Le coût des tergiversations

Partager

Le destin des entreprises publiques algériennes a eu incontestablement un parcours des plus singuliers au cours des vingt dernières années. Du peu flatteur sobriquet de “canard boiteux’’, dont elles étaient affublées dès le début des années 1990 dans le cadre de la première vision des réformes économiques, elles sont passées à être considérées, au cours de ces trois dernières années, comme le véritable ‘’outil de production’’ censé servir de locomotive au reste des segments de l’économie.

Vingt ans de réflexion et, apparemment, le dernier mot n’a pas encore été dit à propos de ces entités dont les premières réformes, faisant partie de la “déboumedianisation’’ du pays, remontent à 1982. C’était alors l’ère de la segmentation des grandes entreprises étatiques en petites unités selon les fonctions assurées (production, commercialisation, prestation de service,…).

Le second jet des réformes intervint en 1988, avant les événements d’octobre. Ce fut alors l’ère de l’autonomie des entités publiques ayant alors acquis le statut d’entreprises publiques économiques (EPE) dont le portefeuille financier relevait des holdings publics réunis selon la vocation des entreprises dont ils détiennent les capitaux à 100 % publics.

Le passage sous le rouleau compresseur du Pan d’ajustement structurel (PAS), dicté par le FMI suite au rééchelonnement de la dette extérieure du pays (26 milliards de dollars), a déstructuré bon nombre d’entreprises, en a fermé des dizaines et a été à l’origine du licenciement de presque un demi million de travailleurs.

Après plusieurs tentatives de “sauver les meubles’’ de quelques dizaines d’unités par des assainissements financiers successifs, le gouvernement se rendra compte plus tard qu’il ne s’agit pas de verser indéfiniment l’argent de la collectivité dans des structures qui peinent à “répondre’’, mais il faut encore des mesures plus pragmatiques. Parmi ces dernières, l’on entrevit un certain moment l’option de la privatisation comme la “panacée’’. Les premières opérations menées ont soulevé moult polémiques et le train de la privatisation est resté au carrefour de nulle part. Le promoteur attitré de cette option, Abdelhamid Temmar, ne sera plus en odeur de sainteté et le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, eut beau chercher les résultats de la politique industrielle promise, il ne vit que le titre des Assises de 2007 dont il n’a pas voulu assumer le contenu.

La nouvelle politique développée en direction du secteur économique public à partir de 2009- via la loi de finances complémentaire table sur la réhabilitation de l’entreprise publique en tant qu’outil viable de création de richesses et d’emplois. Pour une telle ambition, le gouvernement consacrera une cagnotte de 16 milliards de dollars consacrés à l’assainissement financier. Cette décision est venue après moult tergiversations qui auront duré plus de trois ans, c’est-à-dire depuis les assises nationales sur la stratégie industrielle tenues en 2007.

Le Conseil des participations de l’État (CPE) avait sélectionné en 2009 les entreprises concernées par les opérations d’assainissement financier. Ce sont des entreprises relevant généralement des secteurs du bâtiment, de l’hydraulique, de l’agriculture, des transports et des travaux publics. Les entreprises publiques activant dans le domaine de l’industrie (pharmacie, matériel agricole, cimenteries) et certaines entreprises de transport ont déjà bénéficié de pareille opération d’assainissement. Le secteur des ciments a été remis sur les rails grâce à une opération de réhabilitation ayant coûté plus de 140 milliards, selon les sources du ministère de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement.

Un assainissement au cas par cas

La méthode envisagée par les pouvoirs publics compte traiter les entités économiques publiques au cas par cas. C’est en tout cas la vision mise en avant par Mohamed Benmeradi, ministre de l’Industrie, de la PME et de la Promotion de l’investissement. Il soutient, dans une séance du Conseil de la nation de l’année passée, que  » le gouvernement est en train d’examiner au niveau du Conseil des participations de l’État un programme de réhabilitation [des entreprises publiques] qui ont un potentiel et un marché (…) Nous allons commencer par les entreprises engagées dans le programme quinquennal (2010-2014). Ce sont, essentiellement, des entreprises qui activent dans les secteurs des travaux publics et de l’hydraulique « .

S’agissant de la relance du secteur de la mécanique, le ministre de l’Industrie a fait état de l’achèvement de l’étude y afférente.  » Nous avons pratiquement terminé l’étude et beaucoup de décisions ont été prises pour la relance du secteur de l’industrie mécanique « .

Pour ce qui est des autres segments de l’industrie, telles que les industries électroniques et manufacturières, le ministre a indiqué que leurs dossiers étaient en maturation et qu’ils allaient être proposés au Conseil des participations de l’Etat.

Le ministre reconnaîtra par la suite que le secteur industriel a  » souffert d’un désinvestissement pendant trente ans et, aujourd’hui, le gouvernement est en train de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour moderniser et accroître ses capacités de production « .

Le nouveau plan quinquennal constitue assurément une précieuse opportunité au gouvernement pour réhabiliter une grande partie des entreprises publiques. Il est, en effet, prévu, dans ce plan, un programme de mise à niveau de 20 000 entreprises, programme qui réclamera environ 360 milliards de dinars. Les créneaux que comptent soutenir prioritairement les pouvoirs publics sont ceux liés à la formation (y compris le coaching) et à la rénovation équipements industriels.

Ce programme de soutien du gouvernement en direction de l’entreprise publique rejoint les ambitions affichées par les patrons privés qui se sont longtemps plaints de la concurrence déloyale que leur livrent les entreprises étrangères.  » Les entreprises algériennes méritent davantage d’implication dans les projets de développement économique « , soutient le président de l’Union générale des entrepreneurs algériens (UGEA), Abdelmadjid Dennouni. Il estime que  » l’entreprise algérienne est parfaitement capable de relever les défis du programme quinquennal 2010-2014 pour peu qu’elle puisse évoluer dans un environnement purement concurrentiel « .

Au cours de la tripartite tenue le 25 mai dernier, le soutien à l’entreprise privée a été mis sur la table. Et c’est vers une forme d’  » amnistie fiscale  » des PME que se dirigent les regards des patrons. Mais, à ce jour, aucune décision concrète n’est venue matérialiser ce vœu, quelque peu confus, exprimé par les deux parties (gouvernement et patrons).

Poutre maîtresse ?

Le diagnostic fait pour un grand nombre d’entreprises publiques est actuellement des moins flatteurs. Certaines continuent à souffrir des classiques handicaps de découverts bancaires, de manque de matière première, de déficit de trésorerie,…etc. Il y a quelques mois, ce sont trois entreprises relevant du secteur des matériaux de construction, bois et liège qui étaient menacées par une cessation d’activité et qui avaient lancé un SOS au gouvernement. La Fédération de ce secteur en appela au secrétaire général de l’UGTA afin d’intervenir pour arrêter ce processus de chute aux enfers qui est  » en contradiction avec le patriotisme économique  » prôné par le gouvernement.

Au début de la vague des réformes économiques, la privatisation des entreprises publiques était considérée comme une solution passe-partout capable de générer des substantiels pécules pour une relance économique basée sur l’investissement privé. C’était une illusion qui n’a pas tardé à faire connaître ses limites du fait que la relance économique ne peut être assimilée à une simple reconversion de la propriété du capital des entreprises. Par la suite, s’imposèrent des questions autrement plus cruciales relatives à l’environnement général de l’évolution des entreprises (système de financement, mise à disposition du foncier, viabilisation des infrastructures et équipement relevant de la responsabilité de l’État, qualification des capacités managériales,…).

L’expérience a fait aussi prendre conscience aux gestionnaires de l’économie nationale que l’Accord d’association avec l’Union européenne, entré en vigueur en septembre 2005 et la perspective de l’adhésion de notre pays à l’Organisation mondiale du commerce ont fini par mettre sur la table des questions encore plus épineuses que ne saurait régler d’un coup de baguette magique la privatisation des entreprises publiques.

L’on se souvient, à ce sujet, qu’en 2008 un coup d’arrêt a été donné au processus de privatisation de 200 entreprises, initialement prévues pour la cession partielle ou totale de leurs capitaux.

À l’époque, l’argument avancé alors par le secrétaire général de l’UGTA est que la relance économique devrait avoir pour poutre maîtresse le secteur public.  » L’appareil public économique doit être préservé comme étant un élément de souveraineté et de stabilité économique « , dira-t-il. La relance du secteur public s’inscrit, d’après lui, dans le cadre de la nouvelle stratégie qui  » vise à consolider la croissance hors hydrocarbures, sans laquelle notre survie deviendra aléatoire, notamment en cette conjoncture(…). Pour cela, le secteur public est appelé à être le maillon fort et l’élément moteur de la politique de développement « , ajoutera-t-il.

Le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales a pu dégager, il y a deux ans, un plan de charge pour SNVI de Rouiba. Cette dernière a reçu une importante commande pour livrer des bus à des centaines de communes du pays. En outre, douze autres entreprises ont bénéficié d’un assainissement financier au cours de la même année. Les unités en question ont reçu une aide de l’Etat évaluée à 333 milliards de dinars. Sur l’ensemble de ce montant, 106 milliard de dinars sont allés vers la résorption des découverts bancaires que ces entreprises traînaient depuis de longues années et qui ont mis à mal leur trésorerie au point que des milliers de travailleurs se sont retrouvés sans salaire pendant plusieurs mois, voire des années pour certains d’entre eux.

Un soutien d’un montant de 204 milliards de dinars est consacré à l’incitation aux efforts d’investissements attendus desdites entreprises.

Amar Naït Messaoud

Partager