Aguemoune est un petit bout de paradis situé au milieu d’une enclave naturelle, au piémont de la montagne d’Achtoug à quelques encablures du chef-lieu de la commune de Beni Maouche dont il dépend. C’est une vraie carte postale qui jaillit devant les yeux. Les bruissements de l’eau qui ruissellent de partout, l’air pur qui purifie les branches pulmonaires, les chants mélodieux des oiseaux qui bercent les cœurs, les senteurs enivrantes des plantes qui chatouillent les narines, forment un ensemble de bienfaits qui s’ajoutent à des paysages enchanteurs que dominent l’herbe verdoyante. Aux lisières des petites forêts et dans les parcelles incultes saturées de garigues, de maquis et de broussailles fanées, les troupeaux paissent tout en étant étroitement surveillés par les bergers qui ne laissent pas les bêtes s’approcher des figuiers. Un citoyen, tenant d’une main un panier en osier rempli de figues fraîches, nous invite à en prendre quelques-unes. La grosseur du fruit, sa peau charnue et sa pulpe juteuse et fondante remplie de petits grains mettent l’eau à la bouche et donnent irrésistiblement envie d’en raffoler copieusement. De l’autre main, il tient un autre panier plus grand et rempli de figues jaunes destinées celles-ci à devenir sèches après une technique minutieuse qu’il expliquera. «On arase bien les alentours du figuier pour que les figues qui tombent ne soient pas abîmées. On les ramasse et les laisse sécher au soleil sur des tapis tissés sur la base de roseaux ou branches d’oléastres. Une fois les figues séchées, on les stocke dans des récipients généralement en terre cuite (Akoufi) pour les consommer tout au long de l’année», explique le fellah. A côté des fellahs nettoient les alentours des oliviers ornés de grappes d’olives vertes. Ils préparent le lancement de la campagne des olives qui démarre en novembre prochain. «Comme les figuiers, on nettoie aussi les alentours des oliviers pour ramasser les olives sans se faire égratigner les mains par les épines», renchérit-il. Nous découvrons un monde à part où des montagnards vivent pauvrement mais dans l’insouciance totale, se contentant des produits tirés fièrement de leurs terres bien travaillées et arrosées de leurs sueurs. Contrairement aux citadins qui raffolent des vitrines bondées de produits alléchants, mais vivant dans le stress induit par les encombrements de piétons sur les trottoirs et de voitures sur les chaussées, ici les populations vivent en harmonie avec la nature. Mais notre opinion est vite contrariée par Sekour Abdelkader, un président d’une association nouvellement créée et habitant de ce village qui nous fera savoir que cette nature, qui les a dotés de panoramas splendides à couper le souffle, accentue aussi la dureté de la vie dans ces montagnes. Il égrène alors d’un chapelet d’insuffisances en infrastructures qui leur compliquent l’existence. Sans se faire prier, il dresse un tableau sur la situation qui prévaut dans son village. A savoir les routes à l’état des pistes, les manques de loisirs pour les jeunes, le transport inexistant, l’insuffisance de la couverture médicale, la scolarité difficile des enfants, etc. «Le séisme de 2000 qui a ébranlé la région dont l’épicentre se situe à un jet de pierre de notre bourgade, engendrant des sinistrés, a fait fuir les habitants vers d’autres cieux. Sur les 4 000 habitants, il en reste après le séisme environ 2 500. Les plaies béantes ne se sont pas encore refermées après 10 ans, avec ces logements collectifs construits à moitié et abandonnés depuis», se souvient-il. Ce village a bénéficié pourtant de deux projets de proximité de développement rural (PPDR) comprenant des actions collectives et des actions individuelles pour son développement. «On a bénéficié certes, de deux PPDR. Seulement, si les actions collectives ont été concrétisées globalement avec la réalisation d’un terrain de proximité d’une salle de jeu, de cinq fontaines d’eau et le goudronnage d’une route, il n’en demeure pas moins qu’aucun projet individuel n’a abouti. Cela, malgré la volonté de beaucoup de jeunes chômeurs qui ont présenté à la banque des dossiers relevant principalement du secteur agricole qui est la vocation de l’économie de la région. Ils ont buté sur les problèmes de garanties qu’ils ne pouvaient fournir à la banque d’où le rejet des dossiers par cette dernière», révèle notre interlocuteur. Attaquant d’autres problèmes, il dira : «Les fontaines se tarissent en été ce qui fait que l’eau se raréfie à cette période. Les habitants se débrouillent comme ils peuvent pour s’approvisionner en eau. Nous avons un centre de soins qui fonctionne avec un infirmier. L’absence d’un médecin se fait ressentir chez les malades qui se déplacent à Trouna pour une visite médicale. Sur les deux écoles que compte le village, une seule est en service, l’autre fermée et occupée par une famille sinistrée. Quant aux CEM, la cantine se fait désirer». Comme beaucoup de villages de la région, Aguemoune a donné un lourd tribut durant la guerre de libération. Classé zone interdite, la population a été déplacée par l’armée française à Seddouk pour couper les vivres aux Moudjahidine. C’est aussi le village de Fedale Ahmed dit commandant Si Hamimi, au nom du patriote, qui a donné du fil à retordre à l’armée française dans la vallée de la Soummam.
L. Beddar