Une icône de la chanson kabyle, Idir, est décédé dans la nuit de samedi à dimanche, à l’hôpital Bichat (France), à l’âge de 71 ans, des suites d’une longue maladie, une fibrose pulmonaire.
La triste nouvelle a été annoncée par ses enfants, quelques heures après la rupture du jeûne du dixième jour du Ramadhan, sur la page officielle de l’artiste, largement relauée par les réseaux sociaux et autres médias, plongeant les amoureux de cet immense figure dans la tristesse. Idir, de son vrai nom Hamid Cheriet, natif d’Ath Yenni dans la wilaya de Tizi Ouzou, tire ainsi sa révérence après une longue et riche carrière artistique jalonnée d’immenses succès. Luttant contre la maladie qui le rongeait ces dernières années, Idir rejoint, dans l’au-delà, les autres monuments de la chanson kabyle à l’instar de Slimane Azem, Cherif Kheddam, Cheikh El Hasnaoui et Matoub Lounes.
Certains fans ne voulaient pas croire qu’Idir soit mort, allant jusqu’à demander à ceux qui ont annoncé la nouvelle sur les réseaux sociaux de la retirer. Refusant d’y croire, ces fans y sont allés de leurs commentaires, traitant les auteurs de ces posts de tous les noms, tant ce genre d’informations est devenu ces derniers temps le sport favori de nombreuses personnes aux desseins inavoués. Pour de nombreux fans, la nouvelle de la mort d’Idir n’est qu’une sordide fake news, comme cela fut le cas il y a quelques mois où l’on avait annoncé la mort du chanteur sur les réseaux sociaux, au point où il a fallu l’intervention de l’artiste lui-même sur les médias pour démentir l’information et rassurer ses fans. Malheureusement, ce ne fut pas le cas avant-hier soir avec ce court message posté par Thanina, la fille ainée d’Idir sur la page officielle du chanteur. «Nous avons le regret de vous annoncer le décès de notre père (à tous), Idir, le samedi 2 mai à 21h30.
Repose en paix papa». Un message qui confirme la nouvelle du décès de l’artiste et qui sera annoncée quelques minutes plus tard par des sites en ligne et des chaînes de télévision dont la chaîne publique ENTV qui a diffusé en boucle la triste information durant toute la nuit. Les hommages des amis, des proches et d’inconnus se relayaient sur facebook, faisant de la disparition du chanteur l’information la plus partagée et commentée de la soirée. Avec de simples mots où des textes raffinés dans toutes les langues, chacun y est allé de son hommage avec en illustration les photos du chanteur.
«Idir n’est plus. Une légende qui s’éteint ; Repose en paix l’artiste» écrit Hakim un fan du chanteur. «Ce qui me chagrine le plus après la triste nouvelle de la mort du grand artiste, c’est qu’il n’aura pas les funérailles qu’il mérite dans son village natal en présence de ses fans, en raison de la pandémie de corona» se désole un autre fan. «Un grand merci pour tout le bonheur que tu nous as donné. Nous garderons de toi le souvenir d’un artiste engagé mais surtout fier de ses racines.
Repose en paix l’artiste» écrit Bouzid. «C’est le seul chanteur que je pouvais écouter avec mon défunt père lorsque nous étions dans la voiture et le meilleur hommage que je puisse rendre à mon cher papa et de continuer encore à écouter Idir avec mes enfants» témoigne un autre fan d’Oran en guise de reconnaissance pour celui qui a porté la chanson kabyle au firmament de l’universalité, ce qui a fait de lui le chanteur algérien le plus connu aux quatre coins du monde.
Ambassadeur de la chanson kabyle
Malgré une discographie peu abondante avec sept albums seulement depuis le célèbre «Avava inouva» en 1976, diffusé dans 77 pays et traduit en quinze langues, Idir, diplômé de l’université d’Alger en géologie, est considéré comme le véritable ambassadeur de la chanson algérienne et le porte-flambeau de la culture kabyle dans le monde. «Sa popularité dépassait largement sa communauté» écrivait le célèbre journal français Le Monde. D’Idir, le sociologue français Pierre Bourdieux disait : «Ce n’est pas un chanteur comme les autres. C’est un membre de chaque famille».
Avec un style musical propre à lui, Idir remplissait les salles où qu’il chantait, lui dont le dernier passage à la Coupole du 5 juillet à Alger le 12 janvier 2018, après quarante années d’absence, restera gravé dans les mémoires. Attaché à ses racines mais aussi ouvert sur le monde, Idir a réussi à faire de sa musique un hymne universel, en invitant dans ces derniers produits de célèbres chanteurs français.
Après deux albums de collaboration avec de nombreux artistes issus de scènes et de générations diverses (Grand Corps Malade, Manu Chao, Dan Ar Braz, Akhenaton, Oxmo Puccino, Kenza Farah, Maxime Le Forestier, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldmann…), l’enfant d’Ath Yenni a récidivé en 2017 avec un nouvel et dernier album de onze titres intitulé «Ici et ailleurs». Un album sous forme d’un pèlerinage musical qui a vu Idir faire appel cette fois à une dizaine de voix célèbres de la chanson française, à leur tête le grand chanteur Charles Aznavour qui interpréta sa célèbre chanson «La Bohème» en kabyle.
«Aznavour m’a confié qu’il voulait chanter en kabyle car il se sentait proche de notre identité même si j’avoue qu’il a trouvé quelques difficultés pour prononcer certains mot en kabyle», confiait Idir lors d’une conférence de presse tenue à Tizi Ouzou en novembre 2015. Dans cet album, de nombreux autres chanteurs français, dont Patrick Bruel, Maxime le Forestier, Francis Cabrel, Bernard Lavilliers, Henri Slavador et Gerard Lenorman, ont chanté également en duo avec Idir.
«C’est sur demande de ma maison d’édition que je sortirai cet album avec au menu des chansons d’auteurs français que je vais interpréter en kabyle. C’est pour une meilleure visibilité et surtout une plus large diffusion de mon prochain album que ma maison d’édition m’a suggéré d’intégrer tous ces grands noms de la chanson française», expliquait encore Idir. Dans la présentation de ce nouveau produit sur le site officiel de l’artiste, on peut lire que «Ici et ailleurs» est un disque composé de chansons que le chanteur Idir a profondément aimées dans son enfance puis dans sa vie d’artiste. D’autres sont venues à lui comme de belles invitations à se ressembler. Un seul mot clé pour comprendre le sens de ces adaptations : l’équivalence.
Onze chansons qui témoignent de la démarche artistique d’Idir, toujours en mouvement. Onze chansons qui œuvrent aussi, pour lui et pour nous-mêmes, comme un remarquable travail de mémoire. Idir, légende de la chanson kabyle, se plie à l’exercice du duo pour nous faire écouter un autre sens qu’il donne à ce partage pourtant si commun dans la musique, lit-on encore dans la présentation de l’album non sans ajouter que le plus difficile n’est pas d’être invité à chanter avec autrui mais de se sentir admis comme un frère. Et non plus comme un étranger que l’on accueille avec bienveillance.
Cet album, qui vient s’ajouter au riche répertoire de l’artiste qui a su et surtout réussi à faire connaître la chanson kabyle au-delà de nos frontières, se veut une preuve de l’universalité de celui qui a embrassé la chanson au début des années soixante-dix dans un total anonymat, de peur, dit-il, de se faire reconnaître par ses parents et ses proches, à une époque où le mot chanteur était considéré comme un déshonneur pour la famille. «J’ai choisi un pseudonyme d’une manière très rapide pour cacher à mes parents que je chantais car eux ils m’ont envoyé à Alger pour faire des études supérieures. C’était en 1973. Pour ma défunte mère, je devais être médecin ou pharmacien car pour elle je devais être mieux que le fils de la voisine, qui a réussi dans son cursus universitaire. Alors, il n’était pas question pour elle de me voir m’occuper du bendir et de la gheita», nous confiait Idir, au printemps 2015.
Ali Chebli