publique et les entreprises publiques recevaient des subventions du Trésor public.
Une telle architecture de l’administration algérienne, autorisée par la grâce de l’économie administrée n’a subi l’évolution dictée par les nécessités du monde actuel qu’au prix de déchirements qui ont déteint sur la marche des entreprises et de l’administration elle-même.
Après ce découplage qui préfigurait d’autres formes d’évolutions tendant à assurer à l’administration son autonomie et à lui conférer les attributs de puissance publique, la Fonction publique se heurtera à moult écueils charriés par la libéralisation de l’économie, la nécessité de stabiliser les indicateurs macroéconomiques et l’impérative adaptation aux différents changements qui ont affecté le paysage économique et social du pays.
Diagnostic peu flatteur
Avec plus d’un million et demi de fonctionnaires civils, paramilitaires et militaires, payés sur le budget de fonctionnement de l’État, et avec des milliards de dinars destinés chaque année à l’alimentation du budget d’équipement piloté par cette même administration, plusieurs thèses se sont entrechoquées pour appeler à des dégraissages massifs dans ce corps ou bien encore au maintien de l’emploi, mais sans une analyse approfondie des véritables missions dévolues aux structures de l’État dans l’étape historique qu’il traverse.
Cependant, une vision purement statistique ne risque pas de toucher aux véritables problèmes qui couvent dans la Fonction publique. Pire, elle risque même de les voiler face aux enjeux de l’ouverture économique et des défis de la mondialisation. C’est pour dépasser cette approche tronquée que le président Bouteflika avait confié au début de son premier mandat, le travail d’investigation sur ce secteur vital de la vie de la nation à une commission nationale. Cette commission était chargée de proposer des réformes touchant le cœur de l’administration (personnel, formation, organigramme, articulations entre structures) et son prolongement territorial (décentralisation, nouvelle division administrative du pays). Les résultats contenus dans un rapport remis par le président de la commission, Missoum S’ Bih, actuel ambassadeur algérien à Paris, n’ont jamais fait l’objet d’une exploitation hardie par le gouvernement ou par le Parlement. C’est plutôt au compte-goutte que l’on annonce sporadiquement quelques timides réformes, lesquelles sont loin de répondre aux vrais problèmes que coltine depuis des décennies l’administration algérienne. Le diagnostic de cette dernière s’était figé un certain moment sur certains symptômes extérieurs : inflation du personnel, bureaucratie et archaïsme des méthodes de travail.
La Commission S’Bih est allée plus loin dans ses investigations en faisant état de la médiocrité de l’encadrement, de l’inefficacité des méthodes de travail, du manque d’adéquation entre la formation scolaire et universitaire avec les véritables missions de service public et de puissance publique et, enfin, des incohérences et travers générés par l’hypercentralisation des pouvoirs de décision aggravés par une division déséquilibré du territoire.
C’est apparemment au compte-goutte que le gouvernement ‘’glane’’ dans ce fameux rapport pour annoncer, par intermittence, des mesures qui sont encore loin de répondre aux besoins des défis qui se posent à l’administration algérienne.
Et pourtant, cela est connu à travers tous les pays du monde, aucune réforme économique n’est susceptible de s’imposer ni, a fortiori, d’avoir le souffle long sans une administration compétente, efficace, décentralisée et ouverte sur les méthodes modernes de gestion.
Outre le personnel administratif par lequel s’exercent la force et la souveraineté de l’État, et par lequel également la collectivité nationale se donne les moyens pour assurer le service public et la solidarité nationale, l’administration présente une dimension spatiale tournée vers la gestion des territoires. L’enjeu est de taille. À l’heure bénie où la société les partis politiques et les experts en aménagement du territoire fondent leurs espoirs et desseins sur une véritable décentralisation administrative- qui consacrerait une gestion rationnelle des territoires et des ressources-, des signes de recul sont enregistrés par-ci par-là dans le sens du renforcement du pouvoir central.
Les conséquences d’une telle situation sont connues de tous. Comme par un appel d’air, la répartition de la population suit le mouvement absurde de la centralisation, vu que la logique pyramidale instaure le développement et le maximum d’emplois dans les grandes villes et particulièrement dans la capitale. Alger, Oran, Constantine, Annaba, Sétif étouffent sous le poids de la population, de la circulation automobile, de demandes de logements…etc. L’exode rural, que le gouvernement tente de juguler, ne fait que se renforcer.
Des territoires entiers sont laissés à l’abandon. Que peuvent valoir les plans de développement et d’investissements publics- qui mobilisent des montants évalués en dizaines de milliards de dollars- dans une situation où l’administration continue à évoluer dans une stérile tout d’ivoire qui lui coupe tous les canaux de communication avec la société ?
Amar Naït Messaoud

