«On vous dit : dégagez !»

Partager

Les Algériens semblent avoir mis de côté leur légendaire machisme en s’imprégnant de valeurs pacifiques, républicaines et surtout de tolérance une fois de plus, hier, lors de la marche populaire qui s’est tenue au chef-lieu de la wilaya de Bouira.

Dès 13 heures, des centaines de citoyens et de citoyennes étaient déjà présents sur la place de la ville de Bouira en attendant que les fidèles sortent des mosquées avoisinantes. Des fidèles qui, pour une fois, ne sont pas sortis avec leurs tapis de prière comme à l’accoutumée, mais avec les couleurs nationales.

D’autres fidèles avaient laissé leurs banderoles à l’extérieur du lieu de culte. Aux environs de 13h30, les premiers carrés de marcheurs se sont organisés en déployant des banderoles et en entonnant l’hymne national. Un vent de nationalisme sans précédant venait d’envahir le chef-lieu de wilaya. Au fil des minutes, le moindre espace de la place publique de la vieille ville était occupé par des jeunes, moins jeunes et des personnes âgées des deux sexes.

La gent féminine semblait avoir retrouvé sa place dans les manifestations du vendredi et personne pour la regarder de travers ou lui lancer des critiques verbales. Un changement radical de comportement qui n’est pas sans déplaire aux femmes de Bouira qui ont aussitôt commencé à joindre leurs amies par téléphone pour les inviter à se joindre aux marcheurs.

«Le pouvoir prolonge son mandat, le peuple prolonge le combat !», «Dégage système !», «Ni Bedoui, ni Lamamra, ur kenehwaj ara !» et des centaines de slogans en français, en kabyle, en arabe et même en anglais étaient lisibles sur les pancartes des manifestants. Des manifestants qui se sont exprimés pour exiger le départ du système, tout en réitérant le caractère pacifique de cette action. Des enfants en bas âge accompagnés de leurs parents se sont, eux aussi, époumonés à tue-tête pour demander «Djazayer horra démocratia» !

«Les handicapés en nombre parmi les manifestants»

Parmi les milliers de marcheurs ayant pris part à cette manifestation, plusieurs dizaines de personnes aux besoins spécifiques avaient également tenu à être présents en défilant avec des banderoles pour exprimer leurs ras-le-bol.

Sans aucun tabou, ni aucune retenue, les handicapés, hommes et femmes, accompagnés par leurs proches, ont voulu montrer que leurs conditions de vie étaient des plus déplorables avec la politique du système actuel : «Nous sommes doublement handicapés par notre condition physique ainsi que par la négligence de Bouteflika qui ont été jusqu’à bannir notre dignité en nous marginalisant avec une minable pension de 4 000 dinars, alors qu’eux se sont enrichis sur le dos du peuple algérien.

Basta y en a marre d’être méprisés de la sorte, nous voulons le départ de ce système corrompu», s’égosillera un handicapé sur son fauteuil roulant rencontré en face du siège de la wilaya. Des marcheurs pris de pitié ont tenté de lui remettre discrètement quelques pièces mais il refusa en disant : «Notre pays est assez riche pour subvenir à nos besoins à tous, je ne veux pas d’aumône, je cherche à recouvrer nos droits communs avec vous mes frères.»

«Des scènes de liesse et de solidarité»

Toutes les franges de la société étaient présentes hier dans les rues de Bouira et la foule ne pouvait être quantifiée tellement elle était nombreuse. De la vieille ville jusqu’à Harkat, en passant par le siège de la wilaya, soit un itinéraire de plus de 5 kilomètres, les rues et artères avoisinantes étaient également pleines à craquer. À chaque rond-point, des centaines de jeunes scandaient et chantaient à tue-tête des slogans contre le prolongement du quatrième mandat et pour demander le départ de tout le système.

«Echâab yourid isqat enedham» était repris par la foule en liesse. Car il s’agit effectivement de scènes de liesse identiques à celles connues par l’Algérie au lendemain de l’Indépendance. C’est ce qu’affirme Aâmi Boualem, un octogénaire d’El Esnam qui se souvient du 5 juillet 1962.

«J’ai les larmes aux yeux en voyant cela. Jamais je n’aurais imaginé le peuple algérien soudé et uni comme aujourd’hui. Notre génération n’a pas su gérer la période d’après 62, ni celle de 1988 et aujourd’hui, je crois que nous allons enfin être libérés du joug du clan d’Oujda qui a la mainmise sur les richesses du pays», confie-t-il à des jeunes qui se demandaient pourquoi il pleurait ainsi. Il faut dire que les personnes âgées étaient surveillées de près par les marcheurs qui n’hésitaient pas à leurs offrir des bouteilles d’eau, des pommes et des oranges car la chaleur d’hier après-midi avoisinait les 28 degrés et le soleil tapait de manière assez intense.

Des marcheurs de Bouira et Béjaïa refoulés sur l’autoroute menant vers Alger

«Nul ne peut arrêter un peuple sur le chemin de son destin», telle était une des multiples banderoles portées à bout de bras par des manifestants voulant en découdre pacifiquement avec le régime en place. Seddik, un des marcheurs d’Aghbalou, affirme que si le gouvernement ne cède pas sa place immédiatement, le peuple, lui, est déterminé à poursuivre la lutte : «Tous les citoyens sont dans la rue, toutes les professions ont exprimé le rejet de ce pouvoir et cette mobilisation ne faiblira pas tant que nous n’aurons pas eu gain de cause. Nous marcherons jour et nuit s’il le faut, mais nous ferons partir ces gens qui ont gâché l’avenir de millions d’Algériens à travers plusieurs générations.

L’Algérie est notre pays, nous y resterons et à nous de choisir qui nous gouvernera», a-t-il souligné. D’autres marcheurs sont venus renforcer la marée humaine qui déferlait à travers les artères de la ville de Bouira, notamment près d’une dizaine de bus. Renseignements pris, il s’avérait qu’il s’agissait de marcheurs de Bouira et de Béjaïa qui avait été refoulés sur la route par les gendarmes, leur interdisant l’accès à la capitale.

La nouvelle a rapidement fait le tour de la ville de Bouira et les jeunes ont repris de plus belle «Pouvoir assassin», «Said et Gaid dégagez !». Pendant ce temps, des klaxons n’ont pas arrêté de retentir ainsi que des chansons révolutionnaires réinterprétées et remises au goût du jour, diffusées à pleins décibels dans les véhicules. D’autres marcheurs avaient improvisé des prises de paroles avec des mégaphones pour exprimer leur colère de voir l’entêtement du pouvoir à se maintenir en place contre vent et marée.

« Bedoui est derrière le matraquage des médecins résidants, Lakhdar Ibrahimi a un passé plus que douteux durant la révolution et aujourd’hui, on nous les présente comme les messies, sauveurs de l’Algérie. Nous, Algériens, leur disons dégagez ! Nous ne voulons pas de vous. Lorsque tout le peuple scande Système, Dégage ! On se demande quel est le mot que le pouvoir ne comprend pas dans cette phrase. Nous rejetons toutes les offres du clan d’Oujda et de ses satellites», explique un médecin travaillant dans le secteur public auprès d’une foule de jeunes.

Les voix des familles à l’unisson

Le rond-point Emir Abdelkader sur le pont Sayeh, d’habitude la proie d’actes de vandalisme, notamment durant les commémorations du 20 avril, a été pris d’assaut mais d’une manière pacifique. Plusieurs jeunes se sont risqués sur le haut de la statue en y accrochant les drapeaux amazighs et algériens qui flottaient fièrement ensemble. Une scène touchante d’après les nombreuses familles qui étaient venues manifester : «C’est une ambiance plus que particulière aujourd’hui pour le 4e vendredi de suite.

Il y avait du monde au cours des trois premiers vendredi de manifestation, mais jamais comme aujourd’hui (ndlr hier)», témoigne cette habitante de Bouira venue avec ses enfants, accompagnée de son mari. La poussette de leur dernier né était recouverte de slogans, tels «Non au prolongement du 4e mandat, pas de bricolage dans le système, le peuple veut un changement».

«Bedoui, Lamamra, Ibrahimi dégagez !» D’autres familles étaient présentes et toutes étaient acharnées pour faire entendre leurs voix aussi bien en français, en kabyle ou en arabe avec des slogans qui revenaient sans cesse en redoublant d’intensité. De nombreux slogans appelaient, toutefois, à la non ingérence étrangère : «GDF de France gardes tes distances, Anadarko yaw faqo» et autres mises en garde à l’adresse de la France, des USA, mais également de tous les pays ayant des intérêts en Algérie et ils sont nombreux.

Les citoyens de Bouira ont, ainsi, mis en exergue leur maturité et leur sagesse le temps d’un après-midi, tout en réitérant leurs déterminations à voir partir les hommes et les femmes du système en place depuis l’Indépendance : «L’Algérie n’est pas la Syrie, ni la Libye et nous ne voulons pas d’un Abdelfateh Sissi», clin d’œil au régime de Moubarak lui aussi chassé du pouvoir sous la pression populaire des Égyptiens. Jusqu’en fin d’après-midi, les klaxons fusaient de partout et les bus venus des quatre coins de la wilaya sont repartis sans qu’aucun incident ne soit enregistré.

À noter qu’au cours de la matinée, une marche populaire avait été organisée à M’Chedallah avec des marcheurs ayant entamé la procession de Raffour et d’autres d’Ahnif, qui se sont rejoints au carrefour de Vouaklane. Une fois sur place, l’immense marche s’est ébranlée jusqu’au siège de la daïra et tout le long du parcours des slogans pour rejeter l’offre du pouvoir ont fusé sur l’itinéraire avec un silence total arrivé devant l’hôpital Kaci Idir.

La plupart des marcheurs se sont, par la suite, rendus au chef-lieu de wilaya pour manifester dans la ville de Bouira. En fin d’après-midi, des carrés de marcheurs continuaient à battre le pavé à travers le boulevard de l’ancienne gare routière de Bouira pour rejoindre le siège de la wilaya.

Hafidh Bessaoudi

Partager