Kamel Amzal, le martyr de Novembre

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Vingt-huit ans déjà ! Kamal Amzal en aurait eu quarante-huit en cette année 2010, où, malgré les sacrifices des autres enfants d’Algérie ayant eu lieu après lui, des incertitudes presque de même nature et de même ampleur, continuent de planer sur le ciel d’Algérie. Plus d’un quart de siècle après l’assassinat de l’étudiant Amzal Kamal sur le campus de Ben Aknoun, les luttes idéologiques, politiques et sociales qui sustentaient le substratum de telles dérives n’ont pas substantiellement changé malgré le drame d’octobre, qui frappera la jeunesse algérienne six ans plus tard, malgré les tentatives d’ouverture démocratique et de libéralisation économique opérées depuis les années 1990, et, enfin, en dépit de multiples autres assassinats qui ont emporté de simples citoyens comme des hommes de culture de la trempe de Tahar Djaout, Boucebsi, Matoub Lounès et d’autres encore. Et si le décor de l’Algérie des années 1990 était planté en cette soirée du 2 novembre 1982 ? Il y a tout lieu, rétrospectivement, de le penser. La gestion de la donne islamiste, comme dans la plupart des pays arabes ayant pour seul souci la pérennité des régimes en place, obéissait à un jeu d’équilibrisme dangereux qui opposait la gauche progressiste à la frange la plus conservatrice du courant religieux. Dans la pratique, ce jeu a longtemps pris pour arène les campus des universités. Outre ce clivage idéologique classique et commun à plusieurs pays, l’Algérie se retrouvera avec les ‘’circonstances aggravantes’’ d’une mouvance berbère qui n’a rien d’une idéologie importée ou d’un courant politique qui chercherait la prise de pouvoir, ce qui, certainement, aurait facilité sa domestication par la grâce de la rente et des privilèges. Il se trouve que la revendication berbère a une profondeur historique indéniable et une légitimité populaire qui a fait d’elle un serment et un flambeau portés par des générations entières de militants humbles ou aguerris, avant et après l’indépendance du pays. Ce qui avait suscité plus de panique et de réactions violentes des différents clans du pouvoir, c’est surtout la jonction réussie entre la revendication berbère et les aspirations démocratiques du peuple algérien. La militance berbère a pu intégrer, particulièrement après le Printemps de 1980, les questions des droits de l’Homme et des libertés démocratiques dans un même corpus théorique et un même combat pratique. Cette démarche a surtout pu fleurir dans les campus universitaires où les militants de la cause berbère avaient aussi à s’assumer en tantque démocrates dans toutes les tâches dont ils allaient porter le fardeau :

gestion des cités universitaires, lutte pour de meilleures conditions d’enseignement et pour une pédagogie moderne délestée des griffes de l’arabo-islamisme, combat pacifique pour l’expression démocratique dans une université qu’ils voulaient comme porte-étendard des idées de progrès. C’est dans ce cadre qui convenait très mal à la dictature du parti unique et de l’islamisme rampant de l’époque qu’il faut situer l’assassinat, il y a 28 ans, jour pour jour, de l’étudiant Amzal Kamal dans le campus de Ben Aknoun, par des fous de Dieu, armés de poignards et de barres de fer. L’enfant de Tiferdoud reçut dans son corps cet arsenal de guerre, aux cris de Allah Ouakbar, au moment où, avec son camarade Aziz B., il déploya une affiche à coller sur le mur du foyer, affiche appelant à renouveler le comité de cité par la tenue d’une Assemblée générale des étudiants. La jeunesse kabyle qui a inauguré le nouveau millénaire par la contestation citoyenne et la revendication d’une véritable démocratie est en droit d’être informée du parcours et du combat de ses aînés qui ont ouvert le chemin vers plus de liberté et de dignité qui ont fissuré le mur du monolithisme castrateur du parti unique et tenu tête aux nervis et spadassins des temps modernes qui ont juré la perte de l’Algérie historique de Massinissa, de Kahina et de Abane Ramdane. Le mérite du combat de la génération de Kamal Amzal est d’autant plus noble et éminent qu’il ne s’inscrivait dans aucune logique étroite de chapelle politique ou de calcul d’intérêt. Sur leurs frêles épaules d’étudiants descendus des montagnes de Kabylie, ils ont porté haut et fort les aspirations profondes et légitimes de leur peuple ; ils ont ouvert la voie, dans l’adversité la plus tenace et la plus crasse, vers un combat loyal, pacifique mais déterminé pour les causes justes, et celles de la démocratie et de l’amazighité en font largement partie. Kamal Amzal a été de ceux qui ont ouvert cette voie ; il a inauguré du même coup, le martyrologe de la citoyenneté. Et c’est presque sans grande surprise que, moins d’une génération plus tard (en 2001), dans des circonstances politiquement brouillées, d’autres jeunes Kabyles- plus d’une centaine-seront sacrifiés dans un printemps nommé par les survivants Printemps noir. Bien que les circonstances des deux drames soient différentes, l’âme et l’élan de désir de liberté et de démocratie qui ont animé les jeunes rebelles sont les mêmes. Ils avaient inauguré le troisième millénaire avec la fougue, le désintéressement et la puissance de l’engagement de Kamal Amzal.

Amar Naït Messaoud

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