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Ils avaient 10, 11 et 14 ans lors de la manif / Saïd, Ahmed et Ali s’en souviennent

1916
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Le 11 Décembre 1960, par milliers, les Algériennes et Algériens sortirent dans la rue, pour manifester pacifiquement afin de réaffirmer leur attachement au principe de leur indépendance contre la politique du général De Gaulle, visant à maintenir l’Algérie comme étant un département français, dans le cadre de l’idée de l’Algérie algérienne d’une part, et contre la position des colons français, qui cultivaient le rêve de l’Algérie française.

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“Algérie algérienne ! Algérie musulmane !”. Tel était le principal slogan, qui sortait des milliers de poitrines d’enfants, de vieux, d’hommes et de femmes, qui ont eu assez de vivre sous le joug colonial. Evoquer le souvenir de cette journée mémorable, à M’kira, plus précisément au café du “Stade», paraissait pour le moins burlesque, si ce n’était l’attention de nombreux clients, qui étaient très surpris à l’évocation de cette manifestation, qui les avait marqués à jamais dans leur vie et, qui était restée vivace dans leurs esprits. Ami Saïd, Ahmed, Ali, Mehenni, la soixantaine, avaient entre huit et dix ans à cette date. Leurs histoires sont identiques d’autant plus qu’ils sont issus de villages voisins. “Comment cela se fait que nous avions non seulement vécu la manifestation du 11 Décembre 1960, mais nous y avions participé en première ligne s’il te plaît», (grands rires de tout le monde). En effet, Ami Ahmed, devenu grand-père maintenant, a, ce don de nos aïeux pour la narration.

“Le 11 Décembre 1960, nous étions établis au lotissement « Duplan », près du carrefour des « Quatre chemins », entre le lotissement « Michel » et la cité « La Montagne »ou « Bachdjarah», qui n’existait pas en tant que cité comme actuellement. Nous étions des réfugiés. Nos parents avaient fui le tristement camp de regroupement de Tighilt-Oukerrouche où l’armée coloniale nous avait enfermés après la grande opération de ratissage lancée contre l’ALN à partir du 25 juillet 1959”.

Le lotissement “Duplan”

Nos interlocuteurs n’ont jamais cherché à connaître l’origine de cette appellation, si ce n’est sa naissance et son développement qui s’agrandissait au fur et à mesure de l’arrivée des réfugiés qui fuyaient les zones isolées de l’Algérie profonde. “Nous sommes entrés dans notre nouvelle maison alors que le ciment du parterre était encore humide. Il est vrai que nous étions un peu aisés car il n’était pas à la portée de tout le monde de s’offrir en ce temps-là un toit convenable. Pour la plupart des gens d’ici, ils s’étaient retrouvés dans des baraques de 4 m2 à EL-Kettar, Le « Beau Fraisier », « Frais Vallon, Oued Koreiche ou à Zghrara ». Donc avec deux pièces de moins de 4mx4m, nous étions deux familles (avec mon oncle), nous disposions d’une petite cour avec des toilettes, nous étions bien installés alors qu’auparavant, nous étions à

«Beau Fraisier », dans une petite pièce pour 6 personnes. La nuit, ma mère et moi dormions chez une voisine dont le mari était en France», nous narre Ami Saïd, qui ne tardera pas à être enrôlé dans l’“organisation” après certains tests réussis.

Pour Ami Ali, c’est la découverte d’une nouvelle vie, dans cette banlieue d’Alger. Il saura toujours que c’est la guerre mais au moins là il n’aura pas cette peur en permanence de voir un obus lui tomber sur la tête ou le déchiqueter alors que pour le moindre déplacement, il n’aura pas ce traumatisme de se faire tirer comme un lapin à partir d’une caserne. “J’avais du mal à m’adapter à notre nouvelle vie, dans ce quartier après avoir fui la guerre au quotidien. Avant de trouver le sommeil, chaque nuit, je pensais à ces moudjahiddine, qui venaient chez nous, pour manger et pour discuter alors que les femmes du village, plus particulièrement assuraient presque toute la logistique et leur sécurité pour traverser notre zone. Ce n’est que maintenant que j’ai compris que nous étions sur le trajet entre la Wilaya III et la Wilaya IV, c’était en quelque sorte un transit obligatoire. Ma mère m’avait bien sûr tranquillisé en me disant que nous ne pouvions rien faire pour les combattants d’autant plus que l’armée coloniale nous tenait prisonnier dans le camp», nous raconte tristement, avec les larmes aux yeux Ami Ali. Pour nos interlocuteurs, c’est également, en contact avec leurs camarades de leur âge et des voisins de prendre conscience que la guerre n’était pas seulement menée à M’kira, ni encore les exactions de l’armée coloniale mais à travers tout le pays qu’ils ne connaissaient pas.

“Enfants, pour nous, le monde s’arrêtait là-bas au pied du Djurdjura alors qu’entendre les noms des « pays » comme « Ivahriyène, Michelet, Azazga, Maillot, Chorfa, Djedjlli… », c’était vraiment hors de notre portée. Mais, la misère de la guerre nous avait rapprochés pour en faire de nous de vrais frères.

Au demeurant, notre quartier était habité par les gens de la Kabylie. Nous étions cinq ou six familles de M’kira, les autres de Michelet, de Tigzirt ou d’Azzefoun qui se disaient d’Ivahriyène (Les gens de la mer) et de Jijel qui avaient fui les exactions de la soldatesque française et de leurs suppôts, les harkis», intervient Ami Saïd.

La préparation de la manifestation

Ami Ahmed, qui n’a pas de pareil pour raconter des histoires est prié pour nous narrer la préparation de la manifestation du 11 Décembre 1960 au niveau de leur quartier.

“Malgré notre jeune âge, nous savions que tout le monde dans notre quartier était impliqué d’une manière ou d’une autre dans cette guerre mais nous gardons tout information ou renseignement dans le secret le plus absolu comme par exemple, chez notre voisin, le plus proche, nous avions un mur en commun, ils étaient d’Azazga, tout le quartier savait qu’ils soignaient chez eux un maquisard blessé mais c’était resté entre nous. Il y avait une grande complicité entre tous les gens du quartier. Pour nous, les enfants, nous ignorions la situation de l’“organisation” des adultes alors que nous avions la nôtre qui était dirigée par un jeune “Zazou», beau, il devait avoir 24 ans, toujours bien habillé il était très élégant, il était mieux que les jeunes “Dandy” pieds noirs, il nous couvait. Notre mission était de briser les pare-brises des voitures des Français qui passaient par notre quartier, sur le chemin de Kouba ou de Gué de Constantine. “C’est tard, même très tard, la veille du 11 Décembre que, miraculeusement, le quartier qui était toujours désert en cette période et à cette heure-ci, il faisait très sombre, le soleil était couché depuis longtemps que tous les foyers s’étaient mis en ébullition. Très curieux, les enfants de l’“organisation” s’étaient retrouvés pour s’enquérir de ce qui se tramait à leur insu. En moins d’une minute, un enfant de Jijel qui était notre souffre douleur, nous apprit que chez son oncle Ami Messaoud, (que Dieu ait son âme), un homme d’une grande gentillesse mais qui était porté sur la boisson, ses deux filles s’occupaient à confectionner des drapeaux algériens qui seront brandis le lendemain au cours d’une manifestation où tous les gens du quartier sans exception, prendront part. Le rendez-vous donc était pris pour le lendemain de bonne heure. Comme nos parents se jetaient uniquement des coups d’œil devant nous, pour notre part, nous avions tenu notre information au secret.”

Le drapeau national

A entendre nos interlocuteurs qui ont la chance de partager des souvenirs d’enfance communs, liés à la guerre de Libération, il ne fait aucun doute que ce sont de vrais combattants de la révolution pour leur âge. “C’est vrai qu’avant de fermer les yeux, cette nuit-là c’est de voir le jour se levait au plus vite pour découvrir enfin notre emblème national. Donc, tout notre groupe s’était retrouvé très tôt, je crois que personne ne s’était soucié du petit déjeuner. Nous voulions être les premiers à le découvrir, c’est pour cela que nous avions campé devant la porte de Ami Messaoud. Sans nous accorder aucune importance, les gens du quartier commençaient à se rassembler au bord de la route qui traversait le quartier, mais à notre grand étonnement, nous découvrons qu’il y avait des personnes étrangères qui venaient et qui étaient saluées respectueusement, par nos parents alors qu’immédiatement des discussions se déclenchaient. Nous connaissions les habitants du quartier des « Quatre chemins» d’autant plus qu’avec leurs rejetons, nous étions en guerre.Vont-ils venir, quelle conduite allons-nous tenir envers eux ? Ce jour-là la paix a été signée définitivement avec nos ennemis, qui avaient osé à peine pénétrer à l’intérieur du périmètre de notre quartier. Nous sommes allés les saluer. Sans nous rendre compte, peut-être étions-nous occupés à discuter avec nos voisins mais une chose est sûre, le devant de notre quartier était noir de monde en un clin d’œil, des femmes avec des haïks, des vieux, tous les hommes étaient là nous étions pris dans une grande mêlée. Le cortège s’était ébranlé vers les « Quatre chemins » et les quartiers alentours avec des “Tahya Djazair ! Tahya Djazair ! Algérie algérienne ! Algérie musulmane ! A bas De Gaulle !”. C’était vraiment beau, fabuleux. Peu de temps après, un petit avion, un « piper »qui était chargé de la surveillance de tous les coins qui s’étaient soulevés passait au dessus de nos têtes sans que personne ne lui accorde la moindre importance. Au demeurant, alors que nous avions battu le pavé depuis un certain temps, aucun drapeau n’est apparu. C’est seulement, en revenant au niveau de notre quartier que surgissant au milieu de la foule, deux gamins, portés sur les épaules de deux adultes levaient avec leurs petites mains les deux emblèmes qui se mirent à flotter au milieu du délire de la foule. C’est la première fois que j’avais ressenti ce que c’était la jalousie. Je voulais être à la place de ces deux enfants mais j’étais plus grand, me suis-je dit».

La fusillade

Ami Ahmed reprit son témoignage qu’il avait laissé au moment de la récupération de deux drapeaux nationaux. “Le grand cortège prit la direction du lotissement « Michel » alors que nous entendions le brouhaha qui y parvenait. Une foule venait de Kouba et Ben Omar. Il fallait faire la jonction avec eux. Sans nous rendre compte, tous les enfants s’étaient portés en tête de la manifestation sans que personne ne nous le dise. C’était la joie, l’euphorie. Les bras en l’air, nous ne cessions de répéter à tue-tête les slogans : « Algérie algérienne ! Algérie musulmane ! » Tout d’un coup, Ami Ali interrompit sèchement son ami, pour lui dire de dire uniquement la vérité et de ne pas mentir d’autant plus que le groupe était ensemble, côte à côte. Ami Ali insista pour que Ami Ahmed doit rapporter que la vérité. Notre curiosité finira par être exaucée. « Bon, ça va ! fatigués de lancer « Algérie algérienne ! Algérie musulmane ! nous avions opté pour « Algérie algérienne ! Algérie Mizarmane (Algérie des serpents) !» Eh oui, c’était que par innocence. La vérité sort de la bouche des enfants», soupire notre conteur, avant d’enchaîner immédiatement : “Alors que nous jubilions au milieu de la chaussée, entre les platanes géants alors que nous approchions du petit pont qui sépare notre quartier du lotissement « Michel », des soldats qui étaient cachés derrière les troncs des grands arbres se mirent à tirer. El Harba ! C’est la débandade la plus totale. Les femmes laissèrent leurs haïks sur la chaussée ainsi que leurs claquettes. Des cris fusaient de partout. Il n’y a que la fuite alors que les crépitements des mitraillettes continuaient à résonner.”

Retour à la maison

Alors que Ami Ahmed et certains de ces camarades se perdirent du côté de Birkhadem d’où ils ne revinrent que tard dans la soirée, Ami Ali sera accueilli pour une correction mémorable à la maison. “Je ne sais pas comment je suis arrivé chez moi. Une chose dont j’étais certain que j’avais les mains et les genoux en sang. Dès qu’elle m’ouvrit la porte, elle me happa pour me corriger mais une forte détonation brisa le silence. Une bombe venait d’éclater à quelques mètres de notre habitation. Les militaires qui nous avaient poursuivis voulaient sans doute semer la panique. Le moment de stupeur passé ma mère prit le soin d’abord de m’examiner pour savoir si je n’étais pas blessé par une balle. Réconforté elle m’administra une belle correction mais elle fut surprise de ne pas me voir pleurer. Elle se résigna et me donna à manger tout en me lavant et en pansant mes blessures aux mains et aux genoux. A un moment, j’avais voulu lui jeter à la face qu’elle n’était pas avec ma tante dignes comme toutes les femmes qui étaient sorties manifester alors que parmi elles, plusieurs étaient vraiment cloîtrées chez elles, mais pour cette manifestation, elles ont osé sortir. J’étais vraiment heureux. Pour ma mère et ma tante, si j’avais gardé le silence, c’est faux, elles étaient de vraies combattantes. J’avais vécu, pendant tout ce temps, la peur au ventre qu’elle soit arrêter par l’armée française un jour ou l’autre, c’était une évidence.”

Nous n’avions pas vu le temps passé. Les thés qui ont été servis sont devenus glacés. Le cafetier, d’une gentillesse extrême est venu nous servir d’autres avec de la menthe.

Essaïd N’Aït Kaci

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