L’homme à la femme idiote

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Comprenant qu’il vient de faire l’affaire de sa vie, le marchand s’éclipse, prend ses jambes à son cou et laisse sur place toute sa marchandise. Il court chez lui comme un fou. Il a peur que quelqu’un de sa famille ne s’aperçoive de la supercherie. Essoufflé, il regarde de temps en temps derrière lui, pour voir s’il n’est pas suivi. Rentrée chez elle, la femme est heureuse de son acquisition, mais comme sa maison est pleine de plats variés, elle ne trouve pas de place où mettre le nouveau plat. Prise de colère, elle prend un marteau et casse tout, à l’exception du nouveau plat qu’elle compte montrer à son mari.Quand ce dernier arrive complètement fourbu, et trouve les tessons des plats jonchant le sol, il s’écrit : – “Que s’est-il passé ici ?”Elle lui répond et lui dit :- “J’ai brisé tous les vieux plats pour faire de la place à ce nouveau plat, que j’ai acheté avec le trésor caché dans “l’ak’oufi”.- Qu’as-tu fais malheureuse, insensée. On n’a pas idée de faire de telles inepties !Son mari la sermonne sans la frapper. Comprenant un peu tard l’idiotie de sa douce moitié, il lui dit :“Ad’ rouh’agh akem djagh our-d tsou ghalagh Alamma oufigh thamahvoulte am k’em !” (Je vais te laisser. Je ne reviendrai que quand j’aurai trouvé une femme de ton acabit !)Sur ce, il part à l’aventure. Il va durant des jours par monts et par vaux, et rencontre un jour une femme, en train de laver une tête de mouton (bouzelouf) dans une mare profonde au bord d’une rivière. Distraite, elle la laisse tomber dans l’eau. Elle essaye de la saisir en fouillant de ses mains le fond mais en vain. Se grattant la tête, elle semble réfléchir, et soudain se saisit d’une touffe d’herbe et se met à appeler la tête de l’animal, comme s’il s’agissait d’une bête vivante.Etonné l’homme qui a assisté à tout le manège lui dit :- “Je ne comprend pas ce que tu fais, peux-tu me l’expliquer !- C’est bien simple étranger.- J’ai laissé tomber à l’eau la tête de mouton que je nettoyais, pour qu’elle puisse sortir, je suis en train de l’appâter avec de l’herbe son plat favori !”L’homme éclate de rire devant tant d’ingénuité. N’étant pas au bout de ses surprises, elle lui dit :- “Qui es-tu étranger ?- Je suis M’hend Oulakherthe ! (Je suis M’hend D’outre-tombe !)- Si tu viens de l’au-delà, tu as dû sûrement voir ma mère, morte depuis des années !- Je viens à l’instant même de la voir, elle est en guenilles et n’a pas de quoi manger ! Si tu as quelque chose à lui donner, je peux le lui porter.- Justement, j’ai la dot qu’elle m’a donnée, si tu veux la lui remettre afin qu’elle puisse s’acheter des habits et de quoi manger, je vais te la donner !- Donne-la moi tout de suite, car il est l’heure pour moi de rejoindre l’au-delà !”La femme lui remet sa dot.Elle est contente d’avoir accompli son devoir envers sa mère disparue. L’homme prend la poudre d’escampette et disparaît.Quand le mari de la femme flouée rentre à la maison, il la trouve en train de pleurer. Intrigué il lui dit :“Ay ghar akka thets roudh ? (Pourquoi pleures-tu ainsi ?)- Je pleure sur le sort de ma pauvre mère décédée, heureusement qu’aujourd’hui Mh’end oula kherthe est passé. L’ayant interrogé, il m’a dit, qu’elle se trouve dans un dénuement complet, elle n’a rien à manger et n’a pas d’habits.Voulant aider ma pauvre mère, je lui ai remis toute ma dot, qu’il va lui remettre dès qu’il retournera à l’au-delà !- C’est ce qu’il m’a dit, j’ai confiance en lui !”La fusillant du regard, l’homme selle son cheval et se met à la poursuite de l’intrus.Malgré que Mh’and oulakherthe a une longueur d’avance sur son poursuivant, mais marchant à pied, il va vite être rattrapé. Sachant qu’il ne peut lui échapper Mh’end oulakherthe a une idée. Voyant au loin le dangereux cavalier qui risque de l’étriper, il change de direction et se dirige vers lui. Quand le cavalier le croise sur son chemin, il est à mille lieux de se douter que c’est lui qui a floué sa douce moitié. L’homme l’interroge et lui dit :- “Our thez’ridh ara Mh’end oulakherthe (N’as-tu pas vu Mh’end oulakherthe ?)- Je viens de le voir à l’instant, il a traversé ce champ !Mais si tu veux le rattraper, laisse ta mouture ici, tu le rattraperas facilement si tu marches à pied, ton cheval va t’encombrer !”Convaincu l’homme descend de son cheval, lui tend la bride et lui dit, garde-le moi jusqu’à ce que je revienne avec Mh’end oulakherthe.Mh’end oulakherthe lui sourit et lui dit :- “Je ne bougerai pas d’ici, va je t’attendrai, le temps qu’il faudra !”Une fois que l’homme ait disparu de sa vue, Mh’end oulakherthe monte sur le cheval et se met à galoper jusque chez lui.Dès qu’il arrive avec la dot et le cheval, il dit à sa femme :“D’ayen oufigh Thamahvoulte am k’em !- Ça y est, j’ai trouvé une femme de ton acabit, tu n’es pas la seule idiote de ce pays !”“Our kefount eth’houdjay i nou pour kefoun ird’en tsemz’ine. As m-elâid’ ametch ak’soum ts h’em’zine ama ng’a thiouanz’iz’ine. » (Mes contes ne se terminent, comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’Aïd, nous mangerons de la viande avec des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).”

Lounès Benrejdal

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