La situation de famine qui frappe depuis le début de l’été 2011 la Corne de l’Afrique (Somalie, Erythrée, Ethiopie, Djibouti et Kenya), outre le fonds politique fait de guerre civile ou de tensions dramatique prenant en otage les populations de la région, remet sur la table la question des changements climatiques qui affectent gravement cette partie du continent. En effet, l’intensité de la sécheresse qui, depuis maintenant deux mois, menace sérieusement la vue de plus de 12 millions de personnes, n’a jamais été connue depuis 60 ans dans ces contrées.
Si l’ensemble du continent africain ne contribuerait, selon des statistiques récentes, qu’à hauteur de 4 % à la pollution atmosphérique qui charrie les changements climatiques, les pays composant ce continent ne cessent de vivre des catastrophes écologiques liées aussi bien à ces changements climatique- dont on ne peut, dans l’état actuel des connaissance, quantifier avec exactitude les effet- qu’à d’autres facteurs endogènes spécifiques à chaque pays. Ces facteurs sont multiples, et les pays africains tardent à en prendre sérieusement conscience. Et ce n’est qu’au cours de ces dernières années que notre pays donne l’impression de se réveiller à la donne environnementale d’une façon générale. Ce qui est censé être une culture accompagnant toutes les actions de développement et un comportement citoyen permanent commence à peine à pénétrer les mœurs et figurer sur les tablettes des gouvernants et des techniciens. Ne crions pas victoire si, par malheur, le caractère folklorique et protocolaire de cette supposée prise de conscience venait à prendre le pas sur des programmes d’envergure capables d’apporter des solutions à une situation qui commence à toucher aux limites du soutenable.
Indubitablement, sur l’ensemble des défis qui se posent à l’humanité en ce début du troisième millénaire, celui de l’environnement semble être le plus complexe, le plus coûteux et le moins accessible à une réactivité immédiate des différents acteurs de la société : pouvoirs publics, agents économiques, hommes de sciences, monde associatif&hellip,; et, ce, en raison de la relative lenteur d’apparition des dérèglements des divers milieux comparativement aux crises financières et économiques pour lesquelles sont convoqués sur-le-champ séminaires, congrès et autres journées d’étude. Cependant, depuis la conférence de Rio de juin 1992, une prise de conscience graduelle mais profonde s’est enclenchée à l’échelle de la planète. Les médias, les scientifiques, les mouvements politiques classés ‘’écolo’’ et les associations ont contribué à accélérer cette prise de conscience à différents niveaux de la société. Il faut dire aussi que les bouleversements que la nature a connus au cours des vingt dernières années n’ont pas laissé indifférente l’opinion. Des dizaines de catastrophes, particulièrement climatiques, sont enregistrées chaque année dans le monde, phénomènes qui ont causé des milliers de morts et des destructions des habitations et infrastructures.
A l’échelle de notre pays, les habitants s’exposent chaque jour à l’insalubrité et aux phénomènes issus des conséquences d’atteinte à l’environnement. Même pour un observateur distrait, les différentes atteintes à l’environnement et au cadre de vie des Algériens ne relèvent plus du mystère. Elles sont observables aussi bien dans des quartiers urbains résidentiels, dans des centres limitrophes des zones industrielles et même, ô comble d’hérésie, dans les espaces de l’arrière-pays considéré naguère comme le dernier bastion de la pureté de l’eau, de l’air et des paysages. Cet espace immaculé a vécu la chute aux enfers au moment où les valeurs morales et civiques et la discipline générale subissaient une nette inflexion.
En 2009, le ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, M.Cherif Rahmani, a inauguré les nouveaux électrofiltres installés sur les cracheurs de poussières de la cimenterie de Meftah. Ce qui a toujours été considéré comme un problème de santé publique- à savoir les émanations poussiéreuses de cette unité industrielle- avait, un certain moment, fait l’objet d’un traitement ‘’politique’’ peu innocent. L’on se souvient que le groupe parlementaire du parti Ennahda à l’Assemblée populaire nationale avait donné lecture à une déclaration rédigée par le parti où il se fait le ‘’porte-parole’’ des citoyens de Meftah qui menaçaient de descendre dans la rue pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur le danger que représente la cimenterie pour la population. Les pétitionnaires firent observer que les électrofiltres ne jouaient plus leur rôle et que cent-cinquante mille personnes seraient touchées, à un degré ou un autre, par les pathologies générées par cette pollution. En outre, les explosifs utilisés par l’unité de Meftah seraient à l’origine de plusieurs fissurations de maisons. Il a été alors demandé à ce que des experts en santé publique et en environnement fassent le déplacement sur le site pour un diagnostic complet et objectif.
Il est arrivé au cours de ces dernières années, que des citoyens et des responsables se posent souvent la question de savoir pourquoi et comment se multiplient, par exemple, des cas d’éboulement de terrains réputés solides et bien ancrés, des cas de maladies infectieuses prenant parfois l’allure d’épidémies mortelles ou de maladies allergiques touchant enfants et adultes. On peut pousser les interrogations pour s’enquérir des raisons de la diminution des capacités de stockage de nos barrages et du retour de certaines pathologies anciennes que seule la mémoire populaire a pu retenir des années noires de la misère et de la colonisation.
En tant que pays du tiers-monde ayant la chance- ou la malchance- de disposer d’une rente pétrolière consistante, l’Algérie, avec un volontarisme et un populisme effrénés, avait investi dans la construction industrielle et l’urbanisation à telle enseigne que le visage du pays – panorama rural, tissu urbain, rythme de vie- se trouve complètement chamboulé au bout de quatre décennies.
Les origines de la préoccupation environnementale
Par conséquent, dans tous les programmes de développement et même dans les actes de la vie quotidienne, les préoccupations environnementales ne sont prises en charge qu’au cours de ces dernières années, contrairement aux pays industrialisés pour lesquels les critères environnementaux font partie de la ‘’dépense industrielle’’ depuis au moins le milieu du 20e siècle. En la matière, il se trouve que ce qui a été initié dans notre pays, l’a été généralement suite aux conditionnalités accompagnant certains programmes de développement financés par des institutions étrangères (PNUD, BIRD, FAO). Ces tests commencent quand même à donner leurs fruits en instaurant une certaine pédagogie dans le montage des projets, y compris ceux managés par des entreprises privées. Il devient de plus en plus impératif de faire accompagner n’importe quelle activité économique de ses variables environnementales dans l’objectif d’atténuer les effets collatéraux susceptibles d’être induits par les programmes de développement. En tout cas, pour la majorité des bailleurs de fonds, la sensibilité à l’aspect écologique du développement fait désormais partie du coût des projets qu’il importe de porter sur le tableau des devis en tant que rubrique générant une charge vénale incompressible.
Les agressions contre l’environnement en Algérie ont leur histoire qui, même si elle ne sont pas nécessairement liées à un développement industriel important, constituent, néanmoins des étapes dans la perte de ‘’repères’’ écologiques. En effet, depuis le début de la colonisation jusqu’aux programmes de développement de l’Algérie indépendante, la population, la propriété foncière, les modes de vie, les systèmes de production, la cellule familiale et la gestion de l’espace, en tant que lieu d’habitat et ressource primaire, ont connu de tels chamboulement que la pays s’est complètement métamorphosé. De fond en comble, la relation avec la terre et avec ses éléments principaux (montagnes, ruisseaux, fermes, assiettes foncières, ressources naturelles) se trouve transformée. Le système colonial, dans une stratégie de cantonnement des populations indigènes, a construit des villes nouvelles, crée des usines, bâties des écoles et des infrastructures de desserte, comme il a institué le système de métayage qui avait réduit nos paysans à une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. À l’intérieur même des villes européennes nouvellement construites en Algérie, les poches de misère indigènes ont été circonscrites dans des quartiers dits ‘’arabes’’.
Pour faire fonctionner les fermes et les ateliers tenus par des Européens, il a été fait appel à des ouvriers de l’arrière-pays montagneux et des Hauts Plateaux. Nos grands-pères se souviennent encore des campagnes de vendanges à Boufarik, Dellys et Berrouaghia qui faisaient mobiliser les jeunes paysans loqueteux de la Haute Kabylie , du Titteri et de l’Ouarsenis. Toute la Mitidja était prise en charge sur le plan de la main-d’œuvre par cette armée de réserve qui a survécu aux guerres et aux épidémies.
Des tâches sporadiques ou saisonnières (cueillettes d’oranges et clémentines, vendanges, arrachage de pommes de terres), des travaux exigeant une présence plus assidue (irrigation, labours, taille,…) ou des fonctions permanentes (machinisme agricole, construction, gardiennage,…) ont fait venir des milliers de personnes de la campagne déshérités vers les plaines fertiles, près des grandes villes. À l’ancien statut de célibataire est venu se substituer, quelques temps après, le statut de chef de ménage. C’est ainsi que des milliers de familles se sont déplacées au cours du 20e siècle, créant un vaste phénomène d’exode rural.
Sur le lieu d’arrivée, l’installation ne s’encombre pas de commodités ou de luxe qui, de toute façon, ne viendront jamais. Ce sont des chaumières en tôle de zinc, parfois des masures en pisé sans sanitaires ni espace suffisant, qui vont constituer des ceintures de misère autour des villages coloniaux. Cette situation perdurera après l’indépendance du pays. Pire, au vu des promesses nourries par la révolution algérienne consistant à bannir le statut de khemmes et à réhabiliter le paysan algérien, d’autres ‘’fantaisies’’ allaient voir le jour du fait d’un déracinement effectif. Le statut de paysan a été dévalorisé au vu de son histoire peu glorieuse pendant la colonisation. Il s’ensuivit une fonctionnarisation effrénée, tendant à se décomplexer vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale et, par-là même, à vouloir reproduire les mêmes schémas d’organisation et d’ascension sociale.
Un facteur de poids : la rente pétrolière
Cette forme de ‘’stabilisation’’ a eu un effet d’entraînement par lequel d’autres contingents venus des campagnes ont décidé de s’installer dans les villes en rompant avec leurs lieux d’origine Des besoins nouveaux sont nés avec une telle situation de fait accompli : école pour les enfants, dispensaires, raccordement aux réseaux AEP, gaz et électricité assainissement…Une façon comme une autre de régulariser implicitement une urbanisation anarchique. Cela va encore se renforcer avec l’ouverture de nouvelles routes et pistes de desserte, l’installation de magasins d’approvisionnement et parfois d’antennes administratives d’APC.
En matière de travail, les gens s’occuperont de tout sauf de l’agriculture : fonctionnariat, transport clandestin, petits ateliers de mécanique, épiceries, ventes de produits à la sauvette.
Et ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que le chômage, la délinquance juvénile, le banditisme, le commerce des stupéfiants et les autres comportements anti-sociaux nés dans ces favelas commencent à sérieusement inquiéter les pouvoirs publics et à intéresser les milieux intellectuels et universitaires. Ces espaces, autrefois lieux de production agricole malgré la discrimination salariale et la politique d’indigénat, ont été vite transformés en aires bétonnées, en grands cloaques d’eaux usées et en lieu de marginalisation d’où se fortifiera l’intégrisme religieux.
Les nouveaux départs des populations ont entraîné avec eux l’insouciance des autorités locales quant aux actions de développement. Des pistes sont restées non bitumées pendant une trentaine d’années. Les anciennes routes ouvertes par le génie militaire français pour les besoins de la guerre et qui avaient desservi aussi des bourgades et des villages sont tombées en ruine. Le retard d’électrification, d’adduction d’eau potable, d’assainissement et de raccordement au téléphone n’encourage pas les anciens habitants à retourner chez eux. Et, raison capitale, aucune politique de l’emploi en milieu rural, basée sur l’agriculture, l’élevage et l’artisanat n’avait été initiée. La rente pétrolière, dont les effets ont commencé à se faire sentir dès les années 1970, pouvait suppléer à toutes les paresses. Cette manne du sous-sol algérien a permis tous les errements ! Même dans les anciens ‘’villages socialistes agricoles’’ (VSA), l’emploi agricole est devenu minoritaire : les gens sont versés dans l’économie informelle, le transport clandestin et le fonctionnariat. C’est un véritable échec ‘’planifié’’ qui a gangrené la société et l’économie en général. Comme si cela ne suffisait pas, la dernière décennie du vingtième siècle a mis sens dessus dessous une situation qui tenait déjà d’un véritable capharnaüm algérien suite à la subversion islamiste- dont l’ascension idéologique et messianique doivent beaucoup, selon l’analyse de feu Mostefa Lacheraf, au déracinement de la société algérienne ayant subi l’exode rural- et les problèmes sociaux s’en trouvent amplifiés.
Il en résulte que la demande en logement va crescendo et épouse une courbe exponentielle sans fin. En outre, le déséquilibre de la répartition démographique caractérisant le territoire national- la zone côtière se trouve surchargée par rapport aux Hauts Plateaux et au sud du pays- ajouté à la consommation effrénée des terres agricoles pour les besoins du béton, font peser, à moyen terme, un lourd danger au cadre général de vie des Algériens et à l’environnement immédiat, déjà bien mis à mal par toutes sortes de pollutions et de ‘’rurbanisations’’(néologisme consacré aux pays du tiers-monde ayant subi la ruralisation de leurs villes).
Quant la sensibilisation fait défaut
Au lieu que les autorités et les techniciens algériens consacrent leurs efforts à la réflexion sur un meilleur cadre de vie en améliorant la qualité du bâti, l’architecture des immeubles et l’embellissement des espaces secondaires de nos cités, ils se voient réduits à faire de sempiternels calculs en millions d’unités d’habitation à délivrer à des dizaines de millions de demandeurs. Et c’est un cycle infernal qui ne pourra être jugulé que par une vision globale, rationnelle et cohérente de l’économie et de l’environnement.
Au vu des très vastes superficies des forêts incendiées au cours des quinze dernières années, un vieux montagnard appuyé sur sa canne nous pose cette question qui comporte en son sein la réponse : « Croyez-vous que les si les gens se chauffaient et cuisinaient encore avec du bois, ils laisseraient les forêts partir en fumée comme c’est le cas aujourd’hui » ? Le vieux n’a pas tort. La bouteille de gaz et le gaz de ville ont fait oublier cette millénaire énergie primaire qu’est le bois. Et, lorsque nos programmes scolaires et les autres moyens de sensibilisation ne sont pas mis à contribution pour faire connaître les autres bienfaits du tissu forestier, on ne peut pas demander au citoyen d’avoir la conscience écologique par ‘’décret’’.
Les symptômes des effets du déboisement n’ont jamais été aussi visibles que lors de quatre derniers hivers. La presse a rapporté de tous les coins du pays des inondations et des éboulements qui ont touché les villes et les routes. La RN 5, au niveau des gorges de Lakhdaria, a été obstruée à plusieurs reprises par des chutes de gros blocs déboulant à toute vitesse sur un terrain qui a perdu son ciment naturel, la végétation. Il en est de même au niveau de la RN 1, dans les gorges de la Chiffa , où même des versants du Parc national de Chréa ont été calcinés au cours des derniers étés.
Ayant perdu son pouvoir régulateur du régime des eaux, le sol voit, du même coup, ses capacités de filtration réduites à néant, ce qui aboutit à une torrentialité accrue de l’écoulement des eaux créant des inondations au niveau des villes et des villages. Ce dernier phénomène est, bien sûr, aggravé par les constructions illicites sur les zones inondables des berges. Le même phénomène est à l’origine de l’envasement des barrages, ce qui, à la longue, réduira fortement leur capacité de rétention comme c’est la cas pour le barrage du Ksob, touchant les wilayas de Bordj Bou Arréridj et M’sila. A ce propos, on ne peut que se réjouir de l’esprit de prospective et de l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) qui a fait mener des études sur la protection des bassins versants des nouveaux barrages réalisés bien avant l’achèvement des travaux de construction.
Amar Naït Messaoud