Recentrer les débats à leur juste valeur (5ème partie)

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Dans le gisement de Marcellus en Pennsylvanie, la compilation des données officielles relatives aux hydrocarbures non conventionnels pour la période 2010-2013, révèle un taux d’échec des puits de 3 à 6% dans les trois premières années de leur durée de vie. De manière plus générale, les agences de régulation confirment 116 cas de contamination d’eau de puits en relation avec des activités de forage de gaz de schiste en Pennsylvanie, l’Ohio et la Virginie de l’Ouest, pour ces dernières années. Enfin, l’analyse de l’eau d’un échantillon de 127 foyers du site de Fayetteville en Arkansas, n’a relevé aucune forme de contamination dans la région. L’un des défis majeurs à relever dans le problème de la contamination des ressources hydriques est la maîtrise des eaux usées produites lors des activités de forage. Aux USA, celles-ci en génèrent près de 8 millions de m3 par jour! Les déchets de carottage et les eaux usées produits lors de l’exploration, le développement et la production d’hydrocarbures sont classés dans la catégorie des déchets spéciaux, exclus de la réglementation fédérale sur les déchets dangereux. Les eaux usées provenant de l’exploration du gaz et du pétrole sont généralement classées comme eaux de reflux et eaux produites ! Les eaux de reflux consistent en des fluides qui retournent en surface après l’étape de fracturation hydraulique et avant le début de l’étape de production, principalement durant l’opération de complétion du puits. Elles représentent 10 à 40% du volume de fluides injectés pour la fracturation et des additifs pompés sous terre qui remontent en surface mélangés aux eaux naturelles salées des formations ciblées. Les eaux produites représentent les fluides qui affluent en surface en cours de production. Elles reflètent principalement le chimisme et la composition des eaux et des fluides capillaires des formations profondes. Elles sont salées à hyper-salées (35 à 200 g/l) et contiennent parfois des composés toxiques de baryum, d’arsenic et de radium radioactif. Les eaux usées issues de la fracturation hydraulique sont éliminées de diverses manières, mais l’injection souterraine profonde est à plus de 95% le mode d’élimination le plus utilisé aux USA. Ce sont des millions de m3 d’eaux usées qui sont éliminées quotidiennement par ce procédé. En revanche, l’injection des eaux usées en profondeur n’est pas autorisée en Europe à moins qu’elle ne serve à améliorer la récupération de pétrole et de gaz. Aux USA, les eaux usées peuvent être confiées à des centres de traitement privés, ou sont de plus en plus recyclées et réutilisées. A titre d’exemple, en 2011, 56% des eaux usées issues du site de Marcellus en Pennsylvanie, sont recyclés alors que les 44% restants sont confiés à des centres privés dotés d’installations de pointe pour leur traitement, notamment le dessalement, atteignant des taux de recyclage de 90%. D’autres formes d’éliminations, en particulier dans le secteur agricole, pouvant porter atteinte à l’environnement sont de moins en moins tolérées, voire interdites. Evidemment, il existe toujours des manquements et l’on doit noter deux sources potentielles pouvant être à l’origine du risque de contamination de l’eau potable par les eaux usées qui sont : (a) les fuites et les déversements en surface à partir des puits et des bassins de stockage, (b) le traitement inapproprié avant le rejet. Toutefois, l’expérience montre que le taux des déversements ne dépasse guère 0.5% des puits en activité sur de grands sites connus pour leur forte densité en puits de gaz de schiste. Estimé à 3.8 milliards de m3 par an, le volume d’eaux usées issu de l’exploitation des hydrocarbures constitue une préoccupation majeure dans le management de l’environnement aux USA, mais les mesures mises en œuvre réduisent énormément les risques à tous les niveaux. Dès lors, si les procédures appropriées sont bien respectées par les opérateurs, il n’y pas de raison pour que les additifs chimiques se retrouvent dans les eaux souterraines. Pour revenir au cas du Sahara algérien, il est évident que l’exploitation du gaz de schiste doit tenir compte de l’extension géographique et de la profondeur des aquifères du Continental Intercalaire, du Complexe Terminal et du Turonien qui interférent avec celles des bassins visés par l’exploration du gaz de schiste. Pour rappel, le Continental Intercalaire dont les réserves sont estimées à 20 000 milliards de m3 est l’aquifère le plus profond (jusqu’à 2000 m ou plus) confiné dans les formations gréseuses de l’Albien, surmonté par le Complexe Terminal moins étendu qui dépasse rarement les profondeurs de 500 m à l’est notamment, et renferme plus de 11 000 milliards de m3. Ces deux aquifères à épaisseur variable et à configuration spatiale complexe surmontent en grande partie les formations du Cambrien, de l’Ordovicien, du Silurien et du Frasnien où gît l’essentiel des réserves des hydrocarbures non conventionnels (tight sand gas, ultra tight sand gas et shale gas) ciblées par le développement. En général, la géologie montre une protection naturelle de ces réservoirs aquifères par la présence de murs et toits imperméables ou semi-perméables limitant leur vulnérabilité aux interconnexions et à d’éventuelles intrusions de fluides polluants, excepté bien entendu pour les affleurements en surface et les zones faillées pouvant constituer des voies potentielles. Il est évident que les énormes besoins en eau nécessaires au développement du gaz de schiste ne doivent exercer ni pression ni menace sur les capacités de ces principaux aquifères, en ce sens que les besoins en eau pour la fracturation peuvent être satisfaits par des puisages en nappes plus profondes telles que celles du Néocomien, du Jurassique ou du Trias, moyennant probablement des traitements appropriées pour les rendre moins agressives et corrosives pour les équipements de forage et de fracturation. Cette condition doit être mentionnée comme exigence et obligation dans les cahiers des charges et les contrats d’exploration avec les partenaires retenus, même si cette clause risque d’induire une légère incidence sur les coûts d’exploitation. En matière d’impacts sur les eaux souterraines, la traversée des formations aquifères par les forages verticaux, leur contiguïté verticale avec les formations de gaz de schiste moyennement profondes (Frasnien et Silurien) peuvent favoriser des croisements avec les fluides de fracturation ou de reflux et donc les risques de pollution par les additifs chimiques ou les eaux des formations ciblées. D’où la rigueur à observer dans le respect le plus total de l’intégrité des puits de forage par la mise en œuvre de travaux de cimentation et de tubage de qualité garantissant au mieux l’étanchéité des puits à tout moment. Ces opérations doivent faire l’objet de contrôles accrus par des organes d’observation et de surveillance indépendants dans le respect des normes et standards spécifiques rappelés dans les cahiers des charges et les contrats. D’un autre côté, il est vrai que les formations à forte valeur de tight sand gas et d’ultra-tight sand gas du Cambro-ordovicien et du Dévonien se situent à de plus grandes profondeurs (4000 voire 6000 m) et les risques d’interférences avec les aquifères du Continental Intercalaire et du Complexe Terminal sont plus faibles, les voies de communication étant plus réduites, mais ce n’est pas le cas des formations siluriennes et frasniennes qui renferment des proportions importantes de minéraux argileux et nécessitent des précautions particulières pour l’encastrement d’agents de soutènement et de compatibilité des fluides de fracturation. Dans tous les cas, les procédures appropriées de préservation de l’intégrité des puits, doivent être scrupuleusement observées, notamment dans les zones faillées pouvant constituer autant de voies de migration et d’intrusion des fluides et des additifs chimiques en cours de fracturation ou d’injection des eaux usées en profondeur. L’exploitation du gaz des hot shales du Frasnien et du Silurien des bassins algériens étant plus délicate en termes de risque, en raison de leurs spécificités physico-chimiques et géologiques, leurs eaux de reflux doivent subir un traitement en conséquence et être réinjectées en profondeur afin d’éviter les risques d’épandage et de contamination en surface. Il en découle que des règlements et des normes spécifiques doivent être élaborés sous forme de cahiers des charges à respecter scrupuleusement par les différentes parties sous le contrôle d’organes de régulation indépendants ou mixtes en fonction des particularités géologiques des formations ciblées et des aquifères en présence mais aussi des pratiques de fracturation et des chimismes en place et à utiliser lors des opérations d’exploration et d’exploitation du gaz de schiste dans notre pays.

(à suivre) I. A. Z.

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