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Les raisons du cœur

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Depuis 1990, Matoub était devenu particulièrement prolifique en chansons sentimentales. Il avait trente-quatre ans. Sur douze chansons produites annuellement, six à huit avaient pour thème l’amour. Qu’est-ce qui fait que le grand poète, connu grâce à ses chansons engagées et son militantisme acharné, bascule subitement dans la chanson sentimentale pour laquelle il réservera, durant les dix dernières années de sa vie, la part du lion ?Si Matoub le militant et chanteur engagé a été projeté sous les feux de la rampe presque dès son entrée sur la scène artistique ; l’autre Matoub, celui qui a chanté l’amour comme nul autre poète ou chanteur kabyle ne l’a fait, n’est connu que par ses fans, par les profanes, ceux qui l’ont suivi depuis la sortie de Tarewla (la fuite), en 1989. C’était la fin d’une histoire d’amour et le début d’une histoire d’amertume. Cette douleur du cœur se prolongera jusqu’à 1997, année durant laquelle Matoub connaîtra enfin l’amour de sa vie : un amour fou auquel le Rebelle n’a pas survécu. Dans les deux albums posthumes, Matoub donne l’impression de s’être réveillé d’un long sommeil sentimental puisqu’il révoque explicitement son ancienne idylle et se livre à fond à une nouvelle rêverie pour laquelle il a consenti tous les sacrifices imaginables. Il le dit, sans détours, lui qui n’en use d’ailleurs jamais, dans la chanson intitulée “Ur shisifara” (Ne te fais pas de soucis) : “J’ai cru avoir aimé, Je me suis trompé”Revenant à son amour naissant, Matoub clame :“A présent que tu es avec moi, nul regret de mon passé”Le déclic dans la carrière artistique de Matoub s’est produit en 1988. Avant cette date, il était un grand chanteur. Après, il est devenu un héros. Et comme tous les héros, il a eu une histoire d’amour faste.En cette année fatidique, Matoub a vécu une épreuve difficile puisqu’il passera de longs mois sur un lit d’hôpital suite aux événements d’octobre 88 et, ironie du sort, c’est durant cette période qu’il est abandonné par celle qui fut son amour pendant de longues années. Cette rupture, le double choc, Matoub en a longuement pâti. Il se mit à composer de longs poèmes où le chagrin d’amour est décrit avec autant de tristesse que de colère. Il est mélancolique car laissé par celle qu’il croyait aimer mais il est surtout furieux, croyant qu’on ne peut jamais se départir de l’être aimée dans les moments difficiles. Il l’exprime dans la même chanson écrite en 1997 :“Qui peut apprécier l’amourAvant de connaître ses souffrancesSous un ciel sans nuageLa récolte est impossible”.Dans le même album, il aborde la même question. Voilà ce qu’il en fit dans le poème intitulé Nezga. “Ensemble, nous supporterons les souffrancesNous ferons face à toute épreuveNous résisterons à tout malheurNotre couleur est un poème Qui rend sagesLes hommes insensiblesIl ne peut s’égarer ou se perdreDans le malheur ou le bonheurLe vrai amour est éternel”

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L’artiste de nouveau amoureux et heureux, n’oublie pas celle qui a été la cause de son déclin. Il lui réserve plusieurs vers. Dans le dernier album toujours, la chanson Ayen ayen n’est autre qu’un adieu. En kabyle, on dit “tuzma”. Qui mieux que Matoub Lounès pouvait remettre à sa place une personne qui a longtemps berné son cœur à défaut de le bercer :“De tes serres tu m’as agrippéEt jeté dans une fosseTu m’as caché la beauté du soleilJe n’en reçois que le feuJe brûle à moëlle fondanteQue, goutte à goutte, tu as extirpé.Du squelette qui désormais m’affuble,Achève-le pour t’apaiser”Il est difficile de cerner l’œuvre poétique d’un poète comme Matoub. Nous tenions simplement à rappeler que le Rebelle n’était pas seulement “le patriote d’une patrie opprimée”, il fut aussi à l’image d’un Omar Khayam, ou d’un Baudelaire, le porte-voix des œuvres déchirées et des amours contrariés.

Aomar Mohellebi

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