«Ce que j’entends par mosquée inclusive…»

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Dans cet entretien, l’islamologue franco-algérienne Kahina Bahloul parle de son fameux projet «La mosquée inclusive», un lieu de culte musulman mixte où les hommes et les femmes prieraient dans une seule et même salle. Le projet a fait couler beaucoup d’encre en France et ailleurs. Âgée de 39 ans, Kahina Bahloul, de père kabyle, est juriste de formation.

La Dépêche de Kabylie : Avant d’entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Kahina Bahloul : Je suis de père algérien, kabyle, et de mère française. Je suis née en France mais j’ai grandi en Algérie, au cœur de la Kabylie. J’ai fait ma scolarité à l’école publique algérienne et mes études supérieures à la faculté de droit à Béjaïa.

Après mes études supérieures en Algérie, je suis rentrée en France où j’ai continué mes études de droit. Par la suite, j’ai intégré le monde de l’entreprise pour travailler dans les assurances pendant 12 ans, avant de suivre des études en islamologie, à l’École pratique des hautes études.

En quoi consiste au juste votre projet, «La mosquée inclusive» ?

Il s’agit d’un projet qui prévoit la création d’une mosquée où les hommes et les femmes sont dans la même salle de prière, les uns à gauche et les autres à droite. Mais tout le monde est sur la même ligne pour signifier symboliquement que nous sommes tous égaux devant Dieu en ce qui concerne notre spiritualité.

Dans cette mosquée, il y a deux imams, un homme et une femme. Le prêche est fait alternativement chaque semaine par l’un des deux. Du point de vue de l’enseignement théologique, le collègue avec qui j’ai élaboré le projet fait partie de l’école mutazilite, qui prône une compréhension de la religion basée sur la raison et la justice. Et pour ma part, je m’intéresse à la pensée du grand maître soufi Ibn Arabî. A ce propos, je souhaite évoquer l’appartenance de ma famille à ce qu’on appelle aujourd’hui «Imravdhen».

Quand j’étais jeune, je ne comprenais pas ce que cela voulait dire. A l’âge adulte, j’ai mené des recherches en France, au bout desquelles j’ai compris que c’étaient des religieux qui avaient vécu dans des Ribât et qui avaient reçu un enseignement soufi, cette voie qui permet au croyant d’atteindre un haut statut de réalisation spirituelle, le Khalifa de Dieu sur terre, c’est-à-dire, ce que l’on connaît en Kabylie sous le nom de «Lawliya». Et c’est là que j’ai redécouvert l’histoire de ces saints, celle de Lalla Fatma n’Soumer, Jeddi L’moufaq, Si Moh ou Mhand, Jeddi Bahloul ou Assem…

Pourquoi vous voulez créer cette mosquée ?

La mosquée est le lieu public par excellence où le musulman exprime son appartenance religieuse à travers la pratique du 2e pilier de l’islam et où un enseignement religieux est donné. La volonté de créer une mosquée est un geste fort pour signifier la volonté de nous réapproprier notre religion après des décennies durant lesquelles nous en avons été dépossédés par les idéologies extrémistes, qui excluent toute autre lecture et qui se positionnent comme l’ultime référence de l’islam.

Il s’agit de montrer que d’autres lectures existent et ont toujours existé et de donner un enseignement religieux provenant de grands penseurs religieux, qui ont mis en avant la raison et la sagesse de notre religion.

Quel est l’objectif de votre démarche ?

L’objectif de ma démarche, c’est d’instaurer un autre paradigme pour montrer aux jeunes générations qu’il y a une autre façon de vivre l’islam que celle proposée par les fondamentalistes, mais aussi de montrer à nos concitoyens non-musulmans qu’il existe un islam dont la pratique est complètement compatible avec la modernité.

Justement, ne craignez-vous pas la réaction des fondamentalistes ?

Non, je ne la crains pas. Dieu nous a créés tous libres et égaux, et j’exerce ma liberté de penser et de vivre ma religion en choisissant moi-même mes propres références. Je pense que c’est la responsabilité de chacun de dénoncer cette pensée, qui s’est arrogé l’exclusivité de dicter la norme religieuse, et d’oser proposer autre chose. Par ailleurs, seule la volonté de Dieu s’exerce sur terre.

Parlez-nous du site «Parle-moi d’islam», que vous avez créé en janvier 2015 ?

«Parle-moi d’islam» est une association que nous avons créée avec des amis français suite aux attentats de Paris en 2015, pour proposer un discours alternatif à celui des fondamentalistes, en faisant connaître d’autres interprétations du Coran, porteur des valeurs de paix et de tolérance, qui est un texte fait pour s’adapter à toute époque et à tout endroit.

Pensez-vous que votre projet encourage le vivre-ensemble ?

Bien sûr, c’est justement l’un des principes du projet de notre mosquée, ouverte à tout le monde, y compris les non-musulmans. C’est pour moi le sens premier le la mosquée, qui n’est autre que la maison de Dieu, ouverte et accueillante.

On vous laisse le soin de conclure…

Je tiens à saluer les Algériens, en général, et les Kabyles, en particulier. J’ai envie de dire à la jeunesse : cherchez à comprendre d’où vous venez et seul le savoir est votre allié. Intéressez-vous à la philosophie et à l’histoire… Je dis aussi toute ma reconnaissance à ce pays où j’ai grandi et qui m’a transmis tant d’amour et de valeurs.

Entretien réalisé par Aziz Khentous

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