Quand la nuit remplace le jour…

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«Dans quelques minutes, cette placette sera noire de monde», avertit l’un des jeunes qui gagne sa vie en offrant quelques moments de bonheur aux petits enfants qui viennent s’adonner aux loisirs du manège de la place M’barek Aït Menguellet.

Il s’agit d’un des endroits les plus prisés durant les soirées de Ramadhan, non seulement dans la ville de Tizi-Ouzou mais aussi dans toute la wilaya. Les citoyens de Tizi-Ouzou appellent cet espace, érigé à la place de l’ancienne et mythique gare routière inter-wilaya (qui a été transférée à Bouhinoun depuis quelques années) «Tachoumâats». Cette appellation fait référence à la fameuse bougie géante construite en guise de stèle dédiée à tous les martyrs de la guerre d’indépendance tombés au champ d’honneur dans la wilaya III.

C’est la destination préférée aussi bien des hommes que des femmes et des enfants. Il s’agit d’un endroit familial par excellence. Ce qui fait qu’à partir de 22 heures, il est impossible de trouver une place de libre sur aucune des dizaines de tables des terrasses de cafés qui s’y trouve, en plein air. Il y a autant d’hommes que de femmes. On se croirait en Europe tant les femmes, chez nous, ne s’attablent que très rarement dans les cafés maures, encore moins sur les terrasses. Mais durant le mois de Ramadhan, on est plus ouverts, semble-t-il.

Et personne ne trouve à redire. Quoi de plus normal que de voir un homme et sa femme, accompagnés de leurs bambins, en train de siroter du thé et manger goulûment des tranches de kelb-louz quand ce n’est pas carrément des glaces lorsque le climat s’y prête. Le fait qu’il n’y ait pas beaucoup d’espaces de détente similaires dans la ville de Tizi-Ouzou et même ailleurs explique en grande partie cette grande affluence quotidienne, surtout depuis une dizaine de jours car, faut-il le rappeler, pendant la première semaine de Ramadhan, les sorties nocturnes était plutôt timides.

Il faisait encore trop frais en soirée pour encourager les familles à mettre le nez dehors. Mais après cette première partie du mois sacré, les soirées de Ramadhan, qui sont sacrées et sans lesquelles ce mois du jeûne aurait un goût d’inachevé, ont connu un grand changement. Au niveau de la place «M’barek Aït Menguellet», les enfants font la queue pendant de longues minutes pour se permettre quelques moments d’agréable évasion à bord de l’un des manèges disponibles. Pour les parents qui ont plusieurs enfants sur les bras, la somme à débourser est élevée. Un seul jeu coûte 100 DA.

À moins de s’offrir un ticket de 300 DA et se permettre de ce fait un quatrième «tour» gratuitement. Malgré ces prix qui peuvent paraitre rédhibitoires, les parents, dans leur majorité, n’hésitent pas à mettre la main au porte-monnaie. C’est dire que pendant le mois de Ramadhan, on ne peut pas faire un pas sans débourser de l’argent. Il faut ainsi, en plus de tous les frais inhérents aux achats des produits alimentaires d’avant le f’tor, ajouter encore d’autres frais dont les dépenses de la soirée qui peuvent atteindre les 2 000 à 3 000 DA en fonction du nombre d’enfant «mis en circulation».

Si pour la majorité des philosophes, l’argent ne fait pas le bonheur, les pères et les mères de familles qui viennent avec leurs enfants au manège de la place «M’barek Aït Menguellet» ne peuvent guère être d’accord avec une telle philosophie de vie. L’ambiance au niveau de cette placette ne commence à se tiédir qu’à partir de minuit. Alors le lieu renoue progressivement avec sa solitude et sa morosité qui va encore durer durant toute la journée du lendemain pour ne reprendre de plus belle qu’après le f’tor du jour d’après.

En remontant, le boulevard «Larbi Ben M’hidi», qui va de la place «M’barek Aït Menguellet» jusqu’au rond-point principal de la vile des Genêts, où se trouve le siège de l’ancienne mairie, on est assaillis de toute part car ça marche dans tous les sens. Des centaines de personnes, hommes, femmes, vieilles, vieux, enfants, fillettes, adolescentes en groupe, marchent dans tous les sens. Mais vu l’embouteille monstre qui se forme tout au long de cette rue et dans toute la ville, l’idéal est de garer sa voiture à l’entrée de la ville et de poursuivre son périple à pied.

S’engager avec son véhicule dans la ville de Tizi-Ouzou, en ces soirées de Ramadhan, c’est se condamner à être coincé pendant pas moins de deux heures, au minimum, pour pouvoir trouver un endroit libre dans tous les espaces transformés en parkings. Marcher reste donc la meilleure option, encore faut-il pour cela arriver avant 21 heures pour dénicher facilement une place à sa voiture. Et l’idéal pour se faire reste le parking de la cité 5 juillet si on vient de l’entrée ouest de la ville ou de stationner à M’Douha si on provient des localités de l’Est du chef-lieu de wilaya.

Mais il faut savoir que même pour arriver à la ville de Tizi-Ouzou, les embouteillages sont inévitables quelle que soit l’entrée qu’on choisit d’emprunter. En dépit de cet aléa qui fait monter les nerfs aux automobilistes qui ne sont pourtant pas en manque de nourriture pour certains ni en manque de nicotine pour d’autres, se rendre à Tizi-Ouzou en soirée est une partie de plaisir. On ne pourrait y renoncer pour rien au monde. La deuxième destination préférée des Tizi-Ouzéens après la place «M’barek Aït Menguellet» et la maison de la culture Mouloud Mammeri, c’est le théâtre régional Kateb Yacine où chaque soir, le quatrième art est à l’honneur.

Pas seulement, puisque cet établissement offre aussi des soirées artistiques en y invitant des chanteurs et des groupes de musique de différents horizons où même le jazz a sa place. Il y en a donc pour tous les goûts et tous les soirs, faut-il le rappeler. D’ailleurs, une semaine avant de début du mois de Ramadhan, la cellule de communication du théâtre régional Kateb Yacine a déjà envoyé son programme à tous les médias. Un programme spécial théâtre à 90% qui s’ajoute au programme des soirées artistiques quotidiennes qui se tiennent à la maison de la culture Mouloud Mammeri avec la participation de plusieurs étoiles de la chanson kabyle, toutes générations confondues.

Jusque-là, il y a eu d’ailleurs des galas parfois explosifs animés par des célébrités, à l’instar du jovial Rabah Asma, du talentueux Rabah Lani, de la mélancolique Yasmina, de l’engagé Ali Ideflawen, du doyen Ouazib Mohand-Améziane, du sage Rabah Ouferhat et la liste est très longue. La maison de la culture de Tizi-Ouzou a ainsi réussi malgré le contexte actuel extrêmement particulier, à offrir un programme d’animation artistique des plus variés à son public. Ce dernier le lui a rendu si bien puisque chaque soir, c’est la ruée sur cet établissement culturel.

La maison de la culture, le théâtre régional et la place «M’barek Aït Menguellet» sont les endroits les plus convoités, chaque soirée, par les citoyens de la ville de Tizi-Ouzou et de ceux qui viennent des autres localités aussi. Il faut préciser que l’autre partie de la population préfère tout simplement s’attabler à l’une des centaines de terrasses de cafés aménagées un peu partout dans la ville. Le jardin du «11 octobre 1961», situé au cœur du boulevard Abane Ramdane, est sans doute celui qui offre le plus d’espace et de tables aux gens qui veulent y passer quelques dizaines de minutes en dégustant divers gâteaux préposés ainsi que les boissons très en vogue pendant le Ramadhan, comme le thé mais aussi le café et autres boissons fraîches, les glaces…

Ici aussi, malgré qu’il s’agisse d’un endroit très spacieux (celui situé en contrebas de la grande mosquée du centre-ville), il faut prendre son mal en patience, si on y arrive en retard, pour pouvoir trouver une table de libre. Certains citoyens et certaines familles n’hésitent pas à patienter le temps qu’il faut, en épiant discrètement s’il y a un groupe qui va quitter sa table, d’un moment à l’autre, pour le remplacer. Ce sont tous ces détails qui font le charme des soirées ramadhanesques.

Sans cette affluence record des citoyens sur la ville, les soirées de Ramadhan auraient été sans doute amputées de leur aspect le plus important. Le boulevard Lamali Ahmed qui longe le CHU Nedir Mohamed est également l’un des plus fréquentés en soirée. Cette rue grouille de monde. Du stade 1er novembre jusqu’au rond-point des bâtiments bleus et des deux côtés de la chaussée, il n’y a pas un mètre carré de libre. Les magasins d’habillement situés sur ce boulevard sont pris d’assaut.

Surtout ceux qui sont réservés pour les enfants. Même s’il reste encore plus d’une semaine pour que la fin de Ramadhan sonne, la majorité des parents ont déjà acheté les vêtements de l’Aïd à leur progéniture. Rester jusqu’à la dernière minute n’est guère indiqué. Même les prix risquent d’être revus à la hausse à quarante-huit heures du jour J. Mais c’est surtout l’affluence record enregistrée à la veille de chaque fête de l’Aïd sur les magasins d’habillement pour enfants qui incite les parents vigilants à prendre leurs devants et à ne pas se laisser piéger par le stress des achats effectués à la dernière minute.

C’est donc tout naturellement que les magasins en question débordent déjà de clients, à l’instar de ce grand centre commercial à plusieurs étages dédié à 100% pour les enfants. «Depuis trois jours au moins, tous les rayons ne désemplissent pas de clients», confie une vendeuse qui maintient, malgré tout, son sourire en dépit de l’ambiance parfois cacophonique qu’engendre la présence d’enfants en bas âge qui courent dans tous les sens.

Mais c’est aussi ça le charme de ces moments qui précèdent le grand jour de l’Aïd et des soirées de Ramadhan. Que seraient les soirées de Ramadhan et les moments de préparation de la fête de l’Aïd sans ces enfants qui scintillent de vitalité et d’innocence. C’est la même ambiance qui règne dans les autres coins et recoins de la ville de Tizi-Ouzou comme au boulevard Moh-Said Ouzeffoun, à la place de l’Artisanat où stationne les transporteurs de la Nouvelle Ville, au boulevard Houari Boumediene, au jardin Mohand Oulhadj, au quartier M’Douha, à la cité des Genêts et partout ailleurs.

À Tizi-Ouzou, le rythme fébrile de la vie nocturne ne commence à s’estomper qu’à partir de 1 heure du matin. La majorité des familles rentrent alors chez elles tandis qu’il reste tous les soirs des «veilleurs» de nuit invétérés qui peuvent tenir jusqu’à l’heure du s’hor. Ce sont ceux-là qui ne se réveilleront demain qu’entre 14h et 16h.

Aomar Mohellebi

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