La dixième rencontre de poésie : un festival du verbe

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Par Abdennour Abdesselam

La dixième rencontre des journées poétiques, organisée conjointement par les associations Yusef Uqasi et Ssi Muhend Umhend, a été marquée par un niveau agréablement surprenant. Ce saut qualitatif concerne à la fois les thématiques traitées, le niveau prosodique, une formulation linguistique très recherchée à travers une parole pensante, une versification équilibrée et mesurée, une nouvelle forme de construction poétique à plusieurs strophes, dite forme longue ou récit et une diction particulièrement attentionnée. Sans tourner le dos à leurs aînés qui ont fait la gloire de la poésie kabyle ancienne, et encore moins leur contester l’héritage du monde de la versification, les jeunes âmes des poètes et poétesses, que nous avons écoutés religieusement, n’ont pas fait dans la systématique de l’art pour l’art. Ils se sont plutôt saisis des différents genres, comme rampe de lancement vers une renaissance qui tient plutôt de l’évolution de la société en adéquation avec les réalités du maintenant. Loin de la méditation, des peintures naturalistes, de la projection dans des rêves incessibles et les tirades morales et moralisantes, dont au passage abondent et abusent les nombreux textes de la chanson kabyle, les thématiques retenues posent la problématique de la relation de l’homme avec son environnement, face à la dimension presque illimitée que prennent les nouveaux faits de société tels que la mondialisation. Qu’allons-nous devenir dans cet immense espace aussi utile que cruel, semblent nos dire ces jeunes poètes et poétesses qui ne se le disent pas seulement à eux-mêmes. Les textes suggèrent un présent comblé de contraintes, un présent au carrefour de toutes les transformations. La parole, quant à elle, s’est réappropriée sa beauté légendaire qui a de tout temps caractérisé la langue kabyle. On ne note aucune épreuve à passer d’un vers à un autre, tellement les longueurs syllabiques se superposent presque parfaitement. Mais, c’est, sans doute, la forme récit des poèmes qui domine ce saut qualitatif. En effet, et comme pour rechercher à épuiser le traitement des thématiques qui semblent réclamer plus de verbes, alors la longueur des poèmes maintient en éveil l’attention de l’auditoire. Chaque strophe déclamée en appelle systématiquement la suivante. L’évolution explicative des textes suit ainsi la trame langagière qui permet de deviner par avance la conclusion des poèmes. L’ensemble des textes présente le schéma triptyque qui consacre la structure des poèmes, allant de l’introduction au développement, et enfin à la conclusion. Ils sont pourtant très jeunes ces poètes et poétesses et ce «petit» âge, confirme l’expression poétique consacrée qui dit : «Swab am uwtul ur tezridh ans’a d-yeffegh», (le jaillissement de toute intelligence est surprenant, telle l’apparition subite et inattendue du lièvre).  Augurent-ils l’ère des parnassiens de la poésie kabyle ? Tout porte à le croire.                                      

A. A.

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