Des dits de Chikh Mohand

Partager

Par Abdennour Abdesselam :

Après avoir fui dans les montagnes pour échapper à l’invasion des Hillal au 12e siècle, les berbères de Kabylie n’ont presque plus utilisé leur langue en dehors de leurs besoins immédiats. Ces besoins, d’une extrême simplicité et proximité dans des conditions de vie très dures étaient faits essentiellement de travaux de champs, d’élevage de petits troupeaux, de petits commerces, de petites entreprises artisanales pour la transformation archaïque de produits agricoles locaux etc. La langue a continué de se faire essentiellement au contact de ces métiers. Le lot quotidien de la vie était pratiquement le même partout et pour tous. Parvenir à subsister dans un environnement géographique et climatique hostile, ingrat et qui n’était pas fait pour simplifier les choses, était déjà en soit un objectif, l’objectif pour la survivance. En 1867, écrit Tahar Oussedik dans son ouvrage intitulé «1871» : «la misère était grande et la disette hantait tous les foyers. Les réserves de vivres en s’épuisant entraînèrent une terrible famine qui décima la grande Kabylie, les récoltes détruites, les jardins et les vergers saccagés pendant les hostilités étaient à l’origine de la situation dramatique que connaissait le pays au lendemain de la défaite (celle engagée par Lla Fadma n Soummer en 1857). Le manque de nourriture fut cruellement ressenti surtout dans les régions montagneuses où le climat est rigoureux et le sol pauvre. C’est là que fut enregistré le chiffre le plus élevé de personnes mortes d’inanition». Pour Mammeri, le diagnostique est encore plus prononcé et plus poussé. Il écrit dans «l’Opium et le Bâton» que «comme dans tous les villages de la montagne, c’était ainsi depuis des siècles… Contre le monde et ses calamités, contre les maladies, l’ignorance, la faim, le froid, la colère, l’impuissance, la haine et les éclipses, nous n’avions rien à notre portée ; ni la force, ni la science, ni la richesse… Depuis que nous sommes partis de la plaine, nous avons mangé de la farine de glands, porté des tissus de laine hiver comme été eu faim, eu froid, marché pieds nus…». Une foule de poèmes anonymes ont noté cette terrible difficulté à vivre en ces lieux inconfortables. Mais déjà Chikh Mohand avait peint cette situation dans un dit très concentré sur ce choix qu’ont fait les Kabyles entre la vie dans l’honneur quelles que soient les conditions et la vie dans la soumission et qui prend toute sa signification.

En ce sens d’autant que, disait-il: «Ghef nnif i yghelli wadif» (c’est pour l’honneur que nous avons accepté d’endurer autant).

A. A. ([email protected])

Partager