La veuve et l’ogresse ((Thadjalt d’ teriel)

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Amachahou rebbi ats isel hou, ats ighzif anechth ousarou. (Que je vous conte une histoire, Dieu fasse qu’elle soit belle, longue, et se déroule comme un long fil.)L’instinct maternel de protection des petits est très développé chez les êtres humains, surtout chez les mères. C’est une histoire d’amour maternel que nous allons vous raconter à travers ce conte du terroir. Le récit se passe à l’époque immémoriale où les montagnes et les forêts étaient infestées de bêtes sauvages, d’ogres et d’ogresses — ouaghzen d’ teriel —.Ces bêtes étaient féroces et très dangereuses pour les humains et les animaux qu’ils élèvent : bœufs, moutons, chèvres, poulets, etc. Beaucoup de paysans font les frais de leur voracité. Les animaux sont dévorés dans les champs. En période de disette, les ogres et les ogresses s’enhardissent et font des incursions désastreuses dans les maisons habitées.Quand il n’y a plus d’animaux à se mettre sous la dent, ils s’attaquent aux êtres humains. Mais comme les êtres humains possèdent des armes avec lesquelles ils se défendent, les ogres et les ogresses se métamorphosent en hommes, femmes ou enfants pour pouvoir tromper leur vigilance innée.Cette année-là, il faisait très froid. La neige avait recouvert de son manteau blanc de presque un mètre de hauteur tout le paysage. Les chaumières arquaient sous le poids de la neige. Les animaux sont parqués dans “Adaynine” (écurie familiale) et sont nourris avec “Asaghour” (foin) Les hommes, les femmes et les enfants sont cloîtrés. C’est de cette époque que date le proverbe qui dit :Ametchim ametchimanetch ane quim !Qui veut dire que tant que la neige tombe en flocons, nous restons à la maison et nous mangeons. C’est en quelque sorte, des vacances forcées. L’activité est réduite au minimum. C’est dans ces soirées hivernales que toute la famille, fait cercle autour du Kanoun (âtre) pour se chauffer et écouter attentivement les contes racontés alternativement par les grands-mères ou les grands-pères, avant de s’endormir. C’est dans ce contexte que vit une pauvre veuve dont le mari a été emporté prématurément par la faucheuse qui l’a ravi aux siens à la fleur de l’âge.Il n’avait que trente ans. C’est en gaulant des olives dans un endroit escarpé, par temps de pluie, qu’il a glissé, chuté et s’est fracassé le crâne sur un rocher.Son jeune âge ne l’a pas empêché de laisser à sa veuve éplorée sept enfants, tous en bas âge. Rude tâche pour la jeune veuve. Elever sept enfants sans l’aide de personne n’est pas de tout repos. La jeune veuve ne pouvait espérer un remariage. Ne dit-on pas justement à ce sujet :Thamet’t’outh m-irvivenTharoula ay ih’viven !(La femme qui a des enfants d’un autre lit, vaut mieux la fuir, les amis) ! Se sachant condamnée au veuvage, la jeune veuve fait tout pour élever ses sept enfants du mieux qu’elle peut. Elle travaille chez les gens durant les journées. Elle les aide aux champs en ramassant les figues ou les olives selon les saison. Elle sarcle “Thessessouy” les récoltes en enlevant les mauvaises herbes. A la maison, elle moud l’orge ou le blé, roule le couscous et nettoie les écuries.Le soir venu, elle rentre chez elle et prépare à manger à ses enfants, les produits en nature, qu’on lui a donnés pour la payer.Une fois que ses petits sont dans les bras de Morphée, elle se met en place pour tisser un énorme “Aâlaou ou ah’aïk” grosse couverture, qu’elle mettra très bientôt sur les dos des petits, qui dorment tous ensemble sur des toisons de moutons et à même le sol. Une nuit, alors qu’elle était à l’ouvrage, quelqu’un frappe à la porte de sa hutte. Elle est étonnée, personne ne vient lui rendre visite à cette heure de la nuit. Elle sursaute et se lève pour voir qui c’est !Une vieille femme qu’elle n’a jamais vue lui demande l’hospitalité par ce temps de neige et de froid. Elle hésite un instant, mais devant l’air malheureux de la vieille, elle l’invite à rentrer.Grossière erreur ! La vieille n’était, en fait, que Teriel l’ogresse. Affamée, elle n’a rien trouvé à dévorer. Les animaux sont à l’abri, les femmes, les enfants et les hommes aussi. Elle a fait le guet. Tout le monde s’est enfermé chez soi. Il n’y a de la lumière que chez la veuve. Elle a regardé par les interstices de la chaumière et s’est aperçue avec bonheur qu’il n’y a pas d’homme dans cette mesure. Elle n’a vu que la femme assise devant son métier à tisser et les petits qui dormaient. “C’est l’occasion ou jamais” s’est-elle dit de faire un bon repas pour cette nuit. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle s’est déguisée en vieille femme pour mieux tromper la veuve qui ne se doutait de rien.

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