Déclaration à l’occasion de la commémoration de la célébration de la manifestation du 17 Octobre 1961

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Il y a 49 ans, le 17 Octobre 1961, répondant à des directives précises de la Fédération du FLN en France, des dizaines de milliers d’Algériens structurés fortement dans la clandestinité au sein de l’organisation occupaient les rues, avenues et boulevards de Paris, réaffirmant dans l’ordre et la discipline devant l’opinion publique française et internationale son engagement total dans la lutte de Libération nationale.

Cette démonstration de force, pacifique et impressionnante, constituait une réponse cinglante aux mesures discriminatoires et racistes décidées, le 6 octobre 1961, par le sinistre Papon, préfet de police et Roger Frey, ministre de l’Intérieur, imposant aux Algériens un couvre-feu de 20h30 à 5h30 du matin et la fermeture des cafés et restaurants à partir de 19h. Pour mieux comprendre le sens éminemment politique de ces manifestations, il est utile de situer le contexte de l’époque.

En effet, en Octobre 1961, la guerre de Libération nationale durait déjà sept ans et, malgré tous les moyens répressifs mis en œuvre par les gouvernements successifs français appuyés par les forces de l’OTAN n’ont toujours pas réussi d’entraver la détermination de notre peuple et de son armée de Libération nationale de poursuivre le combat libérateur. Bien mieux, l’action du FLN et ALN ont eu pour conséquence reconnue d’affaiblir notablement la IVe République française et de hâter sa chute avec le retour au pouvoir du général de Gaule en juin 1958. Celui-ci au lieu de prendre en considération les aspirants de notre peuple à la liberté et à l’Indépendance en engageant de véritables négociations avec les dirigeants de notre Révolution, a au contraire durci la guerre, poursuivant ainsi, mais à une échelle beaucoup plus vaste, la politique de destruction et de répression sauvage de ses prédécesseurs tant sur le territoire national contre l’ALN et contre notre émigration en France. Il avait renforcé considérablement les moyens militaires de la France par la mobilisation et l’envoi en Algérie de plus en plus de troupes, engagé toutes les potentialités économiques de la France dans la Guerre contre notre peuple combattant.

En réponse à ce durcissement caractérisé en particulier par les opérations baptisées “pierres précieuses” et les barrages électrifiés aux frontières Est et Ouest du pays pour isoler les moudjahidine de leur base de soutien au Maroc et en Tunisie (Lignes Challe et Maurice) et déclencher de vastes opérations à travers tout le territoire national. C’est ainsi qu’il croyait pouvoir arriver à étouffer définitivement la lutte héroïque de notre peuple pour sa libération. Parmi les mesures stratégiques arrêtées à l’époque par la Direction de notre Révolution, il y a lieu de signaler les directives données à la Fédération du FLN en France de porter la Guerre sur le sol même de l’ennemi, ce qui constitue à ce jour, un fait unique dans l’histoire des luttes de Libération des peuples colonisés. Les actions menées, dans ce cadre, par les militants de la Fédération du FLN en France à partir de la nuit du 24/25 août 1958, en plusieurs points du territoire français, ont visé des points sensibles de l’économie et de l’appareil répressif français, tels la cartoucherie de Vincennes, le dépôt de carburant de Maurepiane (Marseille) considéré comme le plus grand centre de stockage de carburant du sud-est de la France, des raffineries ont été attaquées, comme celles de Rouen et du Havre. Ces actions armées avait pris de court les autorités françaises qui étaient loin d’imaginer ce haut degré de mobilisation et d’organisation de notre émigration dans les rangs du FLN.

L’ouverture de ce second Front à la veille de la session annuelle de l’ONU qui avait inscrit la question algérienne sur son ordre du jour, outre le fait qu’elle a contraint l’ennemi à dispenser ses forces, était venue à point pour contrecarrer les efforts considérables de la diplomatie et de tous les appareils de propagande français. Cultivant alors l’illusion d’avoir réussi à affaiblir la résistance dans les maquis en Algérie, le nouveau pouvoir français entreprit de liquider notre Fédération coupable à ses yeux de démentir, à l’opinion internationale, les proclamations tendant à faire croire à une victoire de l’armée française.

Comme en Algérie, les autorités françaises organisèrent les opérations de quadrillage par le renforcement des sévices de répression et l’implantation de groupes de harki dans les quartiers où résidait une forte communauté d’émigrés algériens.

Comme en Algérie, les rafles et la chasse au faciès se multiplièrent de jour comme de nuit.

Comme en Algérie, la police française et ses supplétifs se livrèrent à des rafles et à des enlèvements de milliers d’Algériens pour les soumettre dans des commissariats et d’autres lieux ouverts à cet effet aux techniques de torture les plus barbares et les plus humiliantes dans l’espoir d’arracher des aveux susceptibles de leur permettre d’arriver à un démantèlement total de la Fédération du FLN en France.

Ces militants aguerris firent preuve, dans des souffrances atroces endurées d’un patriotisme et d’un courage exemplaires. Beaucoup d’entre eux furent purement et simplement assassinés secrètement soit par armes à feu ou par pendaison comme ont connu le Bois de Boulougne, et moururent en chahid.

D’autres pour différents motifs d’inculpation tels qu’atteinte à la Sûreté intérieure de l’Etat furent traînés devant des tribunaux d’exception.

Pris en charge par le collectif des avocats du FLN, ils transformèrent les tribunaux en tribune de propagande en clamant haut et fort la justesse de leur combat et en exigeant le droit d’être traités en prisonniers de Guerre selon les Conventions internationales de Genève. Ils étaient condamnés soit à la peine capitale dont certains exécutés, soit à de lourdes peines auquel cas, on les entassait dans toutes les prisons de France déjà surchargées et dans lesquelles ils continuaient leur combat dans des comités de détention en contact avec l’organisation à l’extérieur pour assurer les secours aux détenus et à leurs familles et d’autres formes de lutte comme les nombreuses grèves de la faim pour revendiquer le bénéfice du régime de détenus politiques. Ceux pour lesquels aucun chef d’inculpation n’avait pu être retenu malgré les moyens inhumains d’interrogation utilisés, étaient emmenés par milliers vers les camps de concentration implantés spécialement dans plusieurs régions de France (Larzac, Vadenay, Saint-Maurice l’Ardoise etc…).

Toutes les exactions des services de police et des harki ramenés d’Algérie n’avait entamé en rien la résistance, l’organisation et la solidarité de notre communauté d’émigrés.

A l’automne 1961, devant leur échec flagrant et le peu de résultats obtenus jusque-là les stratèges français sachant que les activités des militants de la Fédération du FLN en France s’exerçaient essentiellement le soir, notre communauté d’émigrés étant constituée dans son immense majorité de gens qui travaillaient dans la journée, croyaient, avoir enfin trouvé le moyen de liquider de façon définitive la Fédération en décidant d’un couvre-feu applicable aux seuls Algériens.

Face à cette mesure discriminatoire et lasse de subir passivement les effets de la répression, la base militante s’était mise à réclamer à ses responsables une riposte à même de mettre en échec ce plan machiavélique.

Devant cette exigence qui lui parvenait à travers les rapports qui venaient de toutes les régions de France, la Direction de la Fédération du FLN en France, après avoir analysé toutes les données du problème, prit la décision de passer à l’action en organisant des manifestations publiques à Paris pour dénoncer et attirer l’attention de l’opinion publique française et internationale sur la sauvagerie de la répression du gouvernement colonialiste français à l’encontre de notre émigration et sur le caractère raciste et discriminatoire des dernières mesures de couvre-feu édictées par celui-ci.

Les directives données à tous les échelons de l’organisation étaient les suivantes :

Les manifestations devaient démarrer le même jour (le soir du 17 Octobre à 20h30 précisément à l’heure de l’interdiction de sorte des Algériens en dehors de chez-eux) et s’étalaient sur trois jours consécutifs.

Pour préserver les structures de l’organisation, les cadres ne devaient pas apparaître au cours des manifestations qui devaient revêtir pourtant un caractère pacifique et toute détention d’armes sous quelque forme que ce soit était rigoureusement interdite aux manifestants.

Comme prévu le 17 Octobre au soir, plus de quatre vingt mille (80 000) Algériennes et Algériens envahissent les grands Boulevards de la capitale française.

Si les manifestations furent un succès comme en témoignent les comptes rendus de la presse française et internationale, la répression menée sous l’autorité du préfet de police Maurice Papon tristement célèbre pour sa collaboration et d’extermination des juifs durant la seconde Guerre mondiale.

Une chasse à l’Algérien particulièrement sanglante fut déclenchée à travers tout Paris :

12 000 à 15 000 arrestations dont 3 000 maintenus, 1 500 refoulés dans leur douar d’origine 300 à 400 morts par balles, par noyade dans la Seine, 2 400 blessés et 400 disparus. Parmi les manifestants arrêtés des centaines furent envoyés dans les centres de tri de Vincennes, du Palais des Sports, du Stade de Coubertin, porte de Saint-Cloud transformés pour la circonstance en autant de lieux d’interrogatoires et de torture. Parmi les manifestants arrêtés beaucoup sont envoyés dans les camps d’internements en Algérie et en France par mesure administrative.

20 Octobre, manifestation des femmes dans toute la France, et particulièrement en Province, dans l’Est, à Lyon, à Marseille et dans le Nord, manifestations réprimées avec la même violence que les précédentes.

Les mêmes revendications : libération des détenus, indépendance de l’Algérie !

La population algérienne en France a payé un prix très fort, les policiers se sont acharnés sur les manifestants pacifiques avec une barbarie inouïe.

Malgré cette féroce répression, l’organisation du FLN en France était sortie de cette dure épreuve plus forte et la communauté émigrée plus motivée et plus soudée que jamais. Comme les manifestations populaires mémorables du 11 Décembre 1960 à Alger, les manifestations éclatantes du 17 Octobre 1961 à Paris avaient démontré l’engagement total de notre communauté émigrée au côté du peuple en lutte sur le territoire national.

Ces manifestations avaient largement contribué à la reprise des négociations alors à l’arrêt. Elles avaient marqué un pas important dans la marche de notre peuple vers son indépendance nationale.

Voilà une page glorieuse de notre Guerre de Libération nationale qui reste encore à écrire et à magnifier pour lutter contre l’oubli, et pour édifier les générations futures.

Un demi siècle après, nous nous devons de nous incliner à la mémoire de nos chouhada et parmi eux à ces combattants de l’ombre, tombés en territoire ennemi et qui ont écrit en lettre de sang cette partie de l’Histoire glorieuse de notre Révolution.

Le Président

M.A. Benyounes

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