Tagnitt unazur ou la quête poétique

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Contrairement à ce que pensent les plus pessimistes, la chanson kabyle à texte se porte bien ; il suffit de voir le nombre de bourgeons qui fleurissent, à l’image de Zimu, Mohsa, Kaloun, Moh Dako, entre autres.

Brahim Kechad, alias Yiwen Akkenny, en fait partie. Il possède une grande verve poétique même si, à l’image de Si Moh dont il est un fan inconditionnel, il préfère rester dans l’ombre. Chanter, pour lui, n’est pas un gagne-pain, encore moins un moyen de s’enrichir… Chanter, pour lui, c’est comme respirer, c’est un besoin, un besoin vital. L’anonymat lui convient bien… A quoi bon un succès qui fait perdre la tête, qui fait perdre la mesure… Brahim préfère habiter le monde des mots, une demeure qui lui sied bien. En témoigne son album Tagnitt unazur composé de huit titres (Tugdi, Timucuha, Tilisa n wawal, Abrid-ik γer tirga, Akka i d nekkni, Tagnitt unazur, Times γer tayed, Si Muh) dont chacun constitue une pierre de l’édifice poétique. Ne cherchez pas à découvrir sa photo, elle n’y figure pas ; ce sont ses mots, ou plus précisément sa quête à travers eux, qu’il cherche à vous faire partager. Dans la poésie de Brahim Kechad, les mots ne sont pas un simple moyen de transmettre un message mais une quête perpétuelle, car ce sont eux qui révèlent, qui rassurent, qui font peur quand la parole devient silencieuse (Tugdi), ou opaque à l’image de cette opacité qui traverse certains textes, une opacité qui n’est finalement que le signe d’une quête inachevée (Tilisa n wawal). Cette quête est incarnée par la figure du poète (de l’artiste) dans la chanson Tagnitt Unazur (la situation de l’artiste). Conscient du caractère éphémère du monde, le poète choisit la fugacité à la permanence, l’errance à la fixité la folie à la sagesse, l’ombre à la lumière… Il se cache ainsi pour… pleurer la douleur des autres et la misère du monde.

La poésie de Yiwen Akkenny s’écarte des certitudes et s’inscrit dans une interrogation permanente. Le poète est intransigeant à l’égard de la vérité : il faut la dire, même si elle est amère, quitte à en pâtir. Sa préoccupation est ainsi de garder la mesure, quitte à en ressentir les affres. Gaston Bachelard disait : «Le poète est celui qui a le pouvoir de déclencher le réveil de l’émotion poétique dans l’âme du lecteur». Dans le même sillage, Brahim Kechad non seulement réveille l’émotion poétique qui sommeille en nous mais il la maintient en alerte en nous rappelant, dans chaque chanson, que l’âme peut s’user si l’esprit cesse de s’interroger, de s’indigner et d’aller sur les chemins de la poésie…

Amar Ameziane

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