Tahar Djaout demeure un phare de la culture et de l’intelligence

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Le meilleur hommage que l’on est tenu de rendre aux hommes de lettres et intellectuels qui ont marqué de façon indélébile leur passage sur terre est d’abord de prendre connaissance de façon suffisante de leurs œuvres et travaux ; de replonger dans les trésors d’idées, de réflexions, d’inspirations, d’images et de mots par lesquels ils ont noirci des pages entières, semé la bonne parole, dessiné des horizons et insufflé courage et espoirs.

Loin du style des hommages sans lendemain- souvent au prestige factice et gluant d’intérêts- auxquels nous ont habitués les pouvoirs publics chargés du domaine de la culture, le monde associatif et des personnalités indépendantes en Kabylie ont su manifester à l’endroit des hommes et des femmes de culture, vivants ou ayant quitté ce monde, le plus grand intérêt et la plus généreuse sollicitude. Si, dans un passé récent, ce genre d’hommages sincères et de fixation de la mémoire collective n’étaient pas bien visibles- même si de beaux et estimables gestes furent accomplis dans ce sens-, cela est surtout dû au brouillard politique et aux luttes intestines rendus possibles par la déliquescence de la classe politique et l’exacerbation de la cupidité des affairistes de tous bords. Dans le domaine de l’art et de la culture, comme d’ailleurs dans la sphère politique, s’est mise en place, à qui mieux mieux, une faune de faussaires et d’activistes par ‘’défaut’’ qui, momentanément, avaient occulté les vrais créateurs, les esthètes accomplis et, en général, les libres penseurs.

La jeunesse de Kabylie veut se donner des références et des repères culturels qui ne relèvent ni de la virtualité ni de la culture vénéneuse accordée sous le sceau de l’officialité. L’intérêt et le besoin de revisiter la mémoire collective ne s’embarrassent nullement d’a priori politiques ou des contingences politiques. La jeunesse, déboussolée par le nouvel environnement où il y a place à tout sauf à ses préoccupations, désenchantée par de fumeuses promesses évanescentes et servant toujours de généreux alibis à des bureaucrates suintant l’hypocrisie, est appelée à tout faire pour se réapproprier les symboles de ceux qui lui ont tracé le chemin vers la libération.

La jeunesse kabyle n’a pas encore accompli le travail de deuil après l’assassinat, en juin 1998, de Matoub Lounès. C’est avec un sentiment à la fois d’émotion et de rage qu’elle célèbre régulièrement les anniversaires de sa naissance et de sa mort. De même, ce n’est pas sans un sentiment d’amertume et d’impuissance que des jeunes kabyles revisitent l’œuvre de Mohia dont on ne détient, matériellement parlant, presque aucune œuvre. Les cassettes audio qu’il enregistrait dans des locaux de fortune à Paris et qui n’ont jamais connu de circuit commercial ont fait le tour des chaumières et des hameaux de la montagne pendant plus de vingt ans. Il n’avait, pour développer sa philosophie de la vie avec le support linguistique de nos ancêtres, que ces bandes amochées et éreintées d’avoir été copiées des milliers de fois.

S’agissant du cas de Tahar Djaout, parmi la génération d’écrivains qui se situent entre les classiques algériens des années cinquante du siècle dernier et la nouvelle tendance qui allait marquer le début du 21e siècle,- où se côtoient ‘’littérature de l’urgence’’ et retour à certaines valeurs esthétiques- l’auteur des Vigiles paraît comme l’astre scintillant qui a su cumuler, dans un continuum où les aspérités ne donnent que plus d’éclat, les fonctions d’écrivain, de journaliste et d’éclaireur de la société. Cette dernière mission ne lui a crée aucune espèce de ‘’fil à la patte’’ puisqu’il a refusé toutes les chapelles politiques hormis les voies qui mènent à la démocratie et à la libération de l’homme.

Outre donc la littérature au sens strict du terme, c’est-à-dire consignée dans les livres (romans et recueils de poésie), Djaout s’est beaucoup investi dans le journalisme culturel et particulièrement littéraire. Si un jour l’idée de ramasser ses écrits dans les journaux et les revues pouvait être concrétisée, un précieux et volumineux recueil en sortirait. Poètes, écrivains, chanteurs, peintres, musiciens, conteurs, hommes de presse, bref, tous ceux qui comptent sur le plan des arts et des lettres ont trouvé chez Djaout l’interprète de leurs souci de se rapprocher davantage du public et le ‘’vulgarisateur’’ de leurs travaux.. Ceux qui n’ont pas l’occasion de passer dans ses colonnes n’ont perdu espoir d’y figurer qu’après l’assassinat du journaliste-écrivain en 1993.

Avant qu’ils fussent des cibles privilégiées des islamistes, les esprits et les plumes de la valeur de Tahar Djaout étaient soit marginalisés, soit désignés déjà à la vindicte publique par les tenants de la pensée unique au pouvoir depuis l’Indépendance. Et c’est presque ‘’naturellement’’ que la secte des mutants acheva la besogne par le passage à l’acte.

Les supports des analyses, interviews et fiches de lectures de Djaout ont été surtout ‘’Algérie-Actualités’’, pendant plus d’une dizaine d’années, et ‘’Ruptures’’, un hebdomadaire indépendant fondé au début des années 1990 par Djaout et un groupe d’amis (Abdelkrim Djaâd et Arezki Metref).

En outre, d’autres titres de journaux et revues ont pris épisodiquement en charge les articles de notre écrivain à l’image de la prestigieuse revue ‘’Temps modernes’’.

Amar Naït Messaoud

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