L’éloge de Ghaleb Bencheikh

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En présence du wali de Tizi Ouzou, du P/APW, d’élus, de directeurs de l’exécutif et d’éminents professeurs, le colloque international, organisé par l’APW de Tizi Ouzou, consacré au penseur et islamologue, Mohammed Arkoun, a été officiellement ouvert, hier.

Après l’hymne national et une minute de silence observée à la mémoire du défunt penseur et islamologue, plusieurs présents ont pris la parole, soulignant l’importance de l’œuvre de Mohammed Arkoun et de sa vision d’un islam des lumières.

Dans son intervention, M. Ghaleb Bencheikh, le président de la fondation «Islam de France», dira d’emblée : «L’Algérie a besoin d’honorer ses fils et ses filles qui font sa renommée de par le monde. J’ai eu la chance de côtoyer M. Arkoun et avant de parler de sa pensée subversive, je voudrais parler du penseur, de l’intellectuel, de l’homme engagé et du professeur à la Sorbonne qui a animé des séminaires dans des universités prestigieuses comme celles d’Ecosse.

C’est vous dire son importance. En ces temps de césures, de fractures et d’absence d’éthique, nous avons besoin de renouer avec l’humanisme. Mohammed Arkoun en est un bon exemple. Quand je parle de l’étique, une de ses définitions c’est : essayer de réussir une vie bonne pour soi et utile pour autrui. Mohammed Arkoun, ayant découvert avec émerveillement l’humanisme d’expression arabe dans le contexte musulman, ayant étudié et travaillé sur le traité d’éthique, a su faire la part des choses.

Avoir le souci de l’homme et la préoccupation de la personne humaine, la volonté de conquérir le bonheur des hommes, c’est une préoccupation humaniste dont nous avons besoin et Mohammed Arkoun en est un exemple pour de nombreuses générations».

«Mohamed Arkoun descendait dans la fosse aux lions»

Poursuivant son oral, Ghaleb Ben Cheikh dira : «Arkoun était au service de l’humanité, de tous les peuples chassés par les guerres, les conflits et la famine. En penseur, il s’est rendu compte que les grandes traditions religieuses islamiques se trouvaient dans les basses eaux du débat, affectées de tant de maux, d’une sclérose dont il faut qu’elles guérissent. Pour pouvoir le faire, il n’y a pas mieux que de s’accaparer de l’outil intellectuel.

Il faut subvertir la pensée théologique islamique et il faut le faire avec audace, courage et engagement. Mohammed Arkoun descendait dans la fosse aux lions pour être confronté a des ignares, à l’inculte, c’est ça l’homme audacieux et engagé. Nous vivons actuellement un temps de défaite de la pensée, d’abrasement de l’intelligence, de démission de l’esprit, de négation de la réflexion, chose qui ne peut pas durer.

C’est pour cette raison que je me réjouis qu’un tel colloque puisse se faire ici en Algérie, à Tizi Ouzou. Et que les volontés politiques s’associent à l’université et aux associations, c’est un bon signe. Je m’en réjouis et je repartirai ailleurs, en disant fièrement qu’à Tizi Ouzou et en Algérie, on a tenu un colloque sur la pensée Arkouniene».

Sur sa lancée, le conférencier révélera : «Vendredi prochain, il aurait fêté son 91e anniversaire, si la maladie ne l’avait emporté trot tôt. Il était islamologue et l’islamologie, c’est tenir un discours rational et intelligent sur le fait islamique.

Quatre sortes d’ignorance

Il est temps de tenir ce discours sur la chose islamique. On ne peut pas indéfiniment accepter que des idioties soient dites par des imams autoproclamés et par des ignares. Arkoun s’est rendu compte que nous pâtissions tous d’une triple ignorance, j’en ajouterai une quatrième. La 1ère est celle dite ignorance sacrée ou sainte, la deuxième est l’ignorance institutionnalisée, la 3e est celle de l’ignorance complexe (nous ne savons pas et nous ne savons pas que nous ne savons pas) et enfin la 4e c’est l’ignorance programmée».

M. Ghaleb enchainera : «C’est contre tout cela que Mohammed s’est insurgé. L’œuvre qu’il nous a légué, il nous incombe de l’entretenir. Il parlait d’une pensée subversive parce que le rafistolage, le toilettage, le bricolage, ce n’est qu’une jambe en bois. Nous avons besoin de subvertir cette pensée, revoir les choses, interroger les présupposés. La foi est toujours en quête d’intelligence.

Il faut savoir relier le texte à son contexte. Ce colloque inaugural indique qu’on est sur la bonne voie. Mohammed Arkoun s’inspire dans sa pensée subversive des maîtres du soupçon qui sont Marks et Freud. Il critique ceux qui n’ont pas été fidèles au lumières : l’esclavage fut une trahison des lumières et la colonisation est fut une autre. C’est pour ça que la critique de la modernité, notamment de la part de Mohammed Arkoun, est tout à fait juste et recevable».

Transgresser, déplacer et dépasser

Dans le sillage des maitres des soupçons, la pensée subversive de Mohammed Arkoun se veut sur trois niveaux : à savoir transgresser, déplacer et dépasser en toute rigueur. Transgresser les tabous, déplacer l’étude du sacré vers une approche de progrès et porteuse de sens et dépasser par l’émergence d’une nouvelle rationalité. Et c’est là que réside la pensée de Mohamed Arkoun, une pensée profonde qui parle d’une raison émergente, ce n’est pas la raison qui exclut le tiers».

Pour terminer, le conférencier appellera à «renouer avec l’humanisme d’expression arabe. Pour que le vocable d’islam ne soit pas synonyme de violence, d’agression, de barbarie, d’épouvante et d’oppression de la femme, nous avons besoin de séparer les registres, laisser la chance au champ de l’acquisition du savoir pour que l’on trouve son épanouissement.

Le message que j’ai envie de passer maintenant, c’est que les meilleurs médicaments à l’extrémisme, au djihadisme, au fondamentalisme et au salafisme demeurent toujours l’instruction, l’éducation, l’acquisition du savoir, de la culture et de la connaissance, l’ouverture sur le monde, oser le beau, car Dieu est beau, il aime la beauté et tout ce qui est beau. Je ne comprends pas pourquoi on peut s’acclimater à la laideur, on ne peut pas s’attendre à quelque chose de bien de quelqu’un qui n’est pas sensible à la musique, à la poésie. Nous étouffons, ce n’est plus possible, on ne peut plus respirer.

Laisser place à l’amour, à la tendresse, à la bienveillance et laisser place aussi à la beauté, à l’émerveillement et à l’amour. Qu’est-ce que c’est que cette religion qui est devenue triste ? Nous ne pouvons plus nous taire parce que nous serons sinon complices». A signaler que la fille de Mohamed Arkoun, Sylvie Arkoun, a animé une communication intitulée «Les vies de Mohammed Arkoun, derrière l’intellectuel l’homme».

Avant elle, le wali, le P/APW, le recteur de l’UMMTO et le président de l’association LE DEFI ont rendu hommage, chacun à sa manière, à l’islamologue penseur et ont tous tenu à souligner son apport à travers une œuvre de grande importance. Durant l’après-midi, d’autres contributions ont été faites par Zineb Ali-Benali de l’université de Paris 8. Abdelhafid Hammouche de l’université de Lille est intervenu sur le prolongement de la pensée d’Arkoun, en questionnant l’inscription de l’islam dans les sociétés européenne contemporaines. Walid Laggoune est quant à lui revenu sur le statut institutionnel du religieux : «Entre raison islamique et raison juridique».

Hocine T.

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