Le grand paradoxe !

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La wilaya de Tizi Ouzou possède un verger oléicole et des capacités de production importants qui font sa renommée. Bien que, cette saison, plus de 18 millions de litres d’huile d’olive soient attendus, les producteurs et les paysans appréhendent encore des difficultés inhérentes à la commercialisation. Il faut dire que l’huile locale n’arrive toujours pas à entrer de plain-pied dans les marchés économiques national et international, d’autant plus que la labellisation, conditionnée par les certifications biologiques, tarde à voir le jour.

Aussi, les coopératives censées entretenir les oliveraies, ramasser toute la production, la transformer et assurer sa vente, par la suite, sont encore au stade de vœu pieux. Pis, même les marchés réglementés spécialement dédiés à l’huile d’olive sont inexistants. Il n’est de secret pour personne que les méthodes traditionnelles de gaulage, de collecte, d’entreposage et de transformation ne sont pas faites pour donner une huile vierge de qualité. A cela s’ajoutent un patrimoine oléicole vieillissant et un mauvais entretien des oliviers, à l’origine de la diminution de la production.

Les feux de forêt sont également à l’origine de la restriction des espaces oléicoles. Les producteurs, quant à eux, ne sont pas suffisamment encouragés puisque leur production ne trouve pas toujours preneur et reste dans les réservoirs pendant des mois, voire des années, vouée au rancissement. Une situation qui empêche la filière oléicole de décoller et de conquérir les marchés internationaux. Certes, cette année, une forte production d’huile d’olive est attendue, mais la qualité s’annonce mauvaise dans la plupart des cas et la vente pas toujours garantie.

Outre la piètre qualité, le prix du litre est cher. Actuellement, il se commercialise entre 650 et 700 DA. C’est en fait le grand paradoxe : d’un côté on annonce une production abondante même de qualité pas forcement la meilleure, n’empêche que le simple consommateur se plaint toujours du prix élevé. Y a-t-il alors des moyens et des mécanismes pour produire en quantité et en qualité et à meilleurs prix ?

«Notre huile est chère et de mauvaise qualité»

Invité par la radio locale, Abdelli Mourad, directeur de la Chambre de l’agriculture, aborde les obstacles qui freinent le développement de l’oléiculture: «En fait, il y a deux grands problèmes concernant la vente de l’huile d’olive au niveau de notre wilaya. Le premier réside dans son prix et le second concerne sa qualité. Ce sont des paramètres très importants qui empêchent la filière de se développer. Qu’on le veuille ou non, notre huile manque de qualité. Pour l’améliorer, nous devons changer notre vision et les procédés de culture et de production.

Les mauvaises pratiques de récolte, de stockage et de transformation doivent être modernisées. Pour arriver à avoir une huile de bonne qualité à exporter, il nous faut de bonnes pratiques. A commencer par la taille des oliviers, le travail du sol, le désherbage, la collecte, la transformation et l’emmagasinement. Nous devons tenir compte de ces paramètres pour avoir une huile vierge exportable et facile à vendre même sur le territoire national. Il faut également bannir les pratiques traditionnelles dans le gaulage, le ramassage et l’entreposage», précisant que «le temps de récolte et d’emmagasinement doivent être très réduits.

On ne doit pas stoquer les olives des semaines et prétendre à une huile de qualité. Il faut oublier ces méthodes», insiste-t-il. S’agissant des prix, l’intervenant de la radio reconnaît : «Certes, notre huile est appréciée, mais son prix est trop cher. Un litre d’huile extra vierge est coté dans la bourse espagnole, à titre d’exemple, à 2,8 euros, soit 450 DA. Sur le terrain, notre huile, qui est pourtant de mauvaise qualité, se vend entre 700, 800 et parfois à 1 000 DA le litre.

Si on veut entrer dans le marché international et commercialiser notre production tout en évitant la mort de notre huile, nous devons réagir et faire attention. A présent, notre culture est familiale et vivrière, ce n’est pas de cette façon qu’on va entrer dans le monde de l’économie. Au niveau du Conseil oléicole local et national, nous essayons de trouver justement des solutions concrètes pour développer cette filière en produisant en quantité et en qualité et avec de meilleurs prix. La première étape consiste à créer des marchés d’olives.

Le producteur ou le paysan va vendre sa collecte du jour au marché, ainsi on arrivera à ramasser des milliers de quintaux par jour qui seront transformés rapidement, une manière de gagner du temps et en qualité, ce qui assurera sa commercialisation. Le deuxième point envisagé consiste en la création de petites entreprises dans le cadre de l’ANSEJ ou des investissements privés.

Le propriétaire de l’oliveraie engagera l’entreprise en question, qui sera professionnelle et disposera d’un matériel moderne, pour entretenir l’oliveraie et s’occuper de la collecte et de la transformation le jour même de la collecte. Le procédé consiste en le gaulage directement au filet et aussi vers l’huilerie pour une huile vierge. Les olives tombées au sol seront destinées à la consommation directe».

«La labellisation par régions n’est pas la solution»

Au sujet de la labellisation de l’huile d’olive de Tizi Ouzou, le même responsable révèle : «Je faisais personnellement partie de la commission de labellisation au niveau de la Chambre de l’agriculture. Nous avions commencé ce travail de labellisation en choisissant cinq régions: le versant nord, Tadmaït, Maâtkas, Azazga et Makouda. Nous avions entamé la procédure par l’huile d’Acbayli Nath Ghobri mais depuis lors notre vision a changé : on ne peut pas parler d’économie avec de petites quantités régionales. J’estime qu’il faut aller vers une autre vision, plus large.

La semaine passée, une réunion a regroupé les conseils oléicoles de Béjaïa, Bouira et Tizi Ouzou pour discuter de la production oléicole de Kabylie. Nous voulons faire quelque chose de grand pour avoir de grandes quantités et un nom largement représentatif : l’huile de Kabylie au lieu d’huile de Maâtkas ou d’Ath Ghobri. Certes, le dossier d’Achbayli Nath Ghobri pour la labellisation d’huile locale a été déposé, mais nous pensons que cette démarche est moins porteuse. Nous avons aussi essayé d’établir un dossier pour l’huile de Maâtkas, mais on a conclu là aussi que ce n’est pas plus porteur qu’un label pour l’huile de Kabylie.

C’est ce qu’il faut pour pouvoir nous imposer car nous avons d’énormes capacités de production. Dernièrement, nous avons participé à une formation dans le domaine oléicole en Espagne. Nous avons découvert qu’ils (les Espagnols) établissement la certification biologique à deux euros l’hectare. Chez nous, cela nous reviendrait à 150 ou 200 millions de centimes/ha. Nous avons pensé à une convention entre les conseils de wilaya et national avec la coopérative espagnole pour la certification biologique. Nous avons discuté avec eux, ils sont intéressés car ils veulent acquérir de l’huile mais uniquement celle certifiée et de qualité.

Arriver à avoir une huile de qualité à 20 euros, ce sera une grande réussite pour la filière. Dans ce cadre, il ya un programme avec la FAO et l’Union européenne qui concerne cinq wilayas d’Algérie, dont la nôtre. Nous travaillons avec eux dans l’objectif de certifier notre huile». S’agissant de la création de coopératives, M. Abdelli reconnaîtra que «c’est une très bonne chose, mais, précise-t-il, nous devons changer la manière de les créer».

«On ne doit plus se mentir si on veut avancer. Il faut éviter les anciennes pratiques. L’administration doit expliquer aux paysans les avantages d’une coopérative, les associations doivent aussi être sensibilisées. Une fois les avantages expliqués et connus, les gens vont s’organiser en coopératives, qui ne sont autres que des entreprises économiques qui nécessitent des investissements. Une fois les gens convaincus, il sera facile de créer des coopératives performantes qui s’occuperont de l’huile, des margines et des grignons. Aujourd’hui, notre wilaya compte plus de 400 huileries qui déversent leurs margines dans des oueds et la nature.

Nous devons créer, au moins pour commencer, une coopérative qui saura s’occupera convenablement des déchets (margines et grignons) de cette filière qui représentent 80% de l’olive. Si on arrive à certifier notre huile comme étant biologique, elle sera exportable avec des prix meilleurs. Il faut donc abandonner les mauvaises pratiques. Avec des entreprises et des coopératives, en plus de la certification, la filière oléicole se développera davantage», conclura l’intervenant de la radio locale.

Hocine T.

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