5 Octobre 1988, 5 Octobre 2008

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Par Maître Ali Yahia Abdennour

La politique intransigeante du Pouvoir a porté les fruits de la violence avec le 20 Avril 1980, l’arrestation des dirigeants islamiques, le maquis de Bouyali, le procès des dirigeants de la LADDH et des enfants de martyrs de la Révolution, l’agitation dans les mosquées, les stades, les universités, le prix très bas du baril de pétrole, le chômage très élevé, la dette extérieure très importante, l’affaire Mecili… Les violences policières sont entrées dans l’ère du quotidien. L’impunité est la règle. L’humiliation une fois vécue et acceptée, prépare à subir d’autres, à obéir et à se taire en toutes circonstances, à ne plus pouvoir vivre et penser qu’en aliéné.

Le peuple algérien dévoré par son Etat a le sentiment que la politique nationale, la vie politique, telles qu’elles sont gérées, se font au dessus de lui, sans lui et contre lui. Ceux qui monopolisent le pouvoir, trouvent qu’il n’est pas bon de le partager, ni de l’éclairer, n’écoutent personne, croient tout savoir, n’avoir rien à apprendre, mais tout à enseigner. Ils ont besoin pour durer de bafouer les règles les plus élémentaires de la démocratie, d’exercer une répression qui a tendance non pas à régler les problèmes, mais à éliminer ceux qui les posent, à supprimer les contradictions en éliminent les contradicteurs.

Le divorce est entre le peuple dépouillé de ses droits et le FLN, parti unique, qui est supposé le représenter et parler en son nom pour l’empêcher de parler.

L’année sociale 1988 s’annonce morose et même pleine de périls. Une réaction populaire profonde est au bout du chemin.

I- Les événements du 5 Octobre 1988

Je m’incline une nouvelle fois avec émotion indicible, devant la mémoire des victimes d’Octobre 1988, et représente 20 ans après mes condoléances les plus attristées à tous les membres de leurs familles, avec l’expression de mon profond respect.

Les événements d’octobre 88 découlent d’une lutte de clans exaspérée au sein du pouvoir. C’est à l’intérieur de ce dernier que se déroule à huit clos, secret, rude, le plus dur des combats, entre deux tendances divergentes, contradictoire, l’appareil du FLN pour lequel la vie politique est conçue avec un seul objectif, pérenniser le système politique en place depuis l’indépendance du pays, et la présidence de la République avec les partisans de l’ouverture contrôlée du libéralisme. Le FLN, dont l’UGTA est une de ses organisations de masse, a incité discrètement les 18000 ouvriers de la zone industrielle de faire grève, qui s’est étendue à tout le pays, bien que sachant que c’est l’armée qui est au pouvoir, et qu’il n’est que l’instrument de sa domination. En Algérie, qui détient l’armée tient le pouvoir.

Pour camoufler les rivalités et les divergences stratégiques au sommet de l’Etat, le pouvoir a déclaré le parti d’avant-garde socialiste(P.A.G.S) qui avait infiltré de nombreux syndicats, responsable de la tragédie, et a procédé à de nombreuses arrestations de ses cadres et militants. Cette déclaration est de toute évidence contraire à la réalité des faits. La rue disponible qui ne supporte pas le vide, est occupée par les jeunes qui ont détruit de nombreux symboles du pouvoir. Ce dernier sous-estimant la profondeur du mécontentement et du désespoir des jeunes, en particulier l’exaspération de ceux sans débouchés, en rupture d’école et de travail, flottant entre petits boulots aléatoires et les combines inavouables, qui se posent avec angoisse la question relative à leur avenir, et celui de la société, a vu leur irruption brutale dans la rue. La coupe est pleine, c’est le ras-le-bol, car les jeunes ne peuvent aller plus loin dans la démission et la soumission.

L’explosion populaire du 5 Octobre 1988, s’inscrit dans la mémoire collective du peuple algérien, comme une rupture du pays légal avec le pays profond, un cri de colère et de désespoir d’une jeunesse stressée, flouée, soufrant du double syndrome d’exclusion et de frustration, longtemps drapée dans le silence, en accusations muettes, qui refuse un pouvoir centralisé, bureaucratique, dictatorial. Elle clame par sa descente dans la rue, sa volonté de mettre fin aux entraves à ses droits et à sa liberté, par la mise en œuvre de la démocratie et des droits de l’Homme.

L’état de siège décrété par le président Chadli Bendjedid le 6 octobre 1988 a placé sous le commandement militaire, les Forces de sécurité et toutes les autorités civiles et administratives. Chaque jour apporte une sinistre moisson d’outrages à la dignité humaine qui est plus chère que la vie. Quand l’homme est humilié, il oublie qu’il est habité par la vie et il la risque. La ligne, rouge celle du sang, a été franchie par les militaires, les gendarmes et les policiers qui ont tiré avec des armes de guerre sur des enfants, des adolescents, des jeunes et des moins jeunes, qui n’avaient comme défense que leurs mains nues.

Pour le pouvoir la répression doit être sans pitié afin d’être efficace, menée dans le plus grand secret, en dehors des fondements essentiels de l’Etat de droit, des lois et des droits de l’Homme. Les violations des droits de l’Homme ont été à grande échelle, systématiques, massives. Le pouvoir a avoué 500 morts, le double est à retenir. La torture est de notoriété publique, généralisée. Défendre les droits de l’Homme, c’est en premier lieu dénoncer la torture, dont l’interdiction doit être immédiate, globale, efficace. De nombreux témoignages des victimes sont bouleversants, difficiles à supporter. Une manifestation islamique dirigée par Ali Benhadj, dispersée au niveau du Siège de la DGSN à Bab el Oued a fait 10 victimes.

Au nom de la sécurité, les libertés ont été altérées et aliénées. Il faut naviguer au milieu des vents violents, et faire face à la tempête, condamner les atrocités commises et les horreurs perpétrées.

La LADDH s’est fixée un devoir, une obligation et une règle, parler et écrire pour dénoncer les arrestations arbitraires, la torture, les camps de travaux forcés dans le Sud du pays, diffusés par la télévision. Marcherait-on à ce point sur la tête en Algérie ? J’ai été convoqué par le général Mohamed Betchine qui venait d’être désigné à la tête de la sécurité militaire par le président en remplacement du général Lekhal Ayat. Trois raisons sont supérieures à la raison d’Etat : celle du droit contre l’injustice, celle de la liberté contre la tyrannie, celle de l’humanité contre la barbarie.

Les intellectuels dans leur grande majorité ont renoncé à leur rôle de critiques et d’analystes rigoureux, pour servir de simples relais et d’instrument du pouvoir. Qui sait flatter sait aussi calomnier. Les médias tous publics, la télévision, et la radio et la presse en particulier, ont diffusé non pas l’information mais la propagande, règle totalitaire, qui a pour but de manipuler l’opinion publique considérée comme étant passive et perméable aux principes idéologiques et doctrinaux du pouvoir qui justifient la dictature.

La justice ne contrôle pas la police politique, qui a le pas sur elle. Il faut compter avec la sécurité militaire, bien rodée, d’une redoutable efficacité. Pour qui la fin justifie les moyens ; elle détient l’essentiel des leviers de la justice, pèse d’un poids démesuré sur son fonctionnement et sur ses décisions. Les tribunaux et Cours de justice, ne sont pas des lieux où la justice est rendue, mais des instances politiques où le pouvoir juge ses adversaires.

II- L’après-Octobre 1988

Quel regard peut-on parler sur l’après-Octobre 1988 ? Je ne propose pas une solution mais un élément de réflexion. Il faut avancer en regardant devant vers l’avenir et laisser au temps le soin de découvrir toute la vérité sur Octobre 1988.

La meilleure façon de commémorer Octobre 88, c’est d’attirer l’attention sur les tâches qui ne sont pas accomplies par manque de direction ; pour certains le 5 Octobre a été une vague, mais une fois que la marée s’est retirée, il n’est resté que des pierres. L’action menée était en effet dispersée, n’a pas été plus soucieuse de rigueur et de cohérence, mais a ouvert malgré ses faiblesses un espace politique qui a profité au peuple. La politique menée est ouverte sur le mouvement du temps, dispose d’une peine liberté de conception, d’expression, et d’initiative, a obtenu des résultats concrets et peut en espérer d’autres ; lorsque des jeunes manifestent pour retrouver le chemin de la dignité et de la liberté, luttent pour sortir le pays de l’arbitraire, de l’injustice et de la corruption, c’est que rien n’est perdu et que l’espoir est permis ; tout pouvoir a besoin d’être contesté ; il ne peut être que contesté de l’extérieur et non transformé de l’intérieur. Le pouvoir a compris que la réforme de la société n’est possible que par la démocratisation, d’où : la Constitution du 23 Février 1989, la ratification des pactes internationaux des droits de l’Homme de 1966, reconnaissance d’associations à caractère politique (A.C.P) et d’associations autonomes, la liberté de la presse.

Allons dire un jour que le pire est derrière nous, et que le meilleur est devant ?

Le peuple algérien ne peut vivre dans la dignité, la justice et la liberté, car il n’y’a pas de justice sans liberté, ni de liberté sans justice, que s’il a acquis ses droits humains, qui sont l’un des rares lieux privilégiés de rencontre des Algériens de tous bords, l’ultime valeur à défendre.

La devise dans la voie du devoir nous rappelle constamment que les droits de l’Homme reviennent de loin en Algérie, mais qu’ils ont encore un long chemin à parcourir, et qu’il faut être plus sensible, plus motivé, plus déterminé à poursuivre la route à faire qu’au chemin parcouru.

Me A.Y. Abdennour

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