Recentrer les débats à leur juste valeur (3ème partie)

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à proprement parler, aucune ressource énergétique n’est strictement propre et la chimie enveloppe notre quotidien. Gaz de schiste et autres hydrocarbures avec tout ce que sous-entend leur arsenal d’extraction, de transport, de transformation et de consommation constituent en fait une même chaîne susceptible d’agresser l’intégrité de l’environnement du système Terre au même titre que les quantités de déchets que rejette le commun des citoyens dans tous les coins et recoins de notre pays ! Y prête-t-on attention ? Que non ! Combien de tonnes de gaz toxiques sont émises quotidiennement par les grands centres d’extraction, de transformation et d’exportation des produits du pétrole et autres phosphates et engrais implantés sur le territoire national ? Combien de millions de m3 d’eaux usées non traitées, industrielles et domestiques, sont rejetées quotidiennement dans nos cours d’eaux et à la mer ? Combien de tonnes de résidus de mines sont abandonnés sur place défigurant les paysages et polluant l’environnement ? Qui s’en inquiète ? Ces rejets font déjà autant de dégâts, si ce n’est plus, sur le milieu naturel (atmosphère, hydrosphère et biosphère) que ne le ferait la fracturation hydraulique et ses fluides sur les formations aquifères, l’air et la santé humaine ! Les chimismes, avec des formules diverses et plus ou moins complexes sont dans nos cuisines, dans nos salles de bains, dans nos jardins, dans nos vêtements, nos chaussures, les moteurs de nos voitures, nos stylos, nos montres, nos télévisions, nos ordinateurs, etc. Réputé pour être un gaz à effet de serre, le méthane susceptible de s’échapper des puits d’hydrocarbures non conventionnels, est produit dans les écuries et les champs par les bêtes qui nous fournissent le lait, les yaourts, les fromages et la viande que nous consommons chaque jour, dans les décharges et les déchets, dans les marécages et les océans, et bien entendu, par les biocarburants. Combien de milliers d’hectares de forêts sont consumés par les incendies chaque année, combien de milliers d’hectares de terres agricoles ont été envahis par le béton dans nos plaines les plus fertiles, à l’est, à l’ouest et au centre du vaste territoire algérien, sans qu’aucune voix ne se soit élevée. Et pourtant, ces faits constituent des atteintes graves et quasi-quotidiennes aux équilibres environnementaux et à l’économie du pays qui ne sont jamais quantifiées ou contestées. Si l’on regarde d’assez près et pris dans cette équation globale à plusieurs variables de la lente et progressive dégradation du système Terre, le développement des hydrocarbures non conventionnels relève foncièrement du même niveau d’atteinte et de risque pour les composantes de ce système et doit être appréhendé de la même manière, sans trop de passion ni de vision cataclysmique. Le tout étant d’étudier de manière réfléchie et scientifique l’équilibre entre le profit qui peut en être tiré et le prix à payer pour limiter les impacts environnementaux et d’opter pour une extraction la plus propre possible tout en définissant au préalable les périmètres où elle peut être pratiquée. Par ailleurs, cette pratique doit être opérée dans le cadre d’une loi explicite en mesure de définir les normes en vigueur dans le secteur que ce soit en termes de techniques et additifs admissibles, de précautions et de normes environnementales à respecter, et bien entendu, sous l’observation d’autorités ou agences de régulation indépendantes. De la sorte, la consonance hideuse de la fracturation hydraulique peut être tempérée et acceptée avec moins de passion si l’on venait à ramener à une plus juste perception ses effets pervers que l’on peut toujours réduire à des marges acceptables comme pour toutes les autres formes d’énergie, le risque zéro étant de l’utopie. Ainsi, on fera déclasser cette perception d’une qualification à caractère psychologique confuse qui, du reste, constitue un fourre-tout, à une qualification à caractère physico-chimique contrôlé à faible risque mais non nul, bien entendu, les règles en vigueur en matière de préservation de l’intégrité des puits étant observées au mieux et les produits et technologies utilisés répondant aux standards actuels en la matière. Le fait de louer l’énergie solaire comme une alternative d’avenir masque ses effets pervers en amont qui sont tout aussi sévères pour l’homme et la nature que le gaz de schiste et l’énergie nucléaire. En effet, l’industrie du silicium à la base des nouvelles technologies est aussi néfaste pour le système Terre dans toutes ses composantes à l’analyse des maillons de la chaîne de production des composants électroniques à base de silicium que ce soit au niveau des carrières d’extraction de sable (pollution atmosphérique, atteintes au paysage, érosion et impacts sur la santé humaine) ou de l’étape de production qui nécessite différents produits chimiques (rejets d’effluents chimiques toxiques, de gaz dopants,…) conjugués à la consommation d’importantes quantités d’eau et d’énergie. L’on voit donc que toutes les industries génèrent des gains mais au prix de la dégradation d’une partie de l’environnement. Développer une nouvelle ressource énergétique appelle des principes de précaution et un élan de recherche permanent pour améliorer son efficacité et réduire à chaque fois un peu plus ses impacts environnementaux dans toutes les étapes de sa production. Des alternatives à la fracturation hydraulique pour en limiter les impacts et préserver la ressource hydrique et la nécessité d’une estimation fiable des réserves récupérables Les techniques alternatives de fracturation comme perspectives prometteuses pour un gaz de schiste propre Depuis que l’exploitation du gaz et pétrole de schiste est entrée en jeu, la mise au point de techniques alternatives de fracturation a été au centre des préoccupations de la recherche scientifique. L’intérêt principal de celles-ci réside dans la réduction de l’utilisation de l’eau et des additifs chimiques mais la réalisation d’un forage pour le drain horizontal et l’injection d’un fluide pour l’ouverture et le maintien des fissures demeurent nécessaires. Au-delà du souci environnemental, l’utilisation d’un fluide autre que l’eau dans les techniques alternatives est d’ordre technique et vise le maintien de l’intégrité et de la performance du puits. Dans certains types de formations géologiques, comme l’argile, l’eau peut abîmer sérieusement le puits et réduire l’efficacité de l’extraction des hydrocarbures. L’eau n’est pas non plus naturellement compatible avec les hydrocarbures, ni un bon vecteur pour les agents de soutènement, d’où la nécessité d’additifs chimiques. Par ailleurs, la rareté de l’eau et les conditions extrêmes des régions froides, rendent parfois son usage impossible. L’usage de fluides chimiquement compatibles avec la ressource recherchée, la réduction de l’usage de l’eau et d’additifs chimiques constituent autant de contributions positives à la préservation de la qualité de l’environnement dans le développement du gaz de schiste. C’est dans cette perspective que d’autres fluides ont été testés en substitution à l’eau, tels que le gaz de pétrole liquéfié (GPL, propane), les mousses d’azote (N2) ou de dioxyde de carbone (CO2) et l’azote ou le dioxyde de carbone liquides. Les fluides utilisés sont alors dits énergisés. Plus récente, l’extraction exothermique non hydraulique ou fracturation sèche utilise l’hélium, un gaz rare et inerte. Injecté sous forme liquide dans la roche, il devient gazeux sous l’effet de la chaleur naturelle de la formation et voit son volume augmenter notablement permettant ainsi une fissuration pneumatique de la roche. Cette technique évite l’usage d’additifs chimiques et réduit le volume d’eau ainsi que les effets polluants des fluides de fracturation. A priori, c’est une technique qui peut ouvrir de nouveaux horizons à une extraction propre du gaz de schiste respectueuse de l’environnement et pourrait se généraliser progressivement une fois sa mise au point totale réalisée. Elle est déjà testée dans un gisement au Mexique et pourrait être intéressante pour notre pays. Non moins intéressante, la technique de fracturation au fluoropropane ne nécessite pas l’ajout d’adjuvants chimiques et de gaspillage d’eau et se prête facilement au recyclage. La pollution en subsurface est limitée mais, en cas de fuite, le risque de pollution en surface est présent, le fluoropropane rentrant dans la catégorie des gaz à effet de serre mais sans toxicité pour l’homme. Cette technique n’a pas été mise à l’épreuve pour le moment mais elle reste prometteuse. D’autres pistes moins connues ne nécessitant pas l’injection directe de liquide, notamment l’eau, sont également à l’étude. C’est le cas de la fracturation par arc électrique, qui consiste à créer des fissures dans la roche à l’aide d’une onde produite par effet électrique et peu d’eau. Cette technique ne nécessite pas d’adjuvants chimiques mais elle a besoin d’installations conséquentes pour la grande production d’électricité, ce qui ne facilite pas sa mise en œuvre dans les zones particulièrement isolées. La firme à l’origine de cette technologie n’arrive pas à la rendre concluante comme elle n’a pas identifié toutes ses conséquences sur l’environnement. Enfin, la fracturation par procédé thermique suscite l’intérêt des pétroliers. Elle consiste à chauffer artificiellement la roche pour que la maturation du réservoir se termine. Avec l’écart de température, la roche se déshydrate, puis se rétracte et se fissure. Ce qui pourrait permettre au gaz de schiste de se libérer. Mais là encore le problème de chauffage nécessite de l’électricité ou un autre procédé de production de chaleur. Les réponses aux impacts environnementaux ne sont pas encore élucidées. On voit que la recherche avance relativement bien dans la conception de nouvelles méthodes toutes aussi performantes que la fracturation hydraulique et avec moins d’impacts sur l’environnement. Ainsi, nous sommes en présence de pistes prometteuses qui, une fois à point, sont susceptibles d’être mises en œuvre à titre exploratoire en Algérie, surtout que les fluides utilisés ne présentent pas de danger majeur d’inflammabilité et restent abondants dans l’atmosphère. Cependant, quelles qu’elles soient, les techniques d’extraction ne constituent pas le maillon faible de l’exploitation du gaz de schiste tant que nos connaissances technologiques sur l’extraction restent limitées. Aujourd’hui, on sait fracturer la roche sur un rayon de 2 à 4 km, ce qui veut dire qu’un puits occupe environ 1 hectare mais on ne peut en puiser radialement les hydrocarbures. Par ailleurs, la durée de vie d’un puits est de quelques années, sa performance baissant de 40% et 50% durant les deuxième et troisième années, d’où la nécessité de forer continuellement de nouveaux puits pour maintenir le niveau de la production. Cette densification peut conduire à une forme de « mitage » du paysage et à la perturbation des écosystèmes, autre inconvénient de l’exploitation du gaz de schiste sur lequel la recherche doit encore se focaliser. Cela étant, on devrait privilégier la confiance et la sérénité en allant vers une maîtrise des technologies d’exploration et d’exploitation du gaz de schiste par la formation et la recherche par nos propres compétences, seule et unique voie garante de la maîtrise du risque et du respect de l’environnement sur la base du principe : on ne peut être mieux servi que par soi-même. Cette voie ne peut s’accommoder de la démarche prônée jusqu’ici qui consiste à confier l’exploration et l’exploitation à des entreprises étrangères souvent peu soucieuses des impacts environnementaux de la ressource. Comme il est capital de continuer les études exploratoires en vue d’une évaluation plus rigoureuse des réserves en fonction de la spécificité du contexte géologique de notre sous-sol en vue d’envisager la durabilité et les coûts de l’exploitation en évitant de la focalisation sur des sites idéaux pouvant biaiser cette évaluation et nous mener sur un optimisme démesuré et des lendemains illusoires.

(A suivre…) I. A. Z.

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