Loin de la coupe aux lèvres !

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Les assises sur le secteur du Commerce tenues au cours de la semaine dernière ont révélé les multiples faiblesses qui grèvent le système économique national, à commencer par le commerce informel et l’évasion fiscale. Ce sont là deux éléments qui remettent en cause toute l’architecture de l’économie nationale, qui pervertissent les valeurs de la justice fiscale et qui découragent l’acte d’investissement. Les chiffres se succèdent, s’entrechoquent et s’amplifient à chaque fois qu’il y a besoin de d’exprimer la réalité du secteur informel. Plus d’un million et demi de personnes y sont versées, près de mille milliards de dinars de manque à gagner et matière de recouvrement fiscal, danger sur la santé des citoyens lorsqu’ils ont affaire à des produits alimentaires non contrôlés, danger sur la sécurité de certains équipements industriels dans une situation de contrefaçon généralisée de pièces de rechange,…etc.

Les efforts de rationalisation de l’économie algérienne se heurtent souvent non seulement à ce monstre qui a pour nom algérien le « trabendo », mais également à l’anarchie et à la molesse caractérisant certaines administrations chargées de la mise en œuvre des programmes de développement et de la politique nationale d’investissement.

Depuis 2010, le gouvernement à tenu à assurer une meilleure organisation à la programmation des projets de développement en soumettant ces derniers au chronogramme du plan quinquennal d’investissements publics 2010-2014. En effet, les programmes d’équipement annuels que les différents départements ministériels sont appelés à mettre en œuvre jusqu’à l’échéance 2014 devront être puisés dans les actions prévues dans le programme quinquennal adopté en Conseil des ministres le mois de mai 2010. L’instruction n°02 du 22 juin 2010 relative à « la rationalisation de la gestion du programme public d’investissements, à la conduite de la dépense publique et à la promotion de l’entreprise nationale et des investissement étrangers en partenariat » adressée aux ministres et aux walis insiste sur ce procédé par lequel se constituent des portefeuilles de projets annuels en harmonie avec les projections quinquennales de chaque département ministériel.

En plus des réalisations physiques- en infrastructures et équipements publics- prévues dans le plan quinquennal et dont le montant financier est de 286 milliards de dollars, l’action du gouvernement est attendue par les populations et les entreprises sur plusieurs volets censés conduire la politique de l’État en matière de création d’emplois, de lutte contre l’inflation et de valorisation des revenus.

Fini la stand-by ?

Il va de soi que la jonction entre les objectifs techniques du Plan et les corrélats de développement humain ne peut se réaliser sans une politique offensive en matière d’investissement privé national, d’encouragement des investissements étrangers directs (IDE), de création de dizaines de milliers de PME/PMI (200 000 sont prévues par le plan quinquennal), de mise à niveau et d’assainissement définitif des entreprises publiques, de lutte contre l’économie informelle, la corruption et la fraude fiscale et du renforcement du rôle de l’Inspection générale des finances (IGF) et de la Cour des Comptes.

Le programme du gouvernement défendu en 2009 devant le Parlement par le Premier ministre porte en son sein, abstraction faite de ses aspects socioéconomiques purs, des débuts de réponses aux préoccupations des populations et de la société civile sur le plan de la décentralisation, de la gestion des Collectivités locales et de la gestion des territoires.

Ces axes sont censés être matérialisés par des instruments réglementaires tels que les nouvelles moutures des codes de la commune et de la wilaya et la consécration d’un nouveau découpage territorial.

Le nouveau Code communal étant adopté avec ses points forts et ses insuffisances, il reste la Code la wilaya qui a fait l’objet de débats il y a quelques semaines dans l’hémicycle de l’Assemblée populaire nationale. Quant à la nouvelle division administrative du pays, il semble qu’elle est renvoyée après 2012, échéance des élections législatives et locales.

S’agissant des orientations générales de la politique économique du pays- et malgré les griefs de ‘’protectionnisme’’ que certaines parties ont lancés en direction du gouvernement- elles sont, en principe, inscrites dans une logique de développement global et intégré censée pouvoir s’affranchir des aléas de la rente. Ces choix ou axes directeurs étant faits au niveau de la politique générale de l’État, il n’en demeure pas moins que, si l’on s’arrête spécialement sur l’un des plus grands enjeux de ce quinquennat, à savoir la politique gouvernementale afférente à l’investissement, il en ressort que le chemin sinueux arpenté jusqu’à ce jour ne pourra plus servir pour asseoir une base économique solide et un réseau d’entreprises (PME/PMI) dense et performant.

Les partenaires économiques et des analystes de l’économie nationale estiment que des lenteurs continuent de grever encore l’acte d’investissement. La culture et le comportement quotidien des différentes institutions nationales et de l’administration chargées de booster les investissement et de les accompagner sur le terrain n’ont pas acquis la fluidité et la maturité indispensables à ce genre d’opération.

Il faut reconnaître que les errements de l’ancienne politique économique et les fourvoiements de la gouvernance en général avaient installé les institutions du pays et les jeunes Algériens dans un infini stand-by. Aujourd’hui, les économies émergentes et les nations soucieuses de leur place dans l’échiquier mondial se préparent- via la stratégie d’investissement, la politique de l’école, de l’université et de la recherche, les dispositifs de création d’emploi et la politique de rayonnement culturel- à vivre avec le minimum de dégâts la mondialisation rampante, phénomène qui fait fi des distances et des anciennes cloisons idéologiques. Comment compte aborder notre pays cette phase cruciale de son développement économique, des ses transformations sociales et de son épanouissement culturel ?

Secteur public : un sort peu reluisant

La stratégie déployée dans la gestion de l’héritage du secteur public économique constitue la pierre de touche de la volonté des pouvoirs publics d’insuffler une nouvelle dynamique à la stratégie d’investissement. C’est sur ce point qu’en grande partie le gouvernement était attendu par les acteurs du secteur privé (national et étranger) pour jauger le sérieux et la volonté de la politique d’investissement dans notre pays. Il se trouve effectivement que le bilan en la matière n’est pas reluisant. Des entreprises publiques, pour lesquelles le gouvernement n’avait pas anticipé la chute, tombent comme un fruit qui a bletti sur sa propre branche. Après la mise au chômage de près d’un demi million de travailleurs issus des entreprises publiques- et que le maigre ‘’filet’’ de la CNAC n’a pu prendre qu’en partie-, le reste des unités supposées valides ont continué a broyer du noir avec moult réformes les faisant passer des holdings aux SGP, puis, dernier avatar d’une vision peu versée dans la prospective, la proposition de leur rattachement à leurs tutelles d’origine (les ministères) ! Là on donne l’impression que l’on traîne ces entreprises comme un boulet. Elles n’étaient candidates ni à la privatisation ni à un rationnel repêchage dans le giron des entreprises publiques performantes.

Les nouveaux choix du gouvernement- depuis au moins la loi de finances complémentaires de 2009-, allant dans le sens d’un développement autocentré seront-ils, à même de conférer un autre destin aux entreprises publiques économiques ? Le choix semble se préciser pour une réhabilitation de cet outil de production nationale. Les nouvelles lois portant sur le partenariat avec l’étranger, le nouveau code des marchés publics qui consacre une « préférence nationale » et d’autres mesures encore sont en principe tendus vers cet objectif qui, en son sein, contient aussi un autre objectif, celui de promouvoir l’entreprise privée algérienne. Car, cette dernière n’est pas non plus à l’abri de soubresauts générés par l’ouverture sur le marché mondial. M.Ridha Hamiani, président du Forum des chefs d’entreprises le précise bien : « Dans le contexte de l’économie algérienne, le marché a subi de profondes transformations. Les acteurs économiques sont invités, dès lors, à revoir leur perception des défis. Les grands écueils ne se situent pas exclusivement au niveau du foncier, du financement bancaire et de la bureaucratie administrative. De nouveaux problèmes, inconnus par le passé sont en train de surgir dans la sphère de production ». Le président du FCE enchaîne en ajoutant : « l’acteur économique ne sait pas encore que sa marchandise peut rester en stock suite à l’entrée envahissante des produits asiatiques et turcs, lesquelles bénéficient de prix concurrentiels et de la meilleure qualité. De nouvelles charges devraient être supportées par le producteur algérien : publicité réseau de distribution, réseau commercial. Le marché algérien connaît d’autres problèmes nouveaux à l’exemple de la croissance fulgurante du marché parallèle et la contrefaçon. On est arrivé au constat qu’il est plus facile d’acheter de l’étranger des produits de contrefaçon à prix modique que de les fabriquer localement. Sur plusieurs aspects, le marché est dominé par les importateurs en place et lieu des producteurs ».

Des dilemmes à gérer

La tripartite de mai dernier a essayé de créer un climat de « détente » entre le gouvernement et les acteurs du secteur privé aussi bien sur les facteurs d’incitation à l’investissement que sur les modes de payement des importations (Crédoc ou système classique). La deuxième tripartite de l’année 2011- programmée pour septembre prochain- aura surtout à débattre du niveau de vie des ménages, des revenus salariaux et des conflits de travail.

En tout cas, la nouvelle politique économique du gouvernement, tracée par la loi de finances complémentaire de 2009 et prolongée par d’autres mesures convergentes, y compris les lois de finances postérieures, est en quelque sorte le résultat d’un constat empreint de ‘’désenchantement’’ par rapport à une ouverture peu raisonnée de notre économie sur l’extérieur. Les investissements étrangers se sont limités à de juteuses opérations commerciales qui ont rarement induit une véritable création d’emploi. Pire, des dividendes étaient rapatriés vers le pays d’origine sans qu’ils donnent lieu à un quelconque impôt. Le président de la République a dénoncé publiquement cette situation. Le tir a fini par être corrigé à partir de l’année dernière par une batterie de mesures qui n’ont évidemment pas agrée à certains partenaires de l’Algérie. Ce qui finit par constituer un dilemme dans la mesure où, déjà avec l’ancien régime jugé trop libéral, les investissements étrangers ne se bousculaient pas au portillon de l’Algérie (un peu plus d’un milliard de dollars/ans en IDE comme moyenne au cours des trois dernières années). Le nouveau régime fiscal, de partenariat et de l’accès à la commande public (code des marchés) rendent, aux yeux de certains partenaires et acteurs économiques étrangers, l’intervention en Algérie encore plus problématique. C’est pourquoi, le gouvernement compte réhabiliter l’outil national de production et renforcer le tissu de PME/PMI.

Il y a lieu de constater que la faiblesse des investissements étrangers au cours de ces deux dernières années n’est pas dû uniquement au climat des affaires régnant dans notre pays. Depuis 2008, d’autres raisons s’y sont imbriquées et ont touché beaucoup d’autres pays suite à la crise financière mondiale. En effet, les données du FMI, de la Banque mondiale et de la CNUCED établissent un recul net des IDE à travers le monde avec un taux de 20 %. Dans la région arabe, le repli des investissements initialement escomptés serait supérieur à 60 % selon certaines estimations, cela bien avant les révolutions dites du « Printemps arabe ».

La problématique du financement

L’orientation générale de la politique gouvernementale confirme sa tendance à ce qui est appelé un « développement autocentré ». La problématique du financement de l’économie demeure, quant à elle, presque entière en se déclinant dans ses volets spécifiques à l’entreprise candidate au financement et ceux relatifs aux établissements de crédit. En tout cas, les financements des investissements projetés par les entreprises demeurent l’une des questions fondamentales inhérente à la politique de relance économique. Cela, malgré le fait que des surliquidités- capital dormant- aient pu être enregistrées dans les établissements bancaires algériens. En effet, la politique du crédit n’a pas encore trouvé ses marques d’une façon définitive dans notre pays. Les raisons sont nombreuses et généralement bien identifiées par les gestionnaires de l’économie nationale et des autorités politiques. Les premières heures ‘’libérales’’ vécues à partir du milieu des années 1990 ont vu la naissance de quelques banques privées agréées par le Conseil de la monnaie et du crédit. L’expérience a fait long feu et l’aventure du groupe Khalifa n’est pas étrangère à ce ‘’désaveu’’.

L’intervalle de temps qui nous sépare de cette expérience et qui a vu n’intervenir sur le terrain que les banques publiques- y compris depuis 2009 le Fonds national d’investissement, FNI, qui est domicilié à la Banque algérienne de développement, BAD- a permis une réflexion assez mûre sur la problématique de la relation entre l’établissement émetteur de crédit et l’entreprise consommatrice de ce crédit pour ses propres investissements.

Entre les deux parties- l’entreprise candidate au financement et la banque censée mobiliser les crédits-, la relation n’a pas encore atteint un degré de maturité et de confiance tel que le commande l’étape actuelle du pays, une étape qui met la politique de l’entreprise au cœur de la stratégie économique.

La modernisation de ce partenariat à l’échelle des pays avancés a fait que des filiales de banques se sont spécialisées dans certains secteurs de l’économie qu’elles financent (agriculture, métiers de l’environnement, construction et bâtiment,…). Dans ce cas de figure, spécialisation signifie avant tout mobilisation de la ressource humaine ayant le profil nécessaire d’expertiser les entreprises candidates aux crédits. Cette expertise commence par l’établissement de l’état des lieux de l’entreprise en question (santé financière, capacités managériales,…) et du marché qu’elle compte conquérir en se prolongeant par la suite sur le terrain par le suivi du projet auquel est destiné le financement.

L’état actuel des banques algériennes- caractérisé par un déficit en ingénierie financière et en management- ne leur permet pas encore de se déployer d’une manière aussi déterminée et aussi précise sur le terrain économique. L’octroi de crédits continue souvent à être tributaire de certaines garanties qui, sous d’autres cieux, sont jugées désuètes. Dans l’optique des réformes générales auxquelles sont censés être soumis les différents axes de l’économie nationale, le secteur bancaire sera appelé au-delà des règles prudentielles légitimement exigées des partenaires économiques, à savoir prendre le risque avec l’investisseur. Un risque mesuré. Voilà tout le défi et la voie royale des nouvelles performances attendues des établissements financiers destinés à accompagner les actes d’investissement par la mobilisation des crédits.

Hors de la logique gagnant-gagnant

Les déficits observables à l’heure actuelle dans ce domaine et les autres considérations liées au contexte particulier d’évolution de l’entreprise algérienne ont fait que la relation banque- entreprise ne bénéficie pas encore de la fluidité qui est censée s’appuyer sur la logique du gagnant-gagnant.

M.Abderrahmane Benkhalfa, délégué général de l’association des banques et établissements financiers (ABEF), a tenu, en 2010, à mettre en relief un élément constituant un danger pour la pérennité l’acte de financement de l’investissement. Il s’agit, comme on peut le deviner, de la solvabilité des entités économiques auquel le crédit s’adresse. En effet, le taux de non remboursement des crédits a atteint 25 %, soit 100 milliards de dinars ; situation faisant souvent suite à la faillite ayant affecté les entreprises bénéficiaires de crédits.

Les incertitudes et les lourdeurs qui pèsent sur les opérations de financement de l’économie sont, en tout cas, intimement liés à la nature de l’investissement, à la stratégie de développement adoptée par l’entreprise- y compris l’étude du marché des input et des output- ainsi qu’à l’action managériale mise en branle pour la gestion à court, moyen et long termes. C’est, en résumé de la solvabilité de l’entreprise qu’il s’agit. Néanmoins, le contenu accordé à ce concept a largement évolué de par le monde. Jadis, la solvabilité était réduite à des cautions précises ou à la mise en gage mobilière ou immobilière pouvant garantir le remboursement du crédit. Aujourd’hui, à l’échelle des personnes morales (sociétés, entreprises et d’autres entités), ce genre de cautionnement épouse de plus en plus le souci de la faisabilité et de la pertinence du projet à financer, d’une part, et le souci de la bonne gestion de l’entreprise qui sollicite le financement, d’autre part.

Outre la force de frappe induite par la performance du système de financement, la densité du réseau bancaire renseigne, pour les experts en économie, sur le degré de connectivité entre les banques et les entreprises. Ce critère appelé ‘’taux de bancarisation’’ demeure faible en Algérie. Il est d’un point pour 25 000 habitants, alors que la norme stabilisée au niveau de la plupart des pays est d’un point pour 8 000 habitants. De même, la difficulté de décrocher un crédit est illustrée par le ratio entre le nombre de demandes de crédit exprimées et le nombre de crédits accordés. Ce ratio est de 53 % . Ainsi, près d’une sollicitation de crédit sur deux est refusée. Cette faiblesse du volume et de la vitesse de la mobilisation des crédits bancaire illustre une certaine morosité dans la vigueur des investissements basés sur les petites et moyennes entreprises, supposées comme étant les entités économiques les plus à même de générer de l’emploi permanent, de la richesse et de la fiscalité.

Amar Naït Messaoud

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