Recentrer les débats à leur juste valeur (7ème partie)

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Impacts de l’exploitation du gaz de schiste sur la qualité de l’air

En plus des risques d’impacts sur la qualité des eaux souterraines et de surface, de la réduction des quantités importantes d’eau consommées, de la sismicité induite, on doit envisager la problématique des impacts et de la réduction des émissions de gaz préjudiciables à l’atmosphère et à la santé humaine dans le cadre du développement des hydrocarbures non conventionnels. Leur extraction à partir des formations géologiques de faible perméabilité appelle toute une chaîne industrielle émettrice de polluants atmosphériques dans pratiquement chacun de ses maillons. Comparée à l’extraction de ressources conventionnelles, celle des hydrocarbures non conventionnels exige une plus grande densité de puits (environ 10 puits au km2) et une cadence de forage soutenue pour maintenir le niveau de production en raison du déclin relativement rapide de la performance des puits au cours du temps. Du fait du caractère continu des opérations de forage pendant des décennies dans une région donnée, les émissions de gaz divers par toute la machinerie impliquée dans les phases du développement, épousent aussi un caractère continu dans le temps. Mais quelque soit le niveau de ces émissions, il n’en demeure pas moins que le remplacement du charbon par le gaz naturel dans la production de l’énergie participe à une réduction substantielle des émissions de CO2 (environ de 50%), des particules fines, d’oxydes d’azote NOx, d’oxyde de soufre SO2 et d’autres éléments toxiques tels que le mercure associés à la production d’électricité. Une étude scientifique récente dresse un aperçu objectif des impacts du développement des hydrocarbures non conventionnels sur l’atmosphère. Elle note que les émissions des polluants volatiles débutent déjà avec les travaux de réalisation des infrastructures de production, de la préparation de la plateforme de puits jusqu’à la construction des pipelines, des stations de compression et des centres de traitement. L’apprêtement de ces infrastructures diverses incluant la construction des voies d’accès, l’aménagement des sites d’exploitation et les opérations de forage génère des émissions de CO2, de particules fines, de NOx avec le fonctionnement des engins et équipements au diésel. Le processus de complétion d’un puits dure quelques jours à quelques semaines selon la complexité de la procédure et un à deux mois pour plusieurs puits autour d’une même plateforme. Des moteurs, pompes et générateurs très puissants alimentés au diésel sont mis en œuvre pour pomper l’eau, les agents de soutènement et les additifs chimiques en subsurface durant la fracturation hydraulique. Durant cette étape, du gaz naturel et du pétrole commencent à affluer vers la tête de puits accompagnés par l’eau et les additifs utilisés pour fracturer la roche. Evidemment, les pratiques de complétion diffèrent d’une région à l’autre et d’une société à l’autre. Parfois les eaux qui affluent en tête de puits sont pompées directement et stockées dans un bassin ouvert sur site à partir duquel peuvent s’échapper dans l’air environnant du méthane et des composés organiques volatiles (COVs ou VOCs). Cependant, les mélanges fluides qui remontent du puits sont de plus en plus stockés dans des réservoirs fermés ou ouverts dont les vapeurs sont brûlées ou lâchées dans l’atmosphère avec ce que cela sous-entend comme incidences sur la qualité de l’air local, notamment là où le climat est pluvieux et humide. Une fois les étapes de stimulation et de complétion d’un puits non conventionnel achevées, les opérations de production restent similaires à celle de l’extraction des hydrocarbures conventionnels. Les émissions possibles durant la production et le traitement (déshydratation et séparation) englobent les fuites de gaz naturel, de vapeurs d’huiles à partir des équipements, les lâchers intentionnels d’éléments volatils à partir des réservoirs de stockage d’huile et des eaux produites, et les produits de la combustion incomplète durant le torchage. Evidemment les émissions fugitives reflètent la composition du gaz produit incluant les GES (méthane), des proportions variables de VOCs, des aromatiques comme le benzène et d’autres polluants comme le toluène, et parfois des contaminants comme H2S. Le gaz naturel produit à partir d’un puits de gaz dit humide sera plus riche en VOCs que celui produit à partir d’un puits de gaz sec. Il ne faut pas omettre également la contribution des émissions engendrées par les compresseurs alimentés au gaz naturel, les centres de compression et les unités de combustion qui produisent leur part de CO2, CO, NOx, VOCs, particules fines, hydrocarbures aromatiques, SO2 et H2S. Les expériences montrent qu’un bon nombre de sites présente des volumes d’émissions fugitives relativement faibles mais, lorsque celles-ci sont prises à l’échelle régionale sur des milliers de plateformes, elles peuvent conduire à des quantités substantielles pouvant impacter la qualité de l’air. Il est donc important de contrôler au mieux toutes ces fuites et d’en réduire les quantités produites toutes les fois que cela est possible pour en limiter les impacts sur la qualité de l’air et la santé des populations proches des périmètres d’exploitation. Pour évaluer les impacts des énergies non conventionnelles sur l’atmosphère tant à l’échelle locale que globale, les managers de la qualité de l’air doivent disposer d’informations sur la composition, le volume et les sources à l’origine des émissions. Deux approches sont utilisées : (1) inventaires des émissions et leur modélisation ; (2) mesures atmosphériques. Les inventaires des émissions s’appuient généralement sur des profils de composition chimique pour estimer les émissions totales de VOCs à partir de catégories de sources individuelles dans un champ de production donné. Ces profils moyens sont dérivés d’un nombre restreint d’analyses de la composition du pétrole et gaz naturel locaux bruts ou de condensat liquide, de modèles de compositions chimiques des vapeurs émises dans les déshydrateurs et les réservoirs de stockage de pétrole ou condensat liquide, ou encore, des profils d’émissions par défaut des échappements de moteur fournis par l’EPA ou d’autres sources. A l’opposé de ces estimations à caractère général sur la base d’inventaires, des mesures détaillées de la composition chimique de l’air dans les bassins de pétrole et de gaz naturel sont de plus en plus pratiquées. Ce sont mesures qui ont révélé des concentrations accrues de méthane, de plus de 20 autres hydrocarbures et de substances toxiques atmosphériques autour des sites de production d’huiles et gaz non conventionnels aux USA. Ces dernières incluent parfois du H2S, du méthanol, des alcanes à poids moléculaire élevé, des composés suspectés à l’origine de cancers ou d’autres effets sur la santé et des aromatiques dont les BTEX (benzène, toluène, éthyle-benzène et xylène). Dans la contrée de Garfield du Colorado, l’analyse d’échantillons d’air a permis de détecter cette catégorie d’hydrocarbures potentiellement toxiques dans un périmètre de moins de 150 m autour des plateformes de puits durant les opérations de reflux. Ces concentrations ont été attribuées aux émanations de gaz en provenance d’eaux de reflux stockées dans des réservoirs ouverts. Si l’on se fonde sur les données de l’industrie de 2006, la fraction volatile brûlée ou lâchée dans l’air et due à la production de gaz naturel dans les territoires fédéraux des USA est estimée entre 0.34% et 5%. En Pennsylvanie, les estimations des émissions de NOx, VOCs, particules fines et SO2 à partir du développement de gaz de schiste sont mal contraintes et varient d’un facteur de 2 à 5 entre sites. Toutefois, les centres de compression alimentés au gaz naturel espacés de 80 à 160 km sont considérés comme les plus grandes sources d’émissions des polluants liés aux activités de pétrole et gaz en Pennsylvanie (>80% des VOCs, >50% des NOx, >60% des particules fines et 0 à 60% de SO2). Dans le bassin du Denver, dans le Colorado, l’inventaire officiel rapporte que plus de 6000 réservoirs de stockage de pétrole et condensat sont responsables de plus de 70% des émissions de VOCs issus de toutes les sources locales. En pratique, on utilise un calcul empirique pour quantifier les émissions en cours sur la base du volume d’hydrocarbures extrait en barils que l’on multiplie par un certain nombre de coefficients. Ce volume est dans un premier temps multiplié par le principal facteur dit d’émissions incontrôlées issu d’un modèle de 2002 et dont la valeur est de 6.2 kg par baril de pétrole ou de condensat produit. Le résultat obtenu est ensuite multiplié par quatre coefficients : le facteur d’efficience du torchage (95%), le facteur de pénétration de la règle dans la région (92.56%) qui mesure la fraction des opérations où sont mises en œuvre les mesures d’atténuation prévues, le facteur d’efficacité de la règle (80%), le facteur d’efficacité du captage (75%, 25% des vapeurs sont lâchées dans l’air). Mais l’efficacité de cette méthode reste modeste : en mai 2012, des mesures aériennes donnent des valeurs pouvant aller au double des estimations empiriques des émissions de VOCs dues aux activités du pétrole et gaz dans le bassin du Denver. Aux USA, les émissions totales de méthane associées à l’extraction du gaz naturel à l’échelle régionale et nationale demeurent incertaines et font l’objet de recherches. Les estimations officielles par l’EPA, donnent des taux annuels fluctuants sur la décennie écoulée, se situant entre 0.2% et 1.5% de la production nationale brute. Sur la base de mesures directes effectuées sur 190 sites de production de gaz répartis à travers les Etats-Unis, le taux national des émissions a été estimé à 0.42% de la production totale brute en 2011, légèrement inférieur au taux estimé par l’EPA (0.49%) en 2013. On a trouvé que les fuites au niveau des équipements et des dispositifs pneumatiques sur les sites de production constituaient les principales sources de méthane dans les opérations de production à l’échelle nationale. A l’opposé de ces mesures d’émissions ascendantes et aux estimations basées sur des inventaires, des mesures atmosphériques récentes par des méthodes aéroportées et sur de hautes tours, donnent des taux de fuite plus grands pour deux bassins de production de l’ouest des Etats-Unis. Dans le bassin de l’Uinta, on estime que 55000 ± 15000 kg de méthane s’échappe dans l’atmosphère chaque heure, ce qui correspond à un taux de 6.2 à 11.7% de la production totale de gaz naturel dans la région alors qu’un taux de 4% est estimé pour le bassin du Denver. On voit bien que ces taux sont supérieurs à celui fourni par l’EPA en 2013 pour tous les systèmes de gaz naturel des puits jusqu’aux utilisateurs finaux. Nonobstant, il est à noter que le développement du gaz de schiste a l’avantage de diminuer les émissions de certaines substances polluantes, en particulier lorsqu’il est utilisé pour la production de l’énergie. Il est pratiquement admis que le gaz brûlé pour produire de l’électricité ne génère que la moitié de la quantité de CO2 libérée par la combustion du charbon pour le même but. Du coup, si les fuites de gaz sont maîtrisées et minimisées, les gains en termes de GES seront substantiels, notamment en tant que probable pont vers de futures énergies renouvelables. Approximativement, ce sont 1 à 3 kg de NOx et 2 à 10 kg de SO2 par Mégawatt-heure produit qui sont émis par les centrales électriques au charbon et qui seront évités si celles-ci étaient alimentées au gaz naturel. Par ailleurs, au lieu de pratiquer le torchage des gaz lors de la phase de complétion, il est possible de les récupérer et de les envoyer dans les circuits de vente après l’opération de séparation eau/gaz dans les réservoirs de stockage des eaux de reflux. C’est ce que l’on a convenu d’appeler « la complétion verte » qui devrait être mise en œuvre sur tous les puits à partir de 2015 aux USA. Cette opération limitera les rejets de gaz dans l’atmosphère, et particulièrement le méthane, et contribuera à la réduction partielle des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

(A suivre…) I. A. Z.

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