Il se produira demain Mercredi au stade Oukil Ramdane de Tizi-Ouzou à partir de 22h, dans un concert événement qui s’annonce grandiose. Zedek Mouloud, l’artiste kabyle, revient dans cet entretien sur ce spectacle qui scellera les retrouvailles avec ses nombreux fans. Il dévoile en exclusivité pour nos lecteurs, le titre de son prochain Album, D abrid kan.
La Dépêche de Kabylie : Après tant d’années d’absence, Mouloud Zedek revient sur scène à Tizi-Ouzou avec un concert événement ce mercredi au stade Oukil Ramdane. Comment est venue l’idée d’organiser un grand spectacle ?
Mouloud Zedek : L’idée est venue après les sollicitations de beaucoup de fans qui m’ont, à maintes reprises, signifié que j’ai peut-être trop abandonné le terrain, les spectacles entre autres. Nous avons donc opté cette fois-ci pour un spectacle au niveau du stade Oukil Ramdane et non dans une salle pour satisfaire le public. Ça sera une première pour moi de me produire dans un stade. J’espère que cela fera plaisir à tous ceux qui m’aiment. Pour l’occasion, nous avons préparé un programme qui plaira, je le souhaite bien, à mon public que je n’aimerais pas décevoir.
Justement, ils sont nombreux à penser que vous avez peut-être trop tardé pour une telle initiative …
Moi aussi je fais le même constat. Cependant, il faut reconnaître qu’en Kabylie, c’est toujours difficile d’organiser un spectacle, notamment dans un stade. Plusieurs aléas font défaut.
Quelles sont les raisons de cette absence sur le terrain ?
On ne peut pas parler d’abandon, proprement dit. J’ai reçu plusieurs invitations pour des spectacles, mais moi, je n’aime pas décevoir. Quand je m’investis dans quelque chose, il faut que je le fasse à 100 %. Soit on fait bien les choses, soit on s’abstient à défaut de faire mauvais. J’ai toujours opté pour le silence, quand les conditions ne s’y prêtent pas, et ce, par respect à mon public. Je dois dire, dans ce sens, que l’attente du public me stimule ; elle me donne encore de la force pour aller jusqu’au bout.
Ça sera donc une occasion de retrouver votre public qui vous attend depuis longtemps…
Tout à fait ! Le spectacle, c’est une occasion de renouer avec mon public ainsi que la scène, à Tizi Ouzou. Il y aura certainement de l’ancien, mais aussi de nouvelles chansons. Nous avons pratiquement tout ficelé avec un orchestre sous la direction d’Allaoua Bahlouli. Quant au répertoire, j’ai essayé de brasser large, j’ai choisi les meilleures chansons appréciées par le public. C’est un programme qui répondra justement au souci de faire plaisir à tous ceux qui feront le déplacement, ce mercredi au stade Oukil Ramdane.
Avez-vous prévu de chanter des titres de votre nouvel album ?
Oui, comme il est toujours de coutume, à la fin du spectacle, il y aura quelques chansons de mon prochain album. Ça sera un avant goût du nouveau produit que je prépare en ce moment même. Il sortira bientôt, je l’espère bien.
Vous faites partie des artistes que le public classe dans le chapitre des chanteurs engagés, cela vous met-il plus de pression ?
Bien au contraire, cela m’honore et me donne des satisfactions. C’est que le message passe bien et c’est le but de chaque artiste qui se respecte. Etre chanteur kabyle est, en principe, un engagement en soi. Je dis cela, à priori, car il y a une cause et un combat. Notre langue est marginalisée. A ce jour, elle ne trouve pas encore sa place dans son pays, comme il se doit .Tant que ces questions resteront suspendues et non prises en charge, l’engagement sera toujours d’actualité car c’est en nous que nous portons ce devoir de militer pour une noble cause.
Oui mais comment concevez-vous cet engagement ?
Je vis dans la société et parmi elle. Par conséquent, je suis conscient de tous les maux qui la traversent. Que peut faire l’artiste aujourd’hui dans notre pays ? Constater et dénoncer. Car il a l’art avec lequel il peut rendre service à la société en bute à une crise multidimensionnelle. L’artiste doit dire ces vérités même si cela dérange.
Vous avez dans toutes vos sorties rendu hommage à Lounes Matoub mais aussi aux martyrs du Printemps noir. Est-ce aussi une forme d’engagement ?
Tous ceux qui se sont sacrifiés pour le combat de la région, pour la reconnaissance de son identité méritent le meilleur des hommages. Ces derniers ne doivent pas se limiter à de simples évocations lors des spectacles, mais bien plus. Le sacrifice de tous ces hommes doit être quotidiennement rappelé pour que nul n’oublie. Je citerais à titre d’illustration, Matoub Lounes ou encore nos jeunes assassinés lors du Printemps noir et la position de la Kabylie durant ces événements. Rares sont les peuples qui peuvent le faire, donc on ne doit pas se montrer amnésiques vis-à-vis de tous ces sacrifices. La Kabylie doit justement en être fière.
Le stade Oukil Ramdane porte justement une grande symbolique pour le combat identitaire ?
Absolument. Le stade Oukil Ramdane est mythique. Il est l’un des lieux témoins de plusieurs haltes du combat de la région. Il porte, à cet effet, une grande symbolique. Je me souviens que c’est sur les gradins du stade que le 20 avril de chaque année que se rassemblaient des milliers de gens, pour la commémoration des événements du Printemps berbère. Ces moments historiques font partie de nos repères.
Justement, en évoquant les repères, certains disent que la notion de l’engagement a perdu ses repères dans la chanson kabyle ?
Oui, il y a une partie de vérité dans ce que vous dites. Toutefois, je précise qu’avant de parler de l’engagement, nous devons parler de ce qui entoure aujourd’hui la chanson et l’artiste kabyles. Parce que, hélas, le chanteur kabyle est isolé et ne peut plus vivre de son art. À lui seul, il ne peut rien faire. Cette solitude aidant, on peut aisément être traversé par le doute. Aujourd’hui la volonté à elle seule ne suffit pas. Il y a aussi une question de moyens. Il ne faut donc pas incriminer uniquement l’artiste kabyle. Bien au contraire, celui-ci a résisté à beaucoup d’épreuves.
Oui, mais ne croyez-vous pas que certains chanteurs ont participé à la perversion du combat qui a traversé la chanson kabyle ?
C’est vrai, il peut y avoir des artistes qui ont fait des erreurs. Le milieu artistique ne fait pas exception de ce constat. Comme il peut y avoir dans d’autres domaines ce genre d’erreurs, pour l’artiste aussi c’est la même configuration. Cependant, le combat ne s’arrêtera pas. Bien au contraire, il ira de génération en génération, jusqu’à la consécration de nos droits. Ce n’est pas une question de jours, mais c’est celle de toujours.
Justement, votre dernier Opus, Lihala Tmurt, résume un peu cette situation faite de problèmes multiples…
Oui, le produit traite de tous les problèmes qui traversent la société kabyle. Notre combat, tamazight, entre autres, du moins pour moi, c’est la préoccupation essentielle. Comme je le dis souvent, Taqvaylit I d iy-icqan.
Zedek c’est aussi Taddart à laquelle il est si attaché.
Absolument ! Le village, j’y suis né et je j’y réside encore. Je ne conçois pas ma vie en dehors de cet espace convivial, auquel je m’identifie depuis mon enfance. À Taddart, j’ai mes repères et souvenirs. J’ouvre une parenthèse pour dire que Taddart mérite à présent plus d’égards car, ces derniers temps, nos villages sont envahis par des phénomènes complètement étrangers à notre société. Les citoyens doivent justement unir leurs forces pour endiguer ces mauvaises choses qui font du mal à la société.
C’est peut-être aussi le rôle des artistes ?
Oui, c’est le rôle des artistes mais aussi de tous. Au village, justement, tout le monde est sur le même pied d’égalité. Qu’on soit riche ou pauvre, les gens sont mis au même titre, en termes de devoirs et de droits.
Vous avez dénoncé notamment dans votre album Lihala Tmurt, des phénomènes étrangers à la société qui se sont greffés sur la vie quotidienne de nos villages, s’agit-il d’une sonnette d’alarme pour dire Stop ?
Il s’agit de dire le mal tel qu’il est. Le rôle de l’artiste consiste justement à dénoncer ces choses-là. Moi, je suis très attaché à la Kabylie. Je constate avec amertume tous ces changements qui bouleversent la vie dans nos villages. Jadis, la Kabylie c’est la parole, D Awal. Ce sont des valeurs ; c’est une vérité qui se dévoile. Ces derniers temps, j’ai constaté un retour en arrière qu’on doit impérativement éviter si l’on veut continuer à exister en tant qu’entité. On ne doit pas abandonner nos valeurs pour avancer avec celles des autres. Évoluer c’est bien, mais pas à contre-courant. On doit savoir où nous en sommes.
Quand comptez-vous mettre votre nouveau produit sur le marché?
Oui, ça sera D abrid kan. L’album est toujours en chantier. J’avance dans le projet et j’espère qu’il sortira prochainement.
Ça sera certainement le prolongement de Lihala Tmurt ?
Oui c’est le prolongement et la continuité. Comme pour la voie, la vérité est unique.
Que pensez-vous du folklore qui a pris le dessus ces dernières années ?
Le folklore dans son contexte est une bonne chose. Cependant, j’insiste que Taqvaylit ne soit pas uniquement être ça. C’est avant tout Awal. C’est la réflexion et l’éducation. Elle ne doit pas être réduite à une simple question de danse.
Il y a aussi l’épineuse question de la production et de l’édition qui semblent, en l’absence d’une industrie du disque, complètement désorientées ?
C’est là une question cruciale et qui touche le monde entier. Cependant, le problème est un peu particulier pour les artistes kabyles. Le produit s’il n’est pas acheté par un public kabyle, ne se vendra pas ailleurs. Nous avons senti justement ce problème. Le CD se vend, mais pas comme avant, une des raisons qui a sensiblement réduit le nombre de producteurs ; il ne reste plus rien dans la production et l’édition kabyles, car ceux-ci n’ont pas la même vision. S’il ne vend pas le produit, le producteur n’est intéressé ni par Taqvaylit ni par autre chose.
On assiste cependant à une décantation qui relègue justement la chanson rythmée au second plan, êtes-vous de cet avis ?
C’est comme partout dans le monde : quand un nouveau mode sort et explose, il représente la mode du moment. Cependant, les classiques finissent toujours par revenir au devant de la scène. C’est le texte qui fait la chanson kabyle, par le message qu’elle véhicule. Personnellement, je n’ai jamais douté du fait des vagues qui ont traversé la chanson kabyle, car j’ai toujours eu la certitude que ce n’est qu’une mode passagère, loin de constituer une éternelle dynamique. Il ne faut pas justement que l’artiste kabyle doute et remette en cause ses convictions. Aujourd’hui, qui peut par exemple effacer les grands classiques français tels que Brassens, Ferré ou Jacques Brel ? De même que personne ne peut nier l’apport de Chikh El Hasnaoui, Slimane Azem ou encore Matoub Lounes et Aït Menguellet. Ils sont la base de la chanson kabyle.
Zedek, vous ne chantez pas uniquement le social ou la politique mais aussi l’amour. D’ailleurs, vos fans disent qu’il y a beaucoup de nostalgie quand vous évoquez Tayri.
S’agit-il d’un vécu qui influence vos textes ?
L’amour, comme la liberté et la vérité doivent toujours vivre en nous. Car si on en est privé il ne reste pas grand-chose. L’amour doit justement guider nos pas. Il ne doit jamais constituer un élément de distraction ou de loisir, comme le font certains. L’amour n’est pas un jeu. Maintenant, s’agissant du lien entre la nostalgie et l’amour, bien sûr, il est même indissociable. L’amour c’est ce qu’on veut et ce qu’on a envie d’avoir. C’est ce qui te manque qui peut t’inspirer. Chanter l’amour dans ce cas revient à faire vivre une lumière en soi. Mais ces dernier temps, je pense que l’angle diffère (Rires). L’amour que je chante est différent car ce n’est pas la même vision qu’on à de la question à 20 ans ou à 40 ans.
Entretien réalisé par Omar Zeghni