De l’érosion du legs scientifique à l’illusion discursive

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Mačči d at tindar agi a γ-yeșșuben azal, Njeŗŗeb abrid n cctawi s ttεabga n temsal Nbedd-as i tdukkli ifeclen, Nrebba-yas-ed ifadden, Yufa-ten-id waεdaw yeșșd’en Mi yekker ad-d- yuγal… Asmi tennekwbal tmurt s tugdi n wuzzal, Arrac sğuğğgen tafsut, rżan-as cckal… Tecfam i tmaziγt nni, Mi ggulen degs ur tt-nuri, I lebda nenjer-as iswi, Aql-aγ-en ad-d-nuγal.

Cet hymne à la liberté de notre célèbre artiste et intellectuel collectif Idir incarne fort bien toute la charge symbolique du rapport aux valeurs humaines et sociétales, qui constituait un référent primordial prévalant dans la vie et la marche de l’institution que fut l’université Mouloud Mammeri dès sa prime jeunesse alors qu’elle était centre universitaire. Comme les valeurs ne se marchandent pas, ce référent formait un écran étanche entre les traits de la médiocrité et ceux de la qualité et de l’excellence, solidement incarnés et ancrés dans les rapports entre acteurs de la communauté universitaire pour qui le respect et l’intransigeance collective faisaient force de loi et matérialisaient le trait de niveau de la considération et du travail. Ce référent fut non seulement une valeur refuge mais aussi l’immanence d’une forte valeur ajoutée intégrée pendant longtemps dans les us et coutumes du fonctionnement multiforme de l’institution naissante. Dans son essence, il s’enracine dans les fondamentaux du fonctionnement sociétal nourri aux principes de réciprocité et de participation à l’entretien de l’intérêt général et du bien commun. Il fut aussi une donnée constitutive du spectre de sa notoriété non-marchandable et non-hypothécable dont l’empreinte intègre incidemment la valeur et la qualité de ses diplômes et diplômés. Cette construction progressive, puisqu’elle en fut une, œuvre de tous les acteurs en présence, est intimement liée à sa création et à la cristallisation des efforts, de la volonté et de l’engagement des enfants de la région venus de tous horizons y apporter leur concours. Ainsi naquit, par un certain jour d’automne de l’an 1977, la première institution universitaire en Kabylie, dans un centre dédié à l’accueil de vieillards… qui, faute de ne pas en recevoir, parce qu’à l’époque il était honteux et condamnable d’assigner son parent dans un tel refuge, fut dévié de sa mission initiale pour servir de noyau infrastructurel au démarrage des études universitaires dans la région. La stèle de cet acte inaugural, paraphé officiellement par le décret n° 77-93 du 20 juin 1977, éminemment important pour la région, est enfermée et mise aux oubliettes dans l’enceinte de cette résidence qu’est devenu, il y a quelques années, ce centre-symbole où ont cristallisé les ferments du Printemps amazighe de 1980 autour de la langue amazighe et de l’idéal démocratique. Encore un indice mémoriel et mémorial abandonné à lui-même comme tant d’autres qui revêt pourtant une importance capitale en rappelant à la collectivité que là fut allumée la bougie rayonnant le spectre fondamental des lumières de l’esprit dans la région. Son incandescence semble aujourd’hui devenue une anodine lueur blafarde, au même titre que l’accommodation nutritive, dans l’état d’esprit et les réflexes de ceux censés entretenir son énergie, hormis ceux qui ont souvenance de ce qu’elle fût le jour où ils ont eu à s’agglutiner et adhérer puissamment à l’acte collectif du rite de création de l’institution socialement consacrée comme futur bien commun dédié au développement humain et économique. Le temps est loin de nos 20 ans. Une poignée de jeunes ingénieurs dans leur majorité, venus d’horizons divers avec comme viatique expérimental leur bagage scientifique, prenait en main les destinées de la formation universitaire à Tizi Ouzou. D’aucuns ne pariaient pas cher sur l’initiative, d’autres n’y voyaient que la naissance d’un foyer d’agitation, enfin d’autres, et heureusement c’est la bonne majorité, croyaient en la solidarité agissante de ces jeunes enseignants appuyés il est vrai par un noyau de coopérants qui n’étaient pas plus expérimentés dans les faits. Forts de leur volonté, de leur foi en ce projet utile à la société et fortement ancré dans la tradition, l’éducation étant perçue comme un investissement sûr en Kabylie, un capital complémentaire aux revenus d’une émigration aux racines lointaines et aux relatives maigres ressources des territoires exigus assis sur un socle cristallophyllien défiant la masse calcaire du Djurdjura. La cristallisation n’a pas tardé à se produire mue par l’énergie de la force commune d’un bloc soudé heureux de participer à la construction du projet de la formation universitaire et au déclenchement d’une dynamique nouvelle pour la région. A l’époque, peu se souciaient du statut ou du salaire ni même quand on allait être payé et encore moins à être nommé d’autant plus qu’élaborer un arrêté de nomination et le valider par les organes de contrôle compétents bureaucratiquement puissants, prenait facilement 2 à 3 ans quand le dossier n’était pas égaré ou moisi sous des piles de documents dans les bureaux exigus de la tutelle, sise alors dans des préfabriqués au Champ-de-Manœuvres à Alger, la centralisation étant à son apogée en cette période là. Cette ferveur de s’encastrer en élément contributif dans l’être universitaire, de participer à la transmission du savoir et à son accumulation, était appréhendée sous un angle particulier. L’effort, le mérite et le mieux-faire se conjuguaient dans l’harmonie. Toute lacune ou déficit en encadrement était comblé au pied levé par l’un ou l’autre sans exigence particulière. Il arrivait d’endosser une vingtaine d’heures hebdomadaires sans rechigner, ni contrepartie financière. Mais, c’était un engagement collectif pour un défi qui cadrait bien avec cette rare fougue de la jeunesse de s’adonner à son premier emploi et aux étudiants de marquer leurs pas à l’université. La relative maturité des uns facilitait énormément le montage progressif du projet complexe d’édification de l’institution universitaire sous tous ses aspects pour répondre au challenge. Pour reprendre le concept actuel, ce fut une véritable communauté de pratiques qui était à l’œuvre : partage des connaissances et du peu de moyens existant. L’essentiel fut de participer à l’effort collectif et de travailler à la matérialisation de l’acte pédagogique dans l’édifice naissant. Moins de trois ans après la création du centre universitaire de Tizi Ouzou, cette dynamique a catalysé la formalisation d’un évènement marquant et original de l’Algérie indépendante, le Printemps amazighe. Et depuis, l’histoire de l’université Mouloud Mammeri est intimement liée à l’émergence de ce processus revendicatif d’essence démocratique à la suite de l’interdiction de la conférence de feu Mouloud Mammeri, le 10 mars 1980, sur son ouvrage Poèmes kabyles anciens, dont elle a naturellement hérité le nom bien plus tard. Cet acte de baptisation et d’institution spontanée, à la symbolique hautement significative, est le fruit d’une consécration par la volonté collective et engagée de sa propre communauté, il n’est point le fait d’un acte institutionnel décidé. Sa charge symbolique est devenue l’autre référent fort dans la consolidation de sa notoriété, à l’image du grand homme que fut Mouloud Mammeri, de sa finesse d’esprit et de sa résilience dans des contextes politiques souvent hostiles. A elle seule, elle incarne la liberté d’esprit, l’inaliénabilité et l’irréductibilité : elle constitue continument une force de rappel intimement liée au Printemps amazighe dans l’être et le fonctionnement de l’université. C’est son expression forte, assimilée à tort au caractère frondeur et contestataire de l’université Mouloud Mammeri, réputée être un espace de débats d’idées, qui a conduit à lui coller l’étiquette d’université spécifique y compris dans les cercles officiels… D’aucuns n’hésitent pas à la qualifier sans vergogne «d’université des grèves» ! C’est le propre d’une action de dénaturation et de déqualification d’un caractère positif et, à travers lui, l’université dans sa totalité, qui exprime l’attachement à une institution dans ses symboles forts. Autrement dit, cette symbolique traduit l’empathie, la fierté, le sentiment d’appartenance, d’adhésion et de rattachement à une entité reflétant la notoriété d’un homme réputé pour ses compétences, sa valeur et son attachement particulier à la langue amazighe, aux choses de l’esprit et aux valeurs humaines et universitaires. Dès lors, tout autre type de rapport ou d’atteinte à cette symbolique réticulaire est difficilement envisageable et inacceptable. Le nom de Mouloud Mammeri est l’autre puissant élément intellectuellement structurant intégré historiquement dans le génome de l’université qui le porte. Il y a donc une identité à la fois scientifique, culturelle et historiquement édifiée dans cette université et c’est cet aspect qui s’avère être la spécificité qui la distingue des autres. Maintenant, les temps ont changé, elle a pratiquement quitté l’âge de l’adolescence et est entrée dans le gotha des établissements d’envergure nécessitant inévitablement une vision appropriée pour l’affranchir de la routine et l’habitus administratif incommode pour la chose scientifique. Au-delà des classements internationaux qui sont loin de revêtir une signification pertinente au regard de l’uniformité du contexte universitaire national, de ses objectifs et sa forte centralisation, l’université Mouloud Mammeri accuse un sérieux décrochage en termes de qualité et de notoriété scientifique relativement à sa trajectoire initiale. Quelque part, la rupture contrarie les premiers contributeurs à sa fondation qui aura marqué les esprits, jusqu’à éprouver de l’amertume et songer au départ ou la retraite, même si celle-ci s’estompe partiellement avec le sentiment du devoir accompli et de la contribution à l’édification progressive de cette œuvre en constante évolution. En effet, à travers son histoire mouvementée et malgré les vicissitudes, l’université Mouloud Mammeri fut un centre de rayonnement, un point focal dans la formation et le développement régional, national voire international et la création des pôles universitaires voisins. Malgré les critiques acerbes dont elle fait l’objet et les facteurs internes et externes qui ont biaisé la trajectoire de son évolution, malgré les effets d’actions dilatoires visant à la dévier de ses objectifs, elle demeure dans son fond un symbole quasi-insensible au déviatorique des discours déclinistes et ravageurs qui tentent de l’écarter de sa noblesse et de l’univers de la formation de l’esprit. Ces actions ciblent à l’extraire de son socle fondateur par un dévoiement des préceptes essentiels de l’esprit universitaire et la distillation d’une culture d’apparats trompeuse nourrie à l’illusion discursive perfide. Cependant, cette démarche illusionniste qui couve une atteinte à la qualité de la formation du capital humain ne saurait résister longtemps au fil de la vérité. Mouloud Mammeri, à qui ce symbole fort doit son nom, reprenant Abraham Lincoln, répétait souvent qu’on peut tromper tout le monde quelque temps, on peut tromper tout le temps quelques hommes, on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps. (A suivre…)

I. A. Z.

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