T. Boussad, 25 ans, torturé et humilié

Partager

Il est des personnages qui ont marqué de leur empreinte l’histoire du combat identitaire qu’on évoque presque jamais ou assez rarement. Très peu connu du grand public, Aami Boussad est l’ un de ces jeunes acteurs des événements de 80 qui a connu l’arrestation et a subi la torture dans les geôles de la Gendarmerie

Nous sommes allés à sa rencontre et il a bien voulu revenir sur cette période et sur son implication dans ces événements douloureux.

A la fin des années 70 et début 80, Aami Boussad, alors âgé de 25 ans, se trouvait à Tizi Ouzou où il était employé dans un café restaurant de l’avenue Krim Belkacem de la ville. Et c’est à cette époque qu’il commença à fréquenter le stade du 1er Novembre où il rencontrera beaucoup de supporters de la JSK. Il faut dire qu’à cette époque, l’ équipe phare de la Kabylie ne participait pas simplement à un championnat de foot ball mais elle représentait tout pour les kabyles. Rien ne le prédestinait pourtant à devenir un activiste, mais au contact de supporters militants très hostiles au pouvoir central, Aami Boussad devient vite un militant acharné de la cause berbère. Au début du mois d’Avril 80, alors que la tension allait crescendo dans les milieux estudiantins à Tizi et à Alger, Aami Boussad et deux de ses collègues de travail seront chargés d’afficher des tracts à Bouira, Béjaia et Bordj Bou Arreridj. Il recevra, lui et ses camarades, un premier lot de tracts qu’ils se chargeront d’afficher chacun dans sa région respective. Entre le 10 et le 20 avril, il fera plusieurs allers et retours entre son village natal Takerboust et Tizi-Ouzou.

Le 18 avril, il se trouva à Tizi Ouzou en compagnie de Noureddine et Nacer, ses deux compagnons chez leur patron du nom de ‘’Tonio’’. Le 20 au petit matin, ils retrouveront devant l’immeuble les corps sans vie du cuisinier et celui de la fille du patron qui jonchaient le sol. Affolé le patron exhorta ses travailleurs à quitter les lieux et aller se réfugier chez eux. ‘’Aux alentours du cinéma Djurdjura, c’était relativement calme, mais au loin, on entendait beaucoup de bruits et de cris, notamment sur la route menant à Oued Aissi’’, a-t-il noté.

Ils quitteront la ville de Tizi pour aller se réfugier dans un célibatorium à Draâ Ben Khedda, avant de reprendre la route vers 22 heures. Arrivés à Draâ El Mizan, un citoyen les informa d’une forte présence militaire à Tizi Larbaa, à la frontière entre Tizi et Bouira. Ils poursuivront le chemin de nuit avant de se séparer une fois arrivés à Ahnif. Aami Boussad continuera le chemin seul vers son village. A l’aube, il arrivera enfin à destination et il se mettra aussitôt à placarder la quarantaine de tracts en sa possession. Rentré chez lui pour faire un petit somme après un long et dangereux périple, il sera réveillé par l’arrivée des gendarmes qui l’arracheront de son lit pour l’emmener dans les locaux de la Gendarmerie de M’chedallah. Une fois dans les locaux, il saura que des indicateurs ont donné son nom aux autorités. Durant les 4 heures qu’il passera dans les sous sols de la gendarmerie, Aami Boussad vivra un vrai calvaire et toutes sortes d’atrocités. Après un interrogatoire musclé il subira l’épreuve de la gégène (torture consistant à placer des électrodes sur différentes parties du corps notamment les plus sensibles).

Au cours de son interrogatoire, les gendarmes l’interrogeront sur le contenu des tracts et sur Tamazight. Juste après, il sera conduit dans un garage où un gendarme tentera de l’agresser. Pour aami Boussad, c’était tout simplement une atteinte à son honneur. En évoquant cet épisode, notre interlocuteur avait comme un pincement au coeur. Il sera relâché quelques heures après dans l’après-midi sans souffler un mot sur les conditions de sa détention à ses proches. Cet épisode douloureux marquera à jamais Aami Boussad qui livrera là pour la première fois, son témoignage sur son arrestation et les conditions de sa détention dans les locaux de la Gendarmerie. Une semaine plus tard, il sera convoqué une nouvelle fois par les gendarmes qui l’assigneront à résidence surveillée d’un mois. Entre temps, il sera entendu par les gendarmes et les membres de la kasma de l’époque. Il était convoqué parfois seul et d’autres fois en présence des jeunes activistes de l’époque. Aami Bousad et ses camarades défieront les autorités de l’époque, en évoquant sans peur, ni tabou leur engagement militant pour la cause berbère. Après l’expiration de ce délai, il retournera à Tizi-Ouzou où il sera informé des événements qui se sont déroulés durant son absence. Des récits décrivant souvent des scènes dramatiques où étaient mêlés exactions et sauvageries à l’encontre d’étudiants dans les enceintes universitaires. Les années ont passé et Aami Boussad est resté égal à lui-même. Et pour cause, car à partir de l’année 81, il prendra part à toute les marches organisées dans la région à l’occasion du Printemps berbère. Aami Boussad demeure l’une des figures que l’histoire retiendra car en plus de son abnégation et de son dévouement à la cause, lui, comme des centaines d’autres militants berbères ont démontré que le joug, aussi répressif qu’il soit, ne peut empêcher le triomphe des causes justes.

Djamel M.

Partager